Comment oublier ton sourire?

Mer 11 Sep 2024 - 4:50

« Il va de soi que nos hommes sont… » Blablabla J’avoue que je ne suis pas un homme à m’embarrasser des technicalités et surtout de tout ce baragouinage d’informations. Mon père a tenu à ce que je l’accompagne pour faire son rapport de vive voix aux Calestis. Pourquoi exactement? Je n’en suis pas certain, mais j’ai déjà une puce à l’oreille. Rien que par le fait qu’il m’a mentionné que la duchesse était une jolie jeune femme et surtout qu’elle était un cœur à prendre. Mais ça, il s’abstient bien de me le confirmer. Il préfère appuyer sur le fait qu’il commence à se faire vieillissant et qu’il est temps pour le duc et la duchesse de me connaître, ainsi la passation de son poste pourrait se faire plus aisément et ainsi, il serait possible que je garde le poste qu’il occupe depuis tant d’années. Je ne suis pas contre occuper son poste, le problème n’est pas là. C’est plutôt le fait que mon père se serve de moi en pensant que je suis trop con pour m’en rendre compte.

Callum est assis devant nous et s’intéresse à tout ce que mon père balance. Si j’étais intelligent, je m’y concentrerais moi aussi, mais je me doute que tout sera de nouveau à répéter lorsque la deuxième entité du duo dirigeant sera présente. Mais disons que la ponctualité ne semble pas être d’actualité avec la duchesse. Elle commençait à gagner des points en envoyant des ressources dans la Mer de Corail, à s’occuper de son dit peuple. Elle commençait à grimper doucement dans mon estime, mais là, faut avouer qu’elle creuse un peu sa tombe. Pourquoi est-ce qu’ils se permettent des comportements pareils parce qu’ils sont nobles? Ma famille a technique ce titre aussi et jamais, au grand jamais, mon père ne nous permettrait d’être en retard à un rendez-vous. Quel qu’il soit. Du plus insignifiant au plus important. Alors je prends mon mal en patience. Autant que je le peux.

Bien que ma posture soit droite et fière comme mon père me l’a toujours appris, je ne peux empêcher mon esprit de divaguer et mon regard de chercher quelque chose de plus intéressant à regarder que le vide. Et cette fois je fais l’effort de diriger mon attention sur la conversation. Mon père en est toujours à parler de la reconstruction des principaux lieux de vie de la famille ducale. Comptent-t-ils seulement venir s’installer sous l’eau prochainement? Callum semble se plaire sur la terre ou du moins, sa mission d’ambassadeur ici semble totalement lui convenir. Et Nymeria? Serait-elle capable d’arrêter son parcours pour un moment?

Mais je sens que le début d’un sujet épineux à envie de prendre forme. Mon père se targue de me connaître sur le bout de ses doigts, mais à tant l’observer, moi aussi je le connais par cœur. Je le vois rabattre un pan de son vêtement contre son abdomen comme chaque fois qu’il veut amorcer un sujet important. Ma langue se faufile sur mes lèvres alors que cette fois, je me concentre totalement. Ça promet d’être intéressant. « J’ai commencé à déléguer à Helios, l’entraînement de nos recrues. Il faut dire que les bêtes marines sont encore bien présentes malgré le temps que nous passons dans leur environnement. Il faut s’assurer que la Mer de Corail soit sécuritaire pour les nouveaux arrivants et ceux qui restent sur place. Mon fils est un valeureux combattant qui travaille d’une façon similaire à la mienne. » Aaaah le voilà le violon, je l’attendais. « Mes hommes sont déjà habitués à sa présence et à ses idées. Avec votre accord, je pensais peut-être l’envoyer dans une petite escapade pour chasser des prédateurs qui viennent roder un peu trop près de la limite que nous nous sommes fixés. » Pour le coup, j’ai envie de rire. Autant je comprends l’honneur que mon père me fait, que je me dis que je sers de fantassin, de chair à canon. « Mais j’imagine que je devrai voir ça davantage avec votre sœur? »

Cette fois, je ne résiste pas, je tourne la tête vers mon père qui démontre son air aussi avenant que sérieux et solide. C’est un homme fier, vaillant et valeureux. Tout ça, il le transpire. Il le respire. C’est chaque fibre de son être qui vibre pour son honneur. Mais je ne peux résister à m’introduire dans cette conversation. « D’ailleurs, où est Mademoiselle la Duchesse? » Je le vois, ce froncement de sourcil chez mon paternel qui me signifie son désaccord avec mon intervention. J’ai envie de lui sourire, comme lorsque j’étais adolescent et que je le défiais ouvertement pour tester les limites, comme tous les adolescents. Mais comme je n’ai pas que ça à faire, que j’ai des hommes à entraîner et surtout des mauvais plans pour les marchands à mettre en action… Je ne peux pas passer l’après-midi le cul assis contre ce sofa.

(c) DΛNDELION

Mer 11 Sep 2024 - 22:26

Comment oublier ton sourire ?

Nymeria était assise derrière son bureau, jouant avec sa plume, non pas pour prendre des notes - son cerveau enregistrait et consignait absolument tout dans son palais mental, mais tout simplement car le fait de rester immobile lui coûtait énormément de ressources. Elle crevait d’envie de quitter cette pièce fermée et d’aller se dégourdir les pattes. Au pire, de se lever et de marcher dans la pièce. Bouger l’aider à faire fonctionner sa réflexion, à se concentrer, parce qu’autrement elle finissait par se disperser et se noyer sous un flot de pensées. C’était pire que tout en ce moment, tout bougeait à une vitesse ahurissante, le travail s’amassait et elle avait envie de tout jeter par la fenêtre… La mort d’Heiura, les funérailles très - trop récentes - qui s’étaient entremêlées avec la découverte d’Hydore lui avait laissé un goût amer. Ce qui aurait dû être une découverte majeure et un sujet de fête avait pris le visage du deuil. Une petite soeur de coeur tout juste retrouvée, si vite perdue… et pas le temps de pleurer la morte. Parce qu’il y avait à faire, partout, on la sollicitait et elle devait répondre présente. En ce temps de crise majeure, c’était son rôle d’incarner le visage rassurant de la stabilité. Sa mère, l’ancienne duchesse, avait sombré à cause du deuil, mais Nymeria n’était pas sa mère. La sirène prenait son devoir et ses responsabilités très au sérieux.

La situation géopolitique de la nouvelle capitale était extrêmement compliquée, avec le régent qui tenait les rênes du pouvoir et le prince héritier qui lui disputait le contrôle de la cité. Si le parti pris en faveur de la famille royale de la Maison Ducale de la mer de Corail était clairement établi, Nymeria tenait à conserver un dialogue avec tous les partis. Les jeux de pouvoir se faisaient bien souvent dans l’ombre, Rhyse ne détenait, pour l’heure, qu’un pouvoir symbolique. Sa couronne était portée par ses soutiens, des bras de fer allaient s’engager en secret…

Le plaisir de la politique.

Ce genre de situation aurait amusé Nymeria en temps normal. La sirène aimait les défis intellectuels. Mais pas aujourd’hui, pas avec la menace Ozova qui planait, les rafles de plus en plus nombreuses de leurs semblables… C’était à son peuple qu’elle pensait en priorité, ce qui signifiait qu’elle devait veiller à conserver des relations stables avec tous les partis. Nymeria convoitait le savoir-faire des Architectes de l’Ombre, et Hydore s’intéressait à l’aide substantielle qu’elle avait promis d’apporter à Rhyse. Restait à présent à trouver un compromis pour que tous les partis ressortent gagnants. Une première approche symbolique qui n’aboutirait probablement à rien aujourd’hui mais qui témoignait d’une volonté mutuelle de s’engager sur un échange.

Mais ce premier “échange symbolique” durait depuis deux heures déjà. Nymeria lança un coup d’oeil en direction de son horloge, constata avec un soupir intérieur, qu’elle était en retard pour son dernier rendez-vous du jour. Il n’y avait définitivement pas assez d’heures dans une journée, songea t-elle dépitée.

Alors elle mit fin à son entretien, ou plutôt elle le reconduit. Poliment mais fermement après s’être demandé si le triton n’allait jamais se taire. Dieux qu’il était bavard ! Tellement de futilités !

Sa plume regagna sa place près de l’encrier, Nymeria reconduit son invité à la porte.

De combien était-elle en retard ?
Une vingtaine de minutes. Fantastique.

La belle prit le chemin de la pergola où Callum avait probablement dû installer son - ses invités. Medjay appréciait cet endroit, ils y chutaient souvent lorsqu’il était de passage. Leurs rencontres physiques étaient périodiques et espacées dans le temps du fait de leurs emplois du temps chargés et de la distance à parcourir entre Ka’Hauni et la Mer de Corail. Ils alternaient les visites et s’écrivaient plus souvent qu’ils ne se voyaient. Le contact était étroitement entretenu cependant. Si Nymeria avait confiance en très peu de personnes, Medjay faisait partie de ces gens en qui la duchesse se fiait pleinement. Sa loyauté n’était plus à prouver, il avait fait ses preuves sous la gouvernance de sa mère et renouvelé ses vœux lorsqu’elle avait pris la succession et témoigné sa volonté de bâtir un pont entre la population océanide de la mer et celle vivant sur terre. Ils étaient tous ses gens et elle avait à coeur de les protéger… Mais leurs besoins et leurs modes de vie étaient si différents… C’était un travail du quotidien de maintenir des relations fortes entre ces disparités et Medjay était un atout de taille dont elle ne pouvait se passer.

Medjay qui débarquait avec son fils, ça c’était une grande première. Et ça intriguait très largement Nymeria qui ne comprenait pas ce soudain regain d’intérêt de l'aîné pour la politique. Si elle se tenait au courant de sa réputation et de ses faits d'armes, comme celle de tous les océanides les plus engagés dans la lutte pour la survie et la reconquête territoriale, elle n’avait jamais eu l’opportunité de rencontrer Helios.

-Et bien, connaissant Nymeria… entendit-elle répondre Callum à une question qui n’avait pas porté à ses oreilles.

Elle n’en doutait pas, son frère avait dû être parfait dans son rôle de médiateur. Callum savait parler aux gens, les faire patienter et entretenir une discussion. C’était son truc, les mondanités, la flatterie, le relationnel… Des choses qui échappaient parfois - souvent - à Nymeria - trop directe, trop franche.

Et elle le vit s’interrompre en l’apercevant. Il se leva et lui sourit chaleureusement. Le coeur de Nymeria se réchauffa aussitôt. Elle l’aimait de tout son coeur, son jumeau.

-Messieurs, je vous présente mes excuses pour ce retard. Un rendez-vous m’a retenue… Ravi de te revoir, Medjay, dit-elle avec un sourire courtois, mais sincère.

Ils avaient beaucoup à se dire. Cela dit, elle était curieuse de faire la connaissance de ce fils dont il était si fier et qu’il lui dissimulait au regard…

Et puis Medjay bougea et l’expression de Nymeria afficha la plus pure stupéfaction.

-Toi ?

Evidemment, elle l’avait reconnu. Plus âgé de douze ans, songea-t-elle en faisant rapidement le calcule, mais parfaitement reconnaissable… La sirène n’oubliait jamais un visage… Mais le sien l’avait profondément marqué. Nymeria était jeune à cette époque, tout cela remontait à si loin… Elle aussi devait paraître changée. L’aventurière qu’elle était ne s’embarassait guère de fioriture. Pour être mobile, il fallait voyager léger. Aujourd’hui, elle était apprêtée non pas de manière ostentatoire, mais suffisamment pour refléter son aisance financière. Des éléments fins et discrets servaient de rappel, comme ces bijoux et perles de culture, piquées dans sa tresse lâche, ses quelques bijoux en or sertis de petites pierres précieuses ou ses vêtements en tissu de qualité.

-Je te croyais mort. Les oshaariens avaient repris le fort.

Parce qu’au bout d’un moment… Elle avait cédé à une impulsion et elle était retournée là-bas. Trop tard, ils n’étaient plus là et les soldats humains en garnison se vantaient d’un bain de sang.

Un sourire en coin vint étirer la commissure de ses lèvres. Arrogant, un brin moqueur.

-Tu es le fils de Medjay ?

Le bandit de grands chemins, un noble d’une famille de la cour ducale ? Que c’était cocasse ! Voilà qui chassait subitement sa fatigue. Cet entretien promettait d’être moins prévisible et ennuyeux que prévu.

Codage par Libella sur Graphiorum

Jeu 12 Sep 2024 - 2:34

Comment oublier ton sourire?

@Nymeria Calestis

Sa main se crispe sur son genou, sa respiration qui se fait plus hachée caractéristique de quand il n’est pas heureux de mon intervention, mais il ne dit rien. Mon père tente de rester le plus stoïque possible. Et la seule raison pour laquelle il s’abstient de me renvoyer mon insolence dans le front, c’est parce qu’on est en rendez-vous diplomatique et qu’il veut que je paraisse sous mon meilleur jour. C’est suffisant pour que je redresse un peu le menton, fier de mon coup. À mes yeux, ce n’est pas parce qu’on est noble qu’on mérite le droit de faire attendre tout le monde pour ses beaux yeux. Mais ça, c’est mon opinion. Une qui, visiblement, dérange mon père. Pourtant Callum entame sa réponse avec un sourire sur les lèvres. Une réponse que je me doute déjà toute prête et qui visera presque à me faire comprendre que la duchesse est oh combien occupée. Ouais bah nous aussi, et pour eux en plus.

Heureusement, je n’ai pas le temps de me morfondre davantage dans mes pensées contre cette pauvre fille en retard. Ce n’est pas la fin du monde, je sais, mais je ne suis pas fan des gens qui manquent de ponctualité, ce n’est pas ma faute. Un peu. Je sais, je sais, la patience est une vertu. J'ai de la patience, juste pas dans des moments pareils. En mission, lorsqu’on doit être tapis dans l’ombre, se dissimuler en attendant de passer à l’attaque, je me gère très bien. Alors pourquoi est-ce que ça m’agresse à ce point? J’en sais rien. Bref. J’ai pas envie de m’étendre sur mes états d’âme, on est là pour autre chose. Une voix pétillante traversa la pièce, une voix qui me tire l’esquisse d’un froncement de sourcil. Il me semble que j’ai déjà entendu ça quelque part.

Mon père s’incline juste assez, respectueusement devant la duchesse tout en saisissant sa main pour y faire un baise-main. Sans doute un protocole quelconque, mais moi j’ai envie de lui balancer qu’il fait un gros numéro de charme à une fille qui aurait l’âge d’une de ses filles. Mais ce serait plonger l’ambiance dans un profond malaise et je ne peux me permettre cela. Après tout, même si je me dis bien des conneries mentalement, j’aimerais bien récupérer le poste de mon père un jour et cela commence avec des rencontres comme aujourd’hui. Je m’assure donc de taire mes idées loufoques pour l’instant. « Mademoiselle Nymeria, c’est toujours un plaisir de vous revoir. Toujours aussi rayonnante. » Ouais, gros numéro de charme. Finalement, je peux peut-être la lui laisser, lui qui convoite sa main pour moi.

L’ombre d’un sourire en coin railleur se dessine sur mes lèvres alors que mon père s’écarte finalement et que mon regard percute la blonde qui se dresse devant lui. Cette fois, je fais moins le fanfaron. Le coin de mes lèvres vacille alors que mes traits faciaux partagent la stupéfaction de Nymeria. Toi. Mes lèvres ont envie d’y faire écho en prononçant le même simple et petit mot. Eh bah… ça alors… « Vous vous connaissez déjà? » Incapable de décrocher mon regard de cette blonde qui a hanté mes pensées beaucoup plus souvent qu’il n’est décent de l’avouer, je détaille ses traits sans même m’en dissimuler. « On s’est déjà croisé en effet… » Ma voix ne montre aucune faiblesse, aucune défaillance dans ma personnalité qui se veut forte et digne, mais sérieusement, mon âme est un peu ébranlée. « On a offert un refuge à Nymeria quand on était en possession du fort à Oshaara. Tu y es venu sur quelques mois je crois non? » Je joue un peu la comédie à le lui demander, lui affichant ce petit air provocant sur mon faciès. Nous connaissons tous les deux la réponse après tout.

Je ne peux même pas dire qu’elle est devenue moche, ce qui aurait pu empêcher mon esprit de chercher des souvenirs que j’ai tenté d’enfouir avec le temps. Nymeria a pris en beauté et en maturité. Ses traits se sont affinés et il y a un quelque chose de plus dans son regard sur quoi je n’arrive pas à mettre le doigt. Et clairement, ce n’étaient pas ses vêtements guindés qui faisaient toute la différence. Certes, ça changeait du souvenir que j’avais entretenu. La Nymeria guerrière et la Nymeria diplomate semblent être toutes deux des personnages différents, mais c’est un peu ça, la politique. J’aurais dû m’en douter, faire le lien malgré le doute que j’ai eu plus tard. Il y a douze ans, tout ce que j’ai eu droit, c'est un surnom. Nym qu’elle avait dit s’appeler. Et moi j’ai été trop con pour faire le rapprochement entre Nym et Nymeria. Bravo champion… Pour la peine, je ne me souviens même plus sous quel nom elle me connaît. Avais-je avoué ma véritable identité par le passé ou me connaissait-elle sous le nom Khaos, nom totalement inventé comme une grande majorité dans le groupe?

J’humidifie mes lèvres alors que mon regard se rembrunit un peu au souvenir de la reprise du fort par les autorités d’Oshaara. Mes mâchoires se serrent un peu plus fort l’espace d’une seconde. Le souvenir est douloureux, pénible. Pourtant, elle fait naître un doute dans son esprit. Est-elle repassée par le fort longtemps après que nous l'ayons quitté? Pourquoi y est-elle retournée? Par intérêt? Simplement parce qu’elle avait besoin d’un refuge à nouveau? Une tonne de questions assaillent mon esprit. « Beaucoup ont péri ce jour-là. Ma sœur y est restée entre autres. » Cet aveu m’est amer. Parce que j’ai toujours endossé la mort de Noctua. Quand bien même qu’on me dit qu’il est normal de perdre des soldats dans une bataille, on espère toujours qu’ils s’en sortiront tous. Je me souviens encore de l’état lamentable de mes émotions quand je suis rentré à la maison avec la dépouille de ma sœur, incapable d’avoir pu la sauver. Je revois encore l’air accablé de ma fratrie et l’air insondable de mon père. Je ne doute pas qu’il ait été dévasté, mais on a toutes nos façons de gérer le deuil. « Nous sommes partis peut-être une demi-année après ta dernière visite. »

Alors je me secoue intérieurement pour reprendre de la vigueur, pour ne pas me laisser emporter par ce souvenir terrible de ma vie, je sens peser contre moi, le regard de mon paternel. Je sais qu’il a des questions, lui aussi. Je sais qu’il meurt d’envie de me les poser, de savoir ce qui s’est passé dans ce dit fort avec Nymeria. Pourquoi nous nous connaissons. Mais je ne lui fais pas ce plaisir dans l’immédiat. Je préfère me concentrer sur elle, sur les sentiments qui m’habitent. Le destin avait une drôle de façon de réunir les gens. Et moi, il a fallu que la fille qui ait obsédé des pensées pendant trop longtemps soit aussi la duchesse de la Mer de Corail et la fille que mon père voulait que j’épouse. J’hésite entre me dire que c’est un merveilleux coup du destin ou que c’est à pleurer. Qu’est-ce qui se passerait si ça venait à se savoir? Est-ce qu’on mettrait ça sur le dos d'erreurs de jeunesse? Est-ce que tout à coup ça me motivait un peu plus à connaître cette dite duchesse? Malheureusement ou heureusement… assurément.

Je ne peux m’empêcher de copier son arrogance, étirant mes lèvres dans un sourire. Ouais, ça ne vaut pas la peine de masquer que je suis tout de même content de la retrouver. « Paraît-il. Je ne pensais pas te revoir de si tôt. » J’aimerais voir la tête de mon père qui me voit m’adresser ainsi à la duchesse, dans des familiarités qu’il pourrait trouver inconvenantes. Mais je n’ai pas envie de faire comme si j’ignorais tout d’elle. En revanche, je me prends au jeu de mon père et je m’approche de la ravissante blonde. Je tends la main pour saisir la sienne et je l’approche de mes lèvres alors que ma posture se courbe légèrement. Je le prends définitivement comme un jeu, mais ça, il n'y a peut-être qu’elle qui le comprendra vraiment. Je pose mes lèvres contre le dos de sa main, mes iris relevés contre les siens. « Enchanté Mademoiselle Nymeria. » Je pourrais presque parier que j’entends mon père grincer des dents, en même temps d’être soulagé de mon comportement. Après tout, ça fait des jours qu’il me demande de bien me tenir devant elle afin d’amasser le plus de points possibles. Je relâche doucement sa main, profitant du dernier contact pour effleurer sa main de mon pouce et je me recule de nouveau pour reprendre ma place auprès de mon père.

Ce dernier se racle doucement la gorge et esquisse un sourire. « Ravi que les présentations soient faites. » Oh… s’il savait. Je me contente de me mordre la langue pour m’empêcher de dire quoique ce soit qui serait inadapté à la situation. Je dois me retenir de relâcher cette envie de rire qui me saisit. Cette rencontre est tellement ironique. « Avez-vous besoin je vous refasse le compte rendu que j’ai fait à votre frère Milady? » Pitié, non… Ils doivent être capable de se parler ces deux-là. « D’ailleurs, j’ai entendu dire que vous aviez fait partie de l’expédition pour vous rendre à Hydore. Comment était-ce? Qu’avez-vous découvert? » Ah tiens… Ce serait intéressant ça… Je croise mes mains dans mon dos comme un bon petit soldat, attendant presque impatiemment sa réponse sur la dernière question de mon père, mon regard planté sur la jolie blonde dans l'attente de sa réponse.

(c) DΛNDELION

Jeu 12 Sep 2024 - 13:35

Comment oublier ton sourire ?

Nymeria avait reçu une éducation noble et stricte, ses parents n’avaient jamais cessé d’aspirer à la reconstruction d’un gouvernement et au retour de la noblesse au pouvoir. Un rêve qui leur avait échappé et qu’ils n’avaient pas vu se concrétiser. Pourtant, pendant les cours de protocole que lui donnait personnellement sa mère, Nymeria essayait toujours de s’échapper pour rejoindre les jardins où elle avait tout le loisir de courir et d’exprimer sa fougue. “Une sauvageonne” disait souvent Véina. “Notre avenir”, répondait son père, le coeur chargé d’amour. Elle lui devait les compromis, la liberté dont elle avait joui si longtemps. Il avait été le coeur de leur famille et, le jour où il avait cessé de battre, tout était parti en vrille.

-Et tu as l’air en forme, répondit-elle satisfaite - bien plus de ce constat que de tout l'apparat qu’il mettait autour de leurs retrouvailles.

Et puis elle vit le fameux Helios.

L’écho de la question de Callum fit écho à celle de Medjay : “Vous vous connaissez ?“.

-Ses hommes m’ont dépouillé, répondit-elle avec un franc sourire.

Elle entendit son frère s’étrangler en avalant de travers sa boisson.

-Pardon ? demanda-t-il.

Oui, elle se foutait de la gueule de Khaos et elle prenait réellement plaisir à le mettre dans l’embarras devant des figures d’autorité. La situation était trop cocasse pour ne pas s’offrir ce petit plaisir.

Elle était sur son territoire après tout, les rôles s’inversaient. Il lui avait fallu ruser, jadis, pour séduire ses gens et gagner suffisamment leur confiance. Ils se tenaient entre elle et le fort où elle devait impérativement se rendre pour poursuivre sa quête au trésor. Et puis il y avait ce chef de bande, méfiant pour dix… séduisant. Un autre défi qu’il avait fallu relever : réussir à se faire accepter sans éveiller ses soupçons sur le véritable but de ses recherches. Après tout, il n’était pas question d’attirer l’attention d’un voleur sur la piste d’un trésor qu’il aurait pu lui arracher de force. Et puis elle s’était laissée avoir à son propre jeu. Une tentation. Charismatique leader, curieux envers ses recherches et envers elle-même… Agréable parenthèse dans un début de course contre la montre pour une très jeune duchesse qui aspirait à se donner une chance de pouvoir concrétiser un jour ses ambitieux projets.

Elle acquiesça. Oui, elle avait bien fait quelques passages là-bas. La première fois pour déterrer une vieille histoire, les suivantes pour troquer, marchander des biens dont les brigands s’étaient emparés et qui lui plaisaient.

Douze ans et elle n’avait été qu’un passage éphémère dans sa vie. Il aurait pu oublier. Il avait dû en voir défiler des visages depuis, la plupart des gens n’étaient pas comme elle, à se souvenir du moindre détail de leur vie. Ils effaçaient ce qui avait peu d’importance et même ce qui était important, parfois.

-Ton fils m’a effectivement accueilli sur son territoire quelque temps, finit-elle par concéder pour ne pas incriminer plus que nécessaire un homme qui n’était pas fautif. Le jeu avait ses limites. Le fort était une étape. J’étais sur la piste d’une légende qui a fini par me conduire à une trouvaille substantielle. De l’argent que nous (Callum et elle) avons réinvesti en partie pour soutenir la communauté résistante de la Mer de Corail. La boucle est bouclée, souffla Nymeria, le regard brillant d’amusement. Ravi de voir que tu as indirectement participé à cette contribution, Helios.

Ils avaient été deux à se cacher leur identité. Bandes de petits malins…

Sa soeur avait été tuée pendant la bataille pour chasser les océanides du fort.
Si elle avait su jadis qu’une partie de ses gens comptaient parmi ces bandits… Mais la résistance n’avait jamais évoqué ce groupuscule, ce qui signifiait probablement que Khaos - Hélios - et sa fratrie avaient fait dissidence. Quant à savoir pourquoi ils avaient choisi de retourner auprès de son père, c’était un mystère qu’elle finirait par résoudre.

-Laquelle ?

Son regard se voila. Elle avait côtoyé la bande suffisamment longtemps pour avoir imprimé visages et noms et se souvenir de quelques liens qu’ils avaient entre entre eux. Tous les océanides avaient perdu des proches, dans le passé ou le présent. C’était dans la persécution et la souffrance qu’ils se soudaient les uns aux autres. Ce chagrin, Nymeria le connaissait bien. Elle l’avait expérimenté à nouveau il y a trop peu de temps… Elle compatissait, sincèrement.

-Nos condoléances, souffla Callum. Je n’imagine pas ce qu’on peut ressentir…

Les conventions sociales, encore et toujours. Son frère gérait mieux ces choses là qu’elle, Nymeria avait tendance à se révéler pudique dans les manifestations d’émotions et plus encore lorsqu’il s’agissait de gérer le deuil. Pas qu’elle ne compatissait pas… La belle n’était juste pas douée pour l’exprimer avec des mots.

Les jumeaux échangèrent un regard. L’angoisse inimaginable que l’un parte avant l’autre… La duchesse se refusait à y penser. Elle avait enterré ses parents, des amis proches, ça la tuait d’envisager faire un jour le deuil de son précieux frère, de ses neveu et nièce… C’était pour eux qu’elle se débattait comme un diable, pour leur construire un avenir et une vie meilleure où ils seraient en sécurité…

« Paraît-il. Je ne pensais pas te revoir de si tôt. »

-Je ne pensais pas te revoir du tout, répondit-elle.

Ca lui avait fait un pincement au coeur, jadis, de savoir que cette bande de voleurs qu’elle avait trouvé, avec le temps, fort sympathique, avait été réduite à néant. Ca lui laissait une étrange impression de refaire face à ce visage, aujourd’hui… C’était comme replonger douze ans dans le passé. Une triste époque pour elle, chargée de nuages…

Et la voilà qui arquait un sourcil, stupéfaite, en le voyant s’incliner à son tour et imprimer un baise-main. Ça détonnait trop avec le personnage, ce n’était pas naturel…

Il se foutait d’elle, l’enfoiré !

-Enchanté, Helios, répondit-elle avec une expression stoïque… mais dans ses yeux brillait un éclat de malice.

Quelque chose lui soufflait que rien ne serait simple avec lui. Elle possédait la loyauté du père, mais celle du fils ? Rien n’était moins sûr.

Nymeria se détourna et saisit le verre de citronnade que lui tendait son frère. Il allait la cuisiner dès qu’ils seraient seul à seul, elle en était convaincue. Elle le connaissait, son jumeau, mieux que n’importe qui. Et réciproquement. Il avait flairé l’embrouille à plein nez, elle en était convaincue.

La jeune femme ne s’assit pas et pris appuit contre un poteau en bois. Elle avait désespérément besoin de mouvement, la perspective de se réinstaller derrière une table la faisait grincer des dents. Au moins, ils se trouvaient dehors… Elle se sentait mieux dans les grands espaces, entourée par la nature… Ou idéalement dans les fonds marins.

« Avez-vous besoin je vous refasse le compte rendu que j’ai fait à votre frère Milady? »

-Y avait-il quelque chose d’urgent à traiter ? demanda-t-elle en tapotant machinalement son verre avec ses doigts.

Callum fit “non” de la tête.

-Je te debriefferai.

Hydore.
Son regard s’assombrit.
Douce et belle Hydore qui l’avait faite rêver des mois durant... Cette expédition avait été soigneusement préparée à l’avance, discutée… Elle avait fantasmé ce voyage.
Aujourd’hui, quand elle pensait à cette Cité, elle voyait la mort.

-La Cité existe bel et bien et elle est plus avancée dans sa reconstruction que toutes les ruines, villages et campements marins qu’il m’ait été donné de visiter jusqu’à aujourd’hui. Un groupe qui se fait appeler “les Architectes de l’Ombre” a oeuvré longtemps en secret pour reconstruire. Leur artisanat est sans égal, ils sont doués. Quant au prince héritier, il a revendiqué la couronne, Hydore deviendra le siège de son pouvoir.

Elle porta son verre à ses lèvres et se désaltéra, pensive. Impassible, elle poursuivit son rapport :

-L’expédition nous a fait traverser le territoire de plusieurs grands prédateurs. Nous avons perdu notre future reine consort… Heiura Telvani, la fille de Gena et Teanuhe.

Un membre de la famille royale.
Une proche.

-Il existe des chemins plus sûrs pour se rendre là-bas. J’ai reproduit une carte. Si un jour vous voulez entreprendre un voyage, ne partez pas sans l’avoir consulté.

Une consigne.
Un ordre.
Une morte suffisait, elle n’en voulait pas d’autre sur la conscience.

Codage par Libella sur Graphiorum

Jeu 12 Sep 2024 - 15:03

Comment oublier ton sourire?

@Nymeria Calestis

Medjay hoche la tête à l’égard de la duchesse. Il avait toujours été d’une approche exemplaire, évitant la majorité des faux pas hormis quand les décisions difficiles devaient parfois être prises et qu’il avait été concerté. Il s’était toujours fait un point d’honneur de protéger le plus possible cette famille contre les vents et les marées. Leur mère et maintenant les jumeaux qui se tiennent aujourd’hui devant lui. Son métier n’avait jamais rien eu de facile, mais il s’en était toujours bien sorti, ou presque. Pour mon père avait longtemps et l’est toujours, un repère sur lequel me fier. Mais j’avoue que j’ai moins sa propension à cirer les chaussures des grandes pointures de ce monde. Parce que la majorité sont décevants et qu’ils n’ont souvent que leurs propres intérêts à cœur. Aujourd’hui, je faisais le triste constat que le cas de ces dirigeants-là, ceux devant moi, ne serait pas aussi facile à trancher que ce que j’ai l’habitude de faire. Pourquoi fallait-il que la duchesse, ce soit elle?

Ma mâchoire inférieure tombe légèrement vu comment elle présente notre précédente rencontre. Je lui adresse un regard électrique. L’affront est frontal, direct et surtout inattendu. C’est qu’elle peut se le permettre dans la situation dont elle est aujourd’hui. Si autrefois, elle avait dû se tenir à carreau, elle renversait la vapeur pour me le remettre dans le nez directement. Maline… Je n’ai même pas besoin de me retourner pour sentir la position militaire de mon père à mes côtés, pour entendre son souffle se faire difficile. Je l’imagine comme à la maison, serrer les mâchoires et les poings pour garder son calme. Et la réaction du jumeau ne se fait pas attendre pour autant. Bon, lui je ne peux décemment pas l’ignorer comme je le fais avec mon père. Mes iris pivotent doucement dans sa direction, mais je ne parviens pas à envoyer l’impression d’un regret quelconque. Pas avec tout ce qui s’est enchaîné.

C’est à mon tour de reprendre contenance, la surprise passée. Je dois me défendre, mais je ne peux pas le faire n’importe comment. Sinon je crois que mon père n’attendra jamais d’être à la maison pour me passer un savon. Je glisse ma langue sur mes lèvres tout juste avant de me lancer. « Nuançons. Ils lui ont pris ses armes et des trésors qu’elle avait en sa possession. Ils ne voulaient pas risquer qu’elle s’attaque à eux. Sans compter qu’aucun de nous ne savait qu’elle était notre duchesse. » Est-ce que ça justifiait tout? Assurément pas, mais ça peut aider à comprendre la situation. Après tout, mes hommes n’obéissaient qu’à des ordres, on dépouille ceux qui se présentent dans notre secteur. C’était nous qui étions en contrôle et il n’était pas question qu’on perde ce contrôle à cause de n’importe qui. Je me retourne vers Nymeria. « Mais évidemment, elle est revenue chaque jour leur tendre un petit sac au nez pour s’assurer qu’ils aient bien envie de recommencer. » Parce qu’elle nous avait tous doucement amadouer, les uns après les autres. Elle s’était infiltrée dans nos vies et avait partagé quelques moments avec nous. Assez pour que mes sœurs commencent à se faire des scénarios au fil des rencontres. Elles avaient bon espoir de voir quelque chose éclore à ce moment-là. Si elles savaient…

Le regard de mon père se fait lourd contre moi, mais fait également la navette entre sa duchesse et moi. Il ne sait pas exactement ce qu’il doit dire pour rattraper mon comportement. Mais il ne peut pas. Il ne pourra jamais. Parce que les circonstances de notre rencontre étant ce qu’elles sont, valait mieux l’avoir dépouillé de ses biens que de l’avoir confronté dans un duel et de l’avoir blessée sévèrement. Mais à lui voir sa tête, je sais précisément ce qu’il a envie de faire. Il a envie de tenter d’excuser mon comportement. L’ennui c’est que… pas moi. Je ne regrette aucunement ce qui s’est passé. Et puis maintenant qu’elle se confiait un peu plus, mon père pouvait bien constater que je n’avais pas été si horrible avec notre duchesse. Nous travaillions pour la même cause, sans même le savoir. « Tout le plaisir était pour moi. » J’étire les lèvres dans un sourire poli en même temps que j’entends le grognement imperceptible de mon père à mes côtés. Cette rencontre est définitivement mille fois plus divertissante que ce que j’avais pensé de prime abord.

Mes dents s’enfoncent doucement dans ma joue alors que ce joue le meurtre de ma sœur derrière mes prunelles, je dois me forcer à prendre une inspiration. Ce n’est pas parce que ça fait douze ans qu’elle est disparue qu’elle ne me manque plus pour autant, que son décès ne me fait pas toujours autant de mal. « Noctua. Enfin tu l’as probablement plus connue sous Storm. » La perte de ma sœur m’avait fait mal de plusieurs façons. Déjà par la perte du lien de sang, du lien de confiance et du lien de proximité que nous avions. Noctua était celle qui me suivait directement, la première dont j’ai pris soin, la première avec qui j’ai joué dans mon enfance. Nous avions une complicité qui nous était propre. Mais c’était aussi son dynamisme qui me manquait, qui nous manquait dans l’équipe aujourd’hui. Noctua avait une fougue particulière, nul doute qu’elle avait dû prendre la duchesse en sympathie par le passé. Je pivote légèrement dans ma posture pour pouvoir observer le jumeau qui nous offre ses condoléances. Je ne compte plus le nombre de pertes que j’ai subi à mes côtés, mais je puise en moi la force d’étirer un mince sourire en coin et d’hocher presque imperceptiblement la tête. « Merci monsieur le Duc. Je vous souhaite de ne jamais le ressentir. » Cette fois, même mon père incline légèrement la tête. Il en souffre toujours, lui aussi. Mais il sait aussi qu’il a élevé une famille de soldat et de personnes prêtes à tout pour redonner du lustre aux Océanides. Peut-être absorbe-t-il toute la faute de ces pertes qui sévissent dans notre famille?

Mais l’heure n’était pas au deuil. Nous aurons d’autres circonstances pour en parler, j’en suis convaincu. Alors je ne lui dis pas que mon escouade est amputée d’une autre de ses membres avec la disparition d’Esika. Ce moment était voué à faire connaissance, véritablement connaissance. Et c’était définitivement trop amusant pour que je me morfond trop longtemps dans mon chagrin.

L’ombre d’un sourire malin s’imprime sur mes lèvres quand je détecte cet éclat de malice dans son regard. Nous savons tous les deux sur quel terrain de jeu nous empruntons en ce moment. Une danse que nous avions apprise et qui étrangement se retrouve bien. Un fin jeu dont on comprend les tenants alors qu’on tentait de tout cacher aux yeux de nos spectateurs. C’est délectable, je le jure. Je m’amuse. Mes iris ne la lâchent pas du regard quand elle se saisit de son verre. Est-ce pour s’occuper les mains? Pour garder contenant pour ne pas m’envoyer balader? Peut-être que je m’accorde trop d’importance aussi. Qui sait?

L’attitude de Nymeria change complètement quand mon père aborde son voyage et je dois avouer que je ne m’attendais pas à ça, pas du tout. J’ai vu Hydore de mes propres yeux. L’avancement de sa reconstruction est impressionnant, Sylla fait du bon boulot avec ses architectes. Mais d’entendre ainsi que le prince héritier, celui qu’on a pas entendu parler depuis si longtemps réclame sa couronne, l’esquisse d’un sentiment d’injustice pour le bâtisseur me pince le cœur. Je ne sais toujours pas quoi penser du retour de notre défunte monarchie. Disons que jusqu’à maintenant, ils ne m’inspirent pas confiance et que dire de l’envie de les suivre? Probablement plus terrien qu’océanide, le prince Rhyse allait devoir faire des pieds et des mains pour convaincre les plus récalcitrants d’entre nous. Dont moi. Je ne m’en cache même pas.

L’annonce de la perte de la future reine ne me tiraille pas plus que ça, mais elle me peine tout de même. Une mort reste une mort. Elle nous affecte tous quand c’est l’un des nôtre et les océanides ont besoin de tous les effectifs qui reste pour faire front. C’est plutôt le rôle qu’elle allait occuper qui ne me fait ni chaud, ni froid. Mais à détailler les traits de la duchesse, c’était probablement quelqu’un qui lui était cher. « Mes condoléances mademoiselle. Je crois que vous étiez près de cette jeune femme, ce doit être un moment difficile à passer. » Chacun son tour de regretter la disparition de quelqu’un. Je reste silencieux de mon côté.

Pourtant, Nymeria enchaîne avec la consigne claire de consulter sa carte pour se rendre à Hydore. Pour le jeu, j’hoche la tête à l’unisson avec mon paternel. Un avertissement que je prendrai sûrement avec un grain de sel pour l’instant. Parce que j’ai l’habitude de mon chemin, celui emprunté depuis Oshaara. Certes, il n’est pas des plus sécuritaires, mais au moins je le connais, j’y ai mes repères. Mais je me doute bien qu’il vaut mieux jouer la comédie en ce moment. « Comptez-vous créer des alliances avec Hydore, Milady? »

(c) DΛNDELION

Jeu 12 Sep 2024 - 17:41

Comment oublier ton sourire ?

“Ils lui ont pris ses trésors mais c’était juste pour qu'elle ne les attaque pas avec”, qu’il disait. Le regarder se justifier avait quelque chose d’hilarant, tant ses arguments étaient absurdes. Ses gars avaient fait leur job de brigandage, il n’y avait rien d’autre à ajouter. Cela dit, c’était très amusant de le voir tenter de se sortir la tête de l’eau.

“Sans compter qu’aucun de nous ne savait qu’elle était notre duchesse. »

Voilà, enfin un argument censé !

-Ni océanide, tempéra Nymeria qui commençait à craindre que Medjay lui fasse une rupture d’anévrisme.

Des situations comme celle-là, la blondinette en avait expérimenté des tas. Beaucoup ne s’était pas déroulée de manière aussi heureuse que celle-ci. La duchesse gardait un bon souvenir de cette aventure, peut-être l’un des rares agréables de cette époque de sa vie d’ailleurs.

-Quand était-ce ? demanda Callum.
-Une douzaine d’années ? répondit Nymeria.

Son frère réfléchit intensément, essayant de resituer chronologiquement la liste des mésaventures de sa soeur dont elle lui faisait l’écho à chacun de ses retours de voyage. Des histoires, il y en avait beaucoup…

-Oshaara, lui souffla Nymeria.

Voilà, il situait maintenant. Ou pas. De toute façon, elle était sûre qu’il allait la mitrailler de questions incessamment sous peu.

« Mais évidemment, elle est revenue chaque jour leur tendre un petit sac au nez pour s’assurer qu’ils aient bien envie de recommencer. »

-Naturellement, pouffa t-elle. Ils se trouvaient entre ma destination et moi. Règle numéro 1 du code du bandit : “si tu veux gagner le coeur d’un voleur, offre-lui à manger”, inventa-t-elle sur le tas.

Nymeria était revenue et avait tenté de les amadouer gentiment parce qu’elle avait vu que ces gens n’étaient pas des monstres et qu’ils avaient des règles de conduite morale. Une femme esseulée qui se promenait en campagne et qui se confrontaient à des hommes… Ça aurait pu finir de manière dramatique pour elle. Ces types l’avaient relâchée sans toucher à ses vêtements et sans la violenter plus que nécessaire… Ca avait fait cogiter la jeune femme.

-Ah, ça me revient maintenant ! s’exclama Callum.
-Tu es long à la détente, souffla-t-elle à mi-voix, ce qui fit lever les yeux au ciel à son frère. Bref, je ne tiens pas rigueur à ces jeunes gens qui ont fait ce pour quoi ils avaient été missionnés. En revanche, je suis étonnée de ne pas avoir été informée de cette initiative. Ce déploiement était-il de ton fait, Medjay ? s’enquit-elle.

A moins qu’il ne s’agisse d’une initiative personnelle, comme elle s’était demandée un peu plus tôt.

« Tout le plaisir était pour moi. »

Nymeria plissa des yeux et lui lança un regard pénétrant. “Tu ne perds rien pour attendre !”.

Storm.

Nymeria se replongea dans ses vieux souvenirs passés. Le nom lui était familier…
Ça lui revenait. Le visage d’une jeune femme pris forme dans sa tête, sa personnalité… La sympathie qu’elle éprouvait pour elle. Elle avait apprécié Storm. Elle n’avait jamais été une proche, mais elle regrettait sa mort.

-Je me souviens, dit-elle tristement.

Son regard se posa ensuite sur Medjay. Points de mot ; un regard qui en disait suffisamment long. Perdre un proche était un événement dramatique et difficile, perdre un enfant… Ce n’était pas dans l’ordre naturel des choses.

“Monsieur le duc”. Callum ne releva pas au vu du contexte de la discussion. En d’autres circonstances, il aurait certainement plaisanté au sujet de cette petite erreur de titre. Nymeria l’imaginer déjà lancer son “Que tchi, elle est née six minutes avant moi. Les responsabilités sont pour elle !”.

La légèreté revient pourtant, lorsqu’Helios fit son baise main… Et la sérieux reprit finalement sa place avec l’évocation d’Hydore. Elle hocha légèrement la tête lorsque Medjay lui adressa ses condoléances. Il n’y avait rien de plus à dire, elle ne ressentait ni l’envie ni le besoin de s’épancher sur ses sentiments. Ce n’était pas le but de cette réunion.

« Comptez-vous créer des alliances avec Hydore, Milady? »

-Bien sûr, répondit la jeune femme sans sourciller. Comme j’ai eu la volonté de le faire à ce jour avec tous les fiefs océanides rencontrés. Notre peuple a besoin d’unité et nos échanges nous enrichissent tous.

Son soutien envers le prince n’était pas un secret, Medjay était tenu informé de ses choix stratégiques. Ils étaient trop impactant pour l’avenir du duché pour les lui taire. Dès lors que Rhyse avait choisi de faire d’Hydore sa capitale, la question d’un rapprochement avec la Cité ne s’était plus posée.

-Mais avec prudence, néanmoins. Je suppute qu’Hydore s’apprête à devenir une poudrière politique et je tiens à conserver des relations cordiales avec tous les partis. Avec l’avancée des armées puristes sur terre, la recolonisation des fonds marins devient mon entière priorité. Un conflit avec nos paires est la dernière chose que je veux avoir à gérer, nous ne pouvons nous permettre de nous déchirer… Nous ferions le jeu des humains.

La jeune femme se pencha pour déposer son verre à moitié vide sur la table et fit quelques pas sur la terasse.

-Le savoir-faire des Bâtisseurs de l’Ombre nous serait infiniment précieux pour accélérer la reconstruction d’Iskra. J’avais escompté disposer d’années pour préparer une réinstallation progressive, mais dans le pire des scénarios, si les Ozova continuent d’avancer, nous n’avons peut-être que quelques mois, voire moins. Si Ka’hauni tombe, les océanides perdent leur dernier refuge terrestre. Il faudra plonger alors, que nous soyons prêts à accueillir ou non les populations qui trouveront refuge en mer.

Et à nouveau sa tête fourmillait d’informations, d’idées, de projets…

-Quelle est la situation au duché ? demanda-t-elle aux garçons. Du nouveau depuis ton dernier rapport ? s’enquit-elle auprès de son général.

Codage par Libella sur Graphiorum

Jeu 12 Sep 2024 - 23:53

Comment oublier ton sourire?

@Nymeria Calestis

« En effet. » Est-ce que le fait d’avoir su que Nymeria était une océanide aurait changé le comportement que nous avions eu à son encontre? Probablement pas au départ, pas tant que nous n’aurions pas été convaincu que nous pouvions lui faire confiance. Après tout, l’escouade ne fonctionnait que sur ce principe fondamental. Bon quelques autres aussi, mais celui-là était absolument primordial. Mon regard fait la navette entre le frère et la sœur pendant que Callum tente de remonter la frise du temps. Je pince doucement mes lèvres ensemble. Est-ce qu’elle lui racontait tout ce qui lui arrivait en tout temps? Mon sourcil s’arque quand elle pouffe de rire et je ne peux m’empêcher d’en souffler un par mon nez. Mes épaules se soulèvent d’un air un peu nonchalant, dodelinant un peu de la tête. « Tsss Voleur, voleur. Le mot est fort quand même. » Même si c’était quand même ce que je faisais. « Ouais ça aide en vrai pour passer la porte d’entrée. » Le soupir de mon père me parvient en arrière-plan. Je me doute qu’il préférerait que je me taise, mais je ne peux pas m’empêcher d’en rire. Mais lui il n’agit ainsi que parce qu’il voit la duchesse devant lui, pas une inconnue qui s’est présentée à notre porte. Elle aurait pu faire un max de dégâts si nous n’avions pas pris nos précautions.

L’illumination du jumeau qui tire une remarque insolente à sa sœur me fait ricaner sans son. Ils sont amusants, ça je ne peux pas le nier. Ils semblent faire un bon duo. Et alors qu’on s’adresse à lui, mon père se racle le fond de la gorge et se raidit dans sa position. « Non Mademoiselle. Mon fils a pris cette initiative sans même que j’en sois mis au courant. Sinon je ne l’aurais pas autorisée sans vous en avoir préalablement parlé. » Discrètement, je joue du talon contre le sol. Je me souviens de toutes les démarches que j’ai faites en catimini dans le dos de mon père pour recruter les premières personnes qui nous accompagnerait. Je suis quand même parti avec deux de ses filles et sa nièce. Elles m’ont suivi avec un entrain et un enthousiasme contagieux, alors que je laissais mon frère derrière, lui à qui j’en avais pas glissé un mot. Il aurait eu tôt fait de me vendre à notre père pour stopper ma mission humanitaire. Mais c’était pour moi une façon de survivre à toute cette vie et surtout faire quelque chose pour les nôtres pendant que tout le monde était au même point mort. Je n’ai jamais eu de regret face à ces deux années-là, malgré les pertes… sauf pour Noctua.

Un sourire insolent s’invite sur mes lèvres alors qu’elle me fait clairement comprendre que si elle a l’occasion, elle m’en fera voir de toutes les couleurs. Une part de moi à envie de voir ça. Une grande part, sans que je puisse vraiment me l’expliquer en fait. Cette rencontre se dessinait doucement à la hauteur de mes nouvelles attentes, mais je devais quand même la jouer fine. Je ne pouvais pas permettre à mon père de penser qu’il s’était trompé sur mon cas. Parce que même son intention de m’avoir la main de la duchesse commence à être beaucoup plus intéressante que ce que j’avais d’abord cru.

Comme mon père s’enfonçait doucement dans les questions pratiques, je me retourne dans l’optique de m'asseoir et pourtant, je m’arrête face à un bibelot de forme ronde. Je le saisis dans ma main, soupèse l’objet et je le lance à une très courte distance de ma paume pour la rattraper. Je me positionne de façon à pouvoir observer toutes les émotions qui traversent les iris de mon paternel. Ouais, l’air de rien, il est en train d’échafauder son plan. Il cherche à grappiller les informations pour pouvoir me vanter. Je le connais trop bien maintenant. Je connais ses humeurs, je sais exactement ce que veut dire un regard comme un geste qui peut paraître absolument anodin aux autres. Et ça, c’est absolument sa faute, il m’a élevé comme lui, c’est facile à décoder.

J’écoute les réponses de Nymeria sur Hydore tout en jouant avec la boule que je n’ai toujours pas lâchée. Je crois comprendre où mon père veut aller avec ses idées, mais je n’oserais même pas prétendre à ce qu’il se passe entre ses deux oreilles. Je suis persuadé qu’il finira par m’en glisser un mot, surtout si, comme il prétend, il veut doucement me donner plus de responsabilité dans l’espoir qu’un jour je lui succède. Toujours est-il que d’avoir un coup de pouce de la part des bâtisseurs d’Hydore pour la Mer de Corail, ce ne serait pas de refus. Trop peu d’océanides maîtrisent réellement leur pouvoir et nous avons surtout développé le côté pour se défendre. Reprendre la cité aux créatures marines est tout sauf un jeu d’enfant.

Je lance un regard à mon père alors que je croyais qu’il se lancerait dans des explications en long et en large sur ce qui se passe sous l’eau, mais tout ce que je rencontre sont les deux billes brunes qui me dévisagent. C’est parce que je joue avec la boule ou parce qu’il veut que je m’en mêle? C’est comme ça qu’il espère que je prenne ma place? Je garde le silence quelques secondes avant de comprendre que c’est bel et bien à moi de jouer. « Il y a eu trois attaques majeures de prédateurs près d’Iskra. Nous avons dû tenter de mettre plusieurs personnes à l’abri pour éviter des dégâts majeurs dans l’armée. Il faut dire que les bêtes étaient particulièrement enragées. Il est difficile de savoir exactement, mais l’une d’entre elle était blessée. J’ai commencé à mener une petite enquête et tout me porte visiblement à croire que des navires s’amusent à maltraiter certaines créatures. Peut-être pour espérer nous atteindre dans les profondeurs, mais la lumière n’a toujours pas été faite à ce sujet. Pendant que nous sommes ici, deux personnes ont pris la relève pour qu’il n’y ait pas d’interruption et surtout pour espérer que les coupables puissent être mis hors d’état de nuire. » Et pour la peine, j’aurais aucun souci de couler un navire au beau milieu de la mer et d’y noyer les occupants. Mon père hoche doucement la tête puis prend la relève avec un tas d’autres sujets qui nécessite l’attention du noble duo.

Les minutes s’avalent rapidement, les sujets qui doivent être traités s’enchaînent les uns après les autres dans une routine bien huilée. Après tout, mon père en a fait un tas de rencontres du genre. Autant avec eux qu’avec leurs parents avant eux. Mon subconscient prend des notes, mais ce n'est certainement pas la partie la plus excitante du poste de mon père. J’en comprends son importance, ça ce n’est pas un souci, mais reste que ce n’est pas palpitant. À l’occasion je glisse quelques mots ou je rectifie certaines situations où j’ai été plus impliquée qu’à d’autres. Après tout, mon père ne peut pas être partout. Après une grosse heure et quelques d’échanges, on en arrive à une certaine conclusion. Mon entre temps, j’ai eu le temps de poser la boule, de faire quelques centaines de pas pour retirer l’ankylose de mes jambes ainsi que de m'asseoir et me relever un nombre important de fois. On dit que l’oxygénation du cerveau passe par l’activité physique, je m’assurais juste d’être alerte en tout temps… Ou de m’occuper en même temps. Surtout que bon, au final, ce n’était pas moi qui étais le principal concerné en tout temps.

Mon père se relève donc de son siège qui a sans aucun doute pris la forme de son cul et rattache le bouton de sa veste. Il a fière allure, je ne lui enlèverai pas sa prestance. Il tend sa main à Callum d’abord puis fait un baise-main à Nymeria. Il se retourne vers moi dans l’optique même où il espère me voir lui emboîter le pas. Je lâche un regard éloquent à Nymeria, mais je ne répète pas l’expérience du baise-main, faut pas exagérer. « Bon repos, Mademoiselle la Duchesse. » lâchais-je avec une toute petite pointe d’arrogance. Je salue convenablement Callum et je me lance à la suite de mon père dans ce petit palais. Évidemment, je ne passe pas à côté du fait de me faire cuisiner par mon père. Et il n’y va pas de main morte. Il tente de tout savoir, mais je préfère encore garder mon jardin secret. Il y a des choses que je préfère qu’il ne sache pas tout de suite, voire jamais. Nous trouvons refuge dans nos chambres afin de pouvoir nous reposer et vaquer à d’autres occupations. Mon père se lance alors dans des rencontres, profitant de ce moment pour se mettre à jour avec d’autres de ses hommes, mais aussi pour visiter de vieux visages qu’il connaît.

De mon côté, j’ai passé du temps à explorer puisque ça faisait tout de même un moment que j’avais mis un pied à Ka’Hauni. J’en profite même pour sortir et profiter des environs et surtout de la mer en fin de périple. Quand mon ventre me crie famine deux heures plus tard, je me rends compte qu’il est temps pour moi de rentrer. J’extirpe ma carcasse de l’eau et je récupère mes vêtements que j’ai laissé traîner à proximité. Sans trop me soucier de les détremper, je les enfile et je glisse une main dans mes cheveux pour retirer l'excédent d’eau de ceux-ci en marchant vers l’enceinte protégée. Je me repère rapidement, mais après quelques couloirs, une autre idée s’infiltre dans mon esprit. Je trouve quelqu’un pour me renseigner où se trouve ma duchesse. Je me sers dans un plateau dans lequel des fruits traînent, croquant dans une pomme en suivant un domestique qui m’entraîne à sa suite. Il me laisse dans un endroit ouvert et Nymeria un peu plus loin. Ce serait mentir que de dire que je n’ai pas admiré la vue quelques secondes avant de me lancer dans une nouvelle discussion. « Tu as deux minutes? J’aimerais te parler d’une initiative sans devoir passer par mon père. » Et prendre réellement de ses nouvelles, mais ça… c’était mieux avec un prétexte d’abord. Mais un bon prétexte, un truc réel quand même.

(c) DΛNDELION

Dim 22 Sep 2024 - 20:44

Comment oublier ton sourire ?

Dans la soirée

La réunion s’était terminée sans accroche, le fils de Medja avait participé activement aux échanges. Installée dans son patio, confortablement assise sur une pile de longs coussins d’assise installés au sol, Nymeria tenait un carnet rempli de notes dans sa main et jouait de l’autre avec une petite peluche faite au tricot qui ressemblait à une patate informe avec des yeux. Ses pensées, elles, ressassaient.

Des attaques de prédateurs, des hypothèses concernant des marins un peu trop malins pour leur propre bien… Nymeria avait bien entendu encouragé l’enquête et la mise à mort, le cas échéant, des coupables une fois la lumière apportée à cette affaire.

“C’est une sphère de motricité”, avait soufflé la sirène à Helios alors qu’il jouait avec une balle. La paume de sa main s’était ouverte et elle avait mobilisé sa magie pour attirer l’objet à elle. “Elle est remplie d’eau. Nous l’utilisons pour aider les enfants à renforcer leur affinité avec l’élément aqueux… Ou avec les plus grands qui nous arrivent déracinés et incapable d’utiliser leur pouvoir”.

La réunion s’était finalement terminée, Nymeria était restée un moment pour échanger avec son frère pendant que les deux autres hommes s’éclipsaient. Plus tard, la sirène avait cherché Helios, en vain. Le triton avait disparu, ce qui avait fortement agacé la belle. Elle avait des questions à lui poser. La fuyait-il ?

Après avoir mangé, Nymeria avait trouvé un prétexte pour se retirer, laissant le plaisir à son frère et sa petite famille de gérer les mondanités avec les invités, et elle avait fini par chuter dans un patio où elle aimait se rendre pour s’accorder des moments de repos. L’endroit était abrité aux regards, isolé, elle s’y sentait bien.

Il faisait nuit et seule une petite bougie répandait une mince lumière. Nymeria avait toujours été fascinée par le feu, cet élément si indispensable à la vie terrestre et incompatible avec celle de la mer. La lueur d’une chandelle la détendait.

« Tu as deux minutes? J’aimerais te parler d’une initiative sans devoir passer par mon père. »

Les yeux de la blonde se relevèrent pour se poser sur la silhouette du nouvel arrivant.
Mouillée.
Evidemment, la mer… Elle ne l’avait pas trouvé car il avait quitté le domaine pour aller nager. Si elle avait pu en faire autant aujourd’hui… songea t-elle envieuse.

-Je t’en prie, Khaos, dit-elle en lui faisant signe vers les coussins où il avait tout le loisir de prendre place.

Ses yeux ne le quittèrent pas. Elle l’observait, curieuse, pleine d’interrogations sur cet homme et ses intentions… Perturbée. Nymeria avait apprécié sa compagnie, jadis. Un peu trop peut-être. Mais cela faisait plus d’une décennie… Beaucoup de choses s’étaient passées depuis. Elle l’avait enterré, fait le deuil de son amant. Revoir ce visage aujourd’hui, c’était comme ouvrir une fenêtre nostalgique sur son passé. Une époque certes dure où elle se construisait à peine, mais où elle était libre. Tout était devenu plus compliqué depuis que des humains et des shamans avaient réussi à pénétrer le coeur de Fedja. Son devoir envers son peuple pesait plus lourd que jamais sur ses épaules.

-Tu as enfin décidé d’arrêter de te cacher ? le charria-t-elle.

Oh, elle n’allait pas le louper. C’était de bonne guerre.

Nymeria avait tellement de questions qu’elle ne savait pas par où commencer… Pourquoi avait-il fait dissidence avec son père, pourquoi y était-il retourné, que devenait-il depuis toutes ces années, pourquoi avait-il choisi de se présenter à elle aujourd’hui alors qu’il l’avait toujours esquivé jusqu’à présent… ?

-C’est pas mal, la barbe. Ça fait… Plus mature, souffla-t-elle en se pinçant les lèvres pour ne pas rire.

Mature, Tu parles ! Helios n’avait pas cessé de la défier cet après-midi. Son petit doigt lui soufflait qu’il allait lui en faire voir de toutes les couleurs. Une part de la duchesse s’amusait de cette situation improbable, l’autre s’inquiétait de la tournure que ça allait prendre. C’était une chose de lui tenir tête dans l’intimité, mais si cette énergumène de bandit décidait subitement de se rebeller en public et de saper son autorité…

Ceci dit, ce nouveau look qu’il portait ne lui allait pas mal. Une énergumène séduisante au caractère bien trempé…

Qu’allait-elle faire de lui ? se demanda-t-elle dépitée.

-Je t’écoute, de quelle initiative veux-tu parler ?

Codage par Libella sur Graphiorum

Ven 27 Sep 2024 - 3:34

Comment oublier ton sourire?

@Nymeria Calestis

L’esquisse d’un sourire amusé s’étire sur mon visage. Ce nom, je ne l’ai pas entendu depuis un moment déjà. Fut un temps où il faisait partie de mon quotidien lorsque je vivais sur Oshaara avec mes hommes, mais depuis que nous avions retrouvé la mer, c’était fort différent. Ce nom n’était qu’un code, qu’un pseudo visant à ne pas faire de lien entre le bandit et le fils de commandant d’armée que j’étais. Il visait à ce qu’il soit impossible de retrouver ma trace s’il le fallait. Aujourd’hui, il servait à l’occasion dans certaines missions ou encore quand certaines personnes étaient tant habituées à ce nom qu’ils n’utilisaient pas celui qu’on m’a donné à la naissance. « Helios fait aussi tu sais. » Une pointe de moquerie, rien que pour la faire marcher. Nymeria fait partie de ces personnes qui n'ont connu que mon pseudonyme. Elle ignorait avant quelques heures qui j’étais réellement. Ça ne m’amuse que d’autant plus, je dois bien l’avouer.

Je glisse une main dans mes cheveux pour les renvoyer vers l’arrière et dégager mon visage des quelques petites mèches rebelles. Je m’avance sur ce patio en observant ce qui se trouve autour de moi et je peux comprendre pourquoi elle se trouve ici. C’est aéré, c’est grand, c’est luxueux tout en étant chaleureux. Pourtant, mon regard revient rapidement à cette jolie blonde qui se trouve dans la même pièce que moi. Une amante qui a fait vibrer mon âme par le passé et que j’ai cru disparue à jamais. « Ha. Ha. Ha. Très drôle! » lâchais-je sarcastiquement. « Je ne me cache jamais moi! Je suis simplement allé me dégourdir les jambes après une rencontre interminable et découvrir ce coin de paradis qui est le tien. » Mes bras s’ouvrirent un peu en croix pour désigner la place. Il me semblait que ça faisait des siècles que j’avais mis les pieds à Ka’Hauni. Parce qu’à l’image de tous les Océanides après la guerre, j’ai fait mon séjour sur terre et sur cette île. J’y ai grandi pendant une dizaine d'années, apprenant essentiellement à me battre et à me familiariser avec la bipédie. Un apprentissage, ma foi, douloureux quand je repense à la sensation du sable sous mes pieds les premières fois. On aurait dit des morceaux de verre tranchants et brûlants. C’était tout bonnement horrible. « Mais je pourrais dire que toi tu te caches. N’es-tu pas supposée être aux mondanités que présente ta famille? » J’incline la tête sur le côté, un éclat de provocation dans le regard.

Rapidement, un rire me traverse devant son… compliment? Un compliment ou un compli-merde? Je ne saurais pas dire exactement. Mais chose certaine, c’est vrai que lorsque je l’enlève, je n’ai pas du tout la même tête. « C’est pour pouvoir impressionner la duchesse et espérer qu’elle accepte de me donner le poste de mon père quand il décidera qu’il en aura assez. Ce qui va sans dire qu’il risque de crever à son poste en fait. Mon père ne pourra jamais se retirer et rester sain d’esprit. » J’hausse les épaules d’un air nonchalant devant son constat. Ça me semble être une triste réalité, d’autant plus que nous sommes tous suffisamment vieux maintenant, qu’il n’a plus vraiment personne à s’occuper s’il lâchait son poste. « Alors, dis-moi, ça fonctionne? » Je lui adresse un sourire ravageur, destiné à la faire réagir. Parce que c’est drôle. Parce que c’est ce que nous avions fait et que nous faisons encore, visiblement.

Je m’avançai un peu plus dans la pièce, m’arrêtant à quelques pas d’elle. Maintenant qu’elle en avait terminé avec ses provocations, j’allais pouvoir me lancer dans ma requête. « Sache que même si tu la refuses, je le ferai quand même. C’est qu’une formalité pour éviter que mon père ne m’arrache la tête. » Un sourire en coin s’étire à nouveau sur mes lèvres. Je n’ai pas un réel problème avec l’autorité, mais quand je suis convaincu de faire la bonne chose et celle qui doit être faite, il va de soi que je ne m’arrêterai pas en bon chemin. « Je veux retourner sur Oshaara. La piste de ceux qui s’en prennent aux grands prédateurs y remonte. J’ai pu les traquer un moment sous l’eau et je sais quel navire ils empruntent. Je veux y aller avec une petite équipe, tout au plus quatre personnes. Et s’il le faut, je vais couler ce navire ainsi que ses occupants. » Cette fois, je me montre sérieux. Parce que la sécurité des profondeurs n’a pas de limites et que si nous voulons réhabiter sous l’eau, la capitale doit redevenir sécuritaire et nous devons recommencer à vivre en harmonie avec les bêtes. « Mon père ne me laissera pas y aller parce qu’il juge que ce n’est pas à moi d’y aller, mais je détiens plusieurs informations. Donc si j’ai la duchesse derrière moi qui accepte cette escapade, il ne pourra pas me dire non. » Je m’avance pour réduire un peu la distance entre nous, n’y laissant qu’un pas avec un air qui se veut adorable. Enfin, aussi adorable que je puisse vraiment l’être. « Alors. Est-ce que j’ai l’accord de ma duchesse? » De toute façon, elle est prévenue que je vais le faire qu’advienne de sa décision. Surtout que bon… déjà que je crois peu en la noblesse, ce n’est que parce que je la connais un tant soit peu que j’accepte de ne pas totalement faire qu’à ma tête à ce sujet.

Sans même me reculer, je reste à cette distance ambiguë. Une distance que je sais que je n'ai pas le droit de tenir. C’est un jeu. Pur et simple. C’est une façon aussi de la tester. Je faufile ma langue sur mes lèvres pour les humidifier et je détourne très légèrement la tête pour faire mine de regarder tout ce qui nous entoure avant d’en revenir à elle. « Je ne croyais pas que tu étais du genre à aimer tout ce luxe et ces petites attentions réservées aux nobles vu comment tu t’étais acclimatée au fort. Est-ce que cette fille existe toujours? »

(c) DΛNDELION

Ven 27 Sep 2024 - 19:07

Comment oublier ton sourire ?

-Un joli nom Helios, solaire, dit-elle songeuse.

Nymeria reposa le carnet qu’elle tenait sur le côté avec un soupir léger. Il faudrait qu’elle s’habitue à cette nouvelle nomination. Ca allait prendre un moment pour se faire à l’idée que cette figure de son passé et le fils de Medjay ne formaient qu’une seule et même entité.

-Une rencontre interminable, hein…

La jeune femme eut un sourire ironique. L’homme de terrain avait visiblement bien peu de patience et de diplomatie. Elle était comme lui, jadis. Elle l’était toujours, au fond, mais elle avait appris à faire avec. C’était ce qui était attendu d’elle et de ses fonctions, les responsabilités ne pouvaient aller sans cette part de relationnel et d’administratif. Fort heureusement, Callum la déchargeait beaucoup, lui permettant de mener ses opérations dans l’Archipel et de s’échapper quand elle avait besoin de souffler.

-Oui… C’est un beau sanctuaire, relativement paisible. Dommage que le reste de l’Archipel ne soit pas à son image, souffla-t-elle.

Ce n’était pas aux paysages auxquels elle pensait, tous les duchés terrestres comptaient leur lot de beauté même si Ka’hauni avait un cachet très particulier.. Mais il y avait si peu d'endroits où les océanides étaient en sécurité et traités dignement…

-Tu n’es pas nostalgique ? Tu as vécu un moment ici avant de regagner la mer, s’enquit Nymeria, curieuse.

Elle soupira.

-J’ai fais acte de présence. Il est tard, la journée a été longue, dit-elle en tripotant machinalement sa petite peluche difforme.

La belle l’écouta attentivement alors qu’il lui présentait son désir de prendre le poste de son père quand ce dernier déciderait de prendre sa retraite.

-C’est pour ça que tu es venu ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils, analytique. Pour te faire connaître parce que tu aimerais prendre la succession ?

Rien d’illogique à cela, la famille de Medjay avait historiquement compté de nombreux sirènes et tritons d’armes décorés, la tradition voulait que les héritiers soient pressentis pour commander l’armée ducale. La situation n’avait cependant rien d’habituel, tout avait changé depuis le génocide. Aujourd’hui ils n’étaient plus qu’une poignée à lutter pour survivre et donner une chance aux leurs de reconstruire, la monarchie s’était effondrée et ce qui s’apparentait à une armée ne ressemblait en réalité guère plus qu’à quelques poignées de résistants dispersées en mer et sur terre.
Nymeria avait un grand respect pour les traditions et son héritage culturel. Elle savait aussi qu’Helios s’était impliqué pour la Mer de Corail ces dernières années… C’était bien assez pour lui laisser une chance de faire ses preuves.

La perspective que Medjay puisse être tenté de se retirer l’inquiétait, cependant. la duchesse donnait sa pleine confiance à très peu de gens, il lui fallait du temps pour construire un tel lien, et le général était l’un de ces piliers de son existence avec qui elle évoluait les yeux fermés. Le perdre la forçait à reconstruire un nouveau lien avec une autre personne, c’était un exercice difficile pour elle. En ces temps troubles, engager le combat contre un tarasque lui paraissait moins angoissant que de perdre l’un de ses bras droit. Mais la passation se ferait progressivement, tenta-t-elle de se rassurer.

« Ce qui va sans dire qu’il risque de crever à son poste en fait. Mon père ne pourra jamais se retirer et rester sain d’esprit. »

-C’est quelqu’un qui apporte énormément à notre peuple, répondit Nymeria avec un sourire. Les personnes les plus investis sont celles qui ont le plus de mal à lâcher prise.

Si c’était la volonté de Medjay de se retirer de ses fonctions, la duchesse ne doutait pas un instant qu’ils sauraient lui trouver une autre manière de se rendre utile en le déchargeant des grosses responsabilités. Il lui faudrait en discuter personnellement avec l’intéressé plus tard.

-Suis-je impressionnée par les barbes ? Hmmm… fit-elle mine de réfléchir avant de rire.

Et voilà qu’il lui faisait un numéro de charme ! Elle se mordit la lèvre et secoua la tête.

-Si nous étions au milieu des pierres et des ruines, j’aurais l’impression d’être revenue quelque part, disons… douze ou treize ans en arrière. C’est perturbant, plaisanta-t-elle.

Un fantôme là, juste sous ses yeux…
Une illusion qui la rendait un brin nostalgique. La vérité, c’est qu’elle ne connaissait cet homme et ce qu’il était devenu ces dernières années qu’au travers de quelques on-dit : rumeurs, réputation… Helios ne bénéficierait d’aucun traitement de faveur, mais ces retrouvailles impromptues l’amusaient autant qu’ils lui faisaient plaisir. La duchesse se réjouissait d’apprendre qu’il avait survécu.

La suite de ses propos douchèrent pourtant rapidement son enthousiasme. Nymeria l’écouta exposer son projet avec attention, incrédule. En d’autres circonstances, elle aurait probablement approuvé cette demande une fois tous les détails en main, y aurait même vu une opportunité de mettre Helios à l’épreuve, mais sa manière de présenter les choses…

-Très bien… Je résume, dit la jeune femme sans se laisser démonter par la promiscuité qu’il lui imposait. Tu court-circuites l’autorité de ton père en venant directement me trouver, pour me demander l'autorisation de t’engager sur une mission que tu as, de toute façon, l’intention de mener avec ou sans mon accord… Le tout après m’avoir présenté ta demande de prendre la succession de Medjay, la plus haute autorité militaire ducale qui répond directement à mes ordres... Si c’est une plaisanterie, je la trouve de très mauvais goût.

En enrobant le tout de beaux sourires pour faire passer la pilule. Est-ce que ça marchait avec les autres, il jouait des numéros de charme pour obtenir ce qu’il voulait ? Helios s’était gentiment moqué d’elle cet après-midi, discrètement, et elle en avait fait autant. Un jeu, avait-elle pensé, et elle s’en était amusée. Mais ils ne jouaient plus là, ils parlaient travail et il débarquait en territoire conquis en défiant ouvertement son autorité. Comment pourrait-elle jamais lui faire confiance pour travailler avec lui s’il se comportait ainsi d’entrée de jeu ?

Nymeria soupira et se pencha pour attraper son verre de vin à moitié rempli, abandonné près de son carnet.

« Je ne croyais pas que tu étais du genre à aimer tout ce luxe et ces petites attentions réservées aux nobles vu comment tu t’étais acclimatée au fort. Est-ce que cette fille existe toujours? »

-Tu essaies de recoller l’image que tu avais de moi avec celle que tu vois maintenant ? demanda-t-elle en lui jetant un coup d'œil en trempant ses lèvres dans son verre.

Sacré décalage… Ses yeux se perdirent dans la contemplation de la bougie qui fondait tout doucement. Les étoiles brillaient au dessus de leur tête, quelques grillons chantaient. La belle saison arrivait.

-Quand ma mère est morte et que la situation s’est stabilisée ici, j’ai compris que je ne pourrai concrétiser aucun de mes projets avec les ressources dont je disposais. Je suis partie traquer des légendes, cartographier, explorer et dénicher des trésors. Ça fait treize ans que je m’y consacre. Et quand je ne suis pas en mer ou sur terre à courir après l’aventure et les richesses, je suis ici ou chez nous, dans la Mer de Corail, à enchaîner les rendez-vous et à faire de la politique. Et toi, Helios ? Je ne sais pas grand chose de toi, de toute évidence. Comment le fils de Medjay s’est-il retrouvé à brigander à Oshaara ?

Codage par Libella sur Graphiorum

Mar 1 Oct 2024 - 5:37

Comment oublier ton sourire?

@Nymeria Calestis

Mes dents s’enfoncèrent légèrement dans l’intérieur de ma joue alors que mon regard observa ce qui se trouvait autour de moi. La représentation que je me faisais de Ka’hauni ne ressemblait pas exactement à celle qui se trouvait devant moi. Nostalgique? « Pour tout dire, j’en sais rien. » Parce que sans dire que j’avais le mal de terre, je savais que je me sentais fort mieux dans l’eau, que c’était plus naturel, mais je comprenais très bien les avantages de notre condition. La terre n’était pas toujours synonyme de chaos, elle pouvait être belle et méritait d’être découverte. « Dans les meilleurs jours, je dirais que oui, peut-être un peu. » Notre séjour sur Ka’hauni avait d’abord été marqué par la tristesse et le deuil. Nous avions doucement apprivoisé la vie terrestre, souffrant de la transformation humaine. Le sable, coupant comme des lames de rasoir sous nos pieds, brûlant à souhait, n’avait rien de très agréable avant d’apprendre à gérer la sensation. Calquer les mimiques des humains et surtout leur langage pour ne pas se faire prendre avait été une épreuve aussi. Mais à cela, mon père nous avait imposé une éducation rigide et militaire visant à ce que nous sachions nous défendre en toutes circonstances. Il y avait bien eu quelques années qui avaient été sympathiques. Découvrir l’île, les différentes fêtes et toutes les autres richesses qu’elle avait à offrir, c’était certain que ça valait la peine, mais avec ma famille, toute bonne chose à visiblement une fin et pour nous, ç’a été la grossesse de ma cousine. À partir de ce moment, ç’avait été retour à l’eau express.

Un air amusé dépeint mes traits alors qu’elle mentionnait une longue journée. Je ne pouvais qu’imaginer à quoi pouvait ressembler son quotidien. Le manque d’action pouvait faire mourir d’ennui n’importe qui, moi le premier. L’imaginer assise à des sofas pour discuter avec un tel et un autre encore, je ne pouvais que l’applaudir de réussir cet exploit. Mais en l’entendant faire la présentation de ma propre présence aujourd’hui, je ne pus m’empêcher de dodeliner de la tête. « Entre autres oui. C’est surtout un plan de mon père de vouloir que je lui succède et il se dit que la meilleure façon d’y parvenir c’est de commencer à me faire reconnaître par nos dirigeants, donc toi. » Assurément, ce pouvait être un poste relativement simple à obtenir. Objectivement, je ne savais pas encore si je caressais véritablement les mêmes ambitions que mon père. Le poste était intéressant et permettait une incroyable reconnaissance, mais il s’agissait aussi de mener, de diriger tout ce beau monde. Oh, non ce n’est pas ce qui m’effrayait, mais il fallait quand même être à la hauteur quoi… Mes prunelles étudiaient attentivement la duchesse devant moi, tentant de capter son ressenti quant à cette idée, avant même qu’elle ne formule une pensée quelconque.

Mes iris se soulevèrent vers le plafond sans que je puisse les retenir. J’étais très au courant que mon père apportait beaucoup à notre peuple, particulièrement ceux de la Mer de Corail. Il avait tenté d’être là en toute circonstances. Il était aimé des autres océanides et il représentait la force et même la résilience vue tout ce qui nous était arrivé. Mais la certaine rigidité dont il avait fait preuve à l’égard de sa progéniture même si elle nous avait été fort utile, personne ne le niera, a aussi créé des sentiments contradictoires envers l’autorité. Son incapacité à lâcher-prise sur son travail, sur sa capacité à faire preuve de douceur avec nous avait été responsable de mon comportement rebelle à l’adolescence et même qui persistait encore aujourd’hui. De l’extérieur, il avait l’air d’un sain, de l’intérieur, il était un pilier, une force brute, un père aimant aussi, mais il était aussi une source de frustration. Combien de fois aurais-je eu envie de le prendre par les épaules pour le secouer de toutes mes forces? Combien de fois aurais-je eu besoin de mon père et non pas du commandant des armées ducales? Un modèle, un roc, un pilier. Il était tout ça. Mais il oubliait parfois qu’il était tout aussi humain que nous et qu’il avait le droit de flancher.

Cette fois, la nostalgie m’atteignit doucement après qu’un rire m’ait secoué. Le simple fait d'évoquer le souvenir d’il y a une douzaine d’années était suffisant. Il y avait une tonne de souvenirs d’emmurer dans les murs de ce fort à Oshaara. Aussi beaux que mauvais, mais ceux associés à Nymeria étaient loin d’être négatifs. Ce serait mentir que de dire que je ne les ai pas gardés précieusement dans un coin de ma mémoire. Cette fille avait hanté mes souvenirs des semaines durant, espérant souvent la voir reparaître au bout du petit chemin qui menait au fort, mais après un certain temps j’avais été confronté à son absence. J’en avais déduit qu’elle était passé à autre chose ou qu’elle était finalement parvenue à mettre la main sur son dit trésor. Mais jamais il ne me serait venu à l’esprit qu’elle serait la duchesse de la Mer de Corail. Jamais je n’aurais cru que c’était précisément la fille de laquelle mon père espérait m’obtenir la main. Une sacrée circonstance, un sacré coup du destin. « Tu parles… J’avais du mal à croire ce que mes yeux voyaient tout à l’heure. » Parce qu’elle avait changé, mais elle était toujours reconnaissable. Plus vieille, plus jolie encore que les souvenirs fanés que j’avais gardés, mais toujours aussi vive d’esprit.

Alors qu’elle reformulait mes paroles comme elle les avait comprises, je me rends bien compte que c’était peu glorieux comme façon de demander la permission sans réellement la demander. Je me forçai à prendre une grande inspiration et j’humidifiai mes lèvres avant de reprendre la parole, d’un ton plutôt posé. « Je ne plaisante pas. Mais je n’ai pas non plus envie de servir de décoration pour mon père. Il voudrait que je prenne sa place éventuellement, mais comment est-ce que je peux prendre sa place si je ne peux pas prouver ma valeur avant? Qui voudrait me suivre en ignorant ce que je peux faire? Je suis d’accord, ce n’était pas adroit comme façon de demander, mais je n’ai pas envie de rester là à regarder les autres faire. D’autant plus que j’ai vu ce qui s’est passé. Ce serait fou de passer à côté d’une telle opportunité en la confiant à d’autres. » Je devais bien reconnaître que je n’avais plus le poids des décisions dans mes mains ici, même s’il m’était difficile de le céder complètement. Si je voulais me mettre Nymeria dans la poche, j’allais devoir la jouer plus finement. Je ne comptais pas l’implorer, mais j’espérais surtout qu’elle en viendrait à comprendre mon point de vue dans toute cette histoire. La pointure que mon père allait laisser derrière lui allait en être une sacrée à remplacer. Et si par chance – ou pas – on me prenait pour le rôle, il fallait impérativement que je sois à la hauteur. Sinon j’allais mourir de honte et il n’en était pas question. J’étais beaucoup trop fier et orgueilleux pour me planter en beauté.

Observant ses gestes, je me reculai de quelques pas, glissant ma main contre ma nuque pour la masser doucement. Sans le vouloir, mes paupières se plissèrent un peu sous sa question et je renversai la tête quelques secondes pour observer le ciel étoilé. « J’avoue que c’est perturbant comme changement d’image. Disons… radical surtout. » Mon regard passa d’une étoile à l’autre avant de s’abaisser à nouveau sur la duchesse. « Je crois que je me demande si je reverrai la fille du fort ou si je ne croiserai qu’à jamais la duchesse. » Parce que même si elle pouvait se targuer d’être la même personne, ce serait totalement différent. « Je ne m’attendais pas du tout à te croiser quand mon père m’a demandé de l’accompagner. Je m’attendais à un petit doigt en l’air en buvant une tasse de thé et aux manières affreusement distinguées. » Je ne doutais pas qu’elle puisse en avoir, elle aussi. Mais mes souvenirs n’étaient que ceux du fort et elle n’avait pas été tout en manière et en principes précieux. Elle m’avait semblé humaine, chaleureuse malgré une forte tête. Je devais avouer qu’une partie de mon esprit était désormais perdu devant elle.

Je glissai ma main dans mes cheveux humides en écoutant son histoire. Chaque Océanide avait vécu des pertes, tôt ou tard. Nymeria avait eu la chance de garder sa mère un peu plus longtemps que je n’avais eu la mienne, mais là encore, elle l’avait perdue beaucoup trop tôt. « Je suis désolé pour ta mère. » Je l’étais et ce n’était peut-être plus autant de circonstance que ça l’avait été par le passé, mais j’étais sincère. La perte d’une mère était absolument horrible. Mais je comprenais aussi, par son discours qu’elle n’avait jamais abandonné la Mer de Corail comme je l’avais jadis cru. Elle était seulement jeune et surtout sans ressource quand elle avait récupéré le duché et depuis, elle travaillait de son mieux pour retrouver le tout. « Par rancune, par rébellion. » Je passai ma main contre ma barbe en réfléchissant au mieux dans quel état d’esprit j’étais à ce moment-là. Je n’étais pas convaincu de lui faire bonne figure avec cette histoire, mais en même temps je ne pouvais pas m’en vouloir pour ce que j’avais ressenti à ce moment-là. « À l’époque, mon père nous obligeait à rester sous l’eau parce qu’il croyait que c’était plus sécuritaire que la surface. Il craignait tellement qu’il nous arrive quelque chose qu’il y avait une lueur de folie dans son regard dès qu’il savait que nous nous étions aventurés près d’un bout de terre. Il ne cessait de nous dire que des plans viendraient, mais tout ce que je savais à ce moment-là, c’était que notre duchesse était morte. C’était difficile d’imaginer un avenir quelconque avec une figure d’autorité décédée. » Je m’arrête quelques secondes en plissant le nez à imaginer que c’était elle que j’avais cru morte. « Alors j’ai voulu être utile, j’ai voulu faire bouger les choses et aider les résistants de la Mer de Corail à ma façon. J’avais aussi envie de faire payer les esclavagistes et les marchands qui n’ont aucune loi autre que celle de l’argent. Il y avait autant une part de vengeance personnelle que l’envie de m’émanciper de mon père et celle d’être quelqu’un. Tout simplement. »

(c) DΛNDELION

Lun 7 Oct 2024 - 16:14

Comment oublier ton sourire ?

Nymeria hocha la tête. Les présentations étaient effectivement une première étape indispensable, et il allait falloir plus d’un entretien pour qu’elle puisse jauger les compétences d’Helios. La sirène était exigeante envers elle-même et elle l’était tout autant envers les autres. N’avait-elle pas entraîné Rhyse dans une chasse au trésor et un conflit ouvert contre une bande de contrebandiers pour évaluer son tempérament en situation de crise et se faire une idée de ce qu’il valait ? Le prince avait gagné son estime et son soutien pendant cette semaine d’aventure. Sans cet épisode, elle aurait eu grand mal à se positionner en sa faveur et lui offrir le soutien qu’elle lui apportait aujourd’hui.

La duchesse écouta l’argumentaire d’Helios, les sentiments qu’il trahissait… Son profond manque de confiance en lui, son besoin de prouver sa valeur à son entourage mais aussi et surtout - elle le devinait - à Medjay.
Analytique, elle ne commenta pas immédiatement, se contentant d’assembler des données sans juger hâtivement. Elle déconstruisait doucement ce qu’elle pensait connaître de Kaos pour pour découvrir le véritable Helios quelque douze ou treize ans après leur dernière rencontre. Son petit doigt lui soufflait qu’il y aurait un long chemin à faire pour cerner toutes les faces de cette personnalité complexe qui lui faisait face.

-Et qu’as-tu vu ? Quelles sont ces informations que tu as et qui te prédispose à cette mission plutôt qu’un autre ? s’enquit la blondinette, toute ouïe.

C’était le moment de la convaincre.

Oui, le changement de perception était radical entre la jeune aventurière de jadis et la femme qui se tenait devant lui. Lui aussi avait changé, il ne le voyait peut-être pas.

-Et oui… répondit Nymeria en plissant des yeux d’amusement. Je n’ai plus vingt-trois ans.

« Je crois que je me demande si je reverrai la fille du fort ou si je ne croiserai qu’à jamais la duchesse. »

Le coeur de la jeune femme se serra brutalement. Il y avait tant d’interprétations à cette question… Tellement de souvenirs dans ce fort… Qu’était-il en train de lui demander au juste ? Si elle avait toujours le courage d’aller sur le terrain ou… si elle avait oublié ce qu’ils avaient partagé tous les deux ? C’était un terrain glissant sur lequel elle redoutait de s’aventurer. Parce qu’elle n’avait absolument rien oublié… Mais il y avait trop d’enjeux dans cette conversation pour se laisser distraire.

-Oh, je ne suis pas assez distinguée à ton goût ? charia-t-elle en levant son verre de vin et en se redressant pour carrer les épaules.

Elle ricana et le bouscula doucement avec son bras.

-Si c’est ton archétype de l'aristocratie, tu auras des surprises en rencontrant la famille royale.

La jeune femme hocha la tête en réponse à l’expression des condoléances exprimée pour sa mère. Il aurait été extrêmement malvenu de dire que sa mort avait presque été un soulagement après les deux années infernales qui avaient suivi la perte de son père. Nymeria luttait depuis entre de nombreux sentiments contradictoires, mais celui qui dominait bien souvent était la colère qu’elle ressentait envers sa génitrice. Elle n’avait jamais pardonné à la duchesse à qui elle imputait nombre de ses malheurs. Le sentiment d’abandon était toujours là, bien niché dans son cœur…

Et pas seulement dans le sien, de toute évidence. Les pièces du puzzle s’emboitaient, la défection d’Helios coïncidait avec la disparition de l’ancienne duchesse…

-Ton père me parle souvent de toi, Helios. Avec fierté.

Elle poussa un soupir et posa son verre de vin un peu plus loin.

-Les personnes comme ton père… Comme ma mère… exigent beaucoup, donnent beaucoup aussi… Mais pas toujours de la manière qu'on voudrait. Ma relation avec mère était compliquée, nous n'avons jamais su communiquer elle et moi. C’est mon père qui cimentait notre foyer. Quand il est mort… souffla-t-elle en passant sa langue sur ses lèvres, tout est parti de travers.

Nymeria comprenait les dégâts que pouvaient engendrer une éducation trop stricte, la difficulté parfois pour se relever de ça et le combat contre soi-même pour trouver son équilibre et se construire en tant qu'individualité.

-Je suis de très près ce qu’il se passe dans la Mer de Corail… Je crois aussi que tous ces gens ne t’auraient pas suivi sur la terre ferme si tu ne leur inspirait pas confiance. Tu as un grand potentiel et je te pense sincèrement dévoué à notre cause… Ce besoin de reconnaissance que tu as m'inquiète, cependant. Il va te pousser à prendre toujours plus de risques pour toi et pour ceux qui te suivent, à t'adapter pour plaire aux autres... Un leader doit parfois prendre des décisions qui ne feront pas l’unanimité. Il est constamment jugé, parfois décrié par des personnes qui ne comprennent pas ses choix… C’est difficile, ça demande d’avoir les épaules solides et le coeur bien accroché pour tenir la pression et ne pas ployer sous les jugements. Est-ce que tu as les épaules solides, Hélios ? demanda-t-elle frontalement en braquant ses yeux céruléens dans ceux de son voisin. Si je te donne des responsabilités, j'ai besoin de pouvoir te faire confiance... De savoir que tu comprends et respecte le concept de hiérarchie également.

Les prochains mois allaient lui dire si elle avait raison de lui laisser sa chance. Des actes, plutôt que des mots.

Et son expression devint soudain mutine, alors qu’elle affichait un sourire en coin.

-Et tu ne m'auras pas avec un numéro de charme, jolie coeur.

Codage par Libella sur Graphiorum

Ven 11 Oct 2024 - 21:07

Comment oublier ton sourire?

@Nymeria Calestis

Ma langue se faufila sur mes lèvres alors qu’elle me demandait des précisions. Évidemment qu’elle allait en demander, c’était à elle que revenaient toutes les décisions maintenant, mais c’était pour moi un pas à franchir. Surtout quand ça concernait de petites opérations du genre, je récoltais les informations dont j’avais besoin, je me trouvais deux ou trois personnes pour m’accompagner si le besoin était et je passais à l’action. Aujourd’hui, j’allais devoir apprendre à jouer davantage avec la mince ligne de l’autorité afin de ne pas tomber dans l’insubordination la plus totale et sans pour autant avoir l’impression que je ne pouvais plus rien faire par moi-même. “Après la dernière attaque de prédateur, je suis remonté à la surface et j’ai fait aller les quelques contacts que j’ai sur la terre ferme.” Je n’avais pas une tonne d'informateurs parce que la confiance était difficile à acquérir. Cependant, il y avait quelques océanides qui restaient sur terre et qui me permettait d’avoir accès à quelques informations pertinentes. “Il s’agirait d’un groupe que nous avons déjà attaqué par le passé et visiblement ils n’ont pas vraiment changé. Je les connais, je sais comment ils fonctionnent, je connais les routes préférentielles qu’ils utiliseront. Peut-être serait-il temps de couler leur navire une bonne fois pour toute. On pourrait régler leur cas rapidement. Il en va de la sécurité de notre Mer.” Après tout, quelques parasites de moins ça ne pouvait faire de mal à personne. Et si ça pouvait empêcher que d’autres Océanides subissent de tristes et regrettables sorts, j’étais prêt à tout pour leur venir en aide. “Et on m’a dit que tu voulais que les nôtres retrouve la mer, ce serait un bon point de départ pour tenter de la rendre plus sécuritaire vu comment plusieurs d’entre eux seront déjà exténués de la nage… s’ils doivent en plus craindre pour leur survie… ils ne voudront pas descendre.” C’était une supposition, mais une supposition que je croyais juste. Trop d’Océanides craignaient encore de retrouver leur véritable nature. Peut-être qu’en retirant quelques pions de l'échiquier, nous pourrions avoir un gain plus important de notre côté. “Et leur fond de cale est plein de trésors à ce que j’ai entendu.” J’étirai un petit sourire en coin joueur, puisque c’était ainsi que j’avais connu Nymeria, alors qu’elle était sur la piste de trésors et visiblement pour les redonner à son peuple ensuite.

Je soufflai un rire à sa question. Ce serait de mentir que de dire qu’elle n’avait pas gardé sa beauté et qu’elle n’avait pas déjà un petit côté distingué à la base, mais ce qu’elle demandait par rapport à ce qu’il avait insinué, n’était pas du tout du même calibre. “Pas avec les souvenirs que j’ai.” Mais justement, il était temps de décrocher de ces souvenirs, d’en créer de nouveaux d’apprendre à connaître réellement la femme qui me faisait face. Parce que cette femme-là était plus vieille, plus assurée, plus mature. Nymeria m’avait toujours donné l’impression d’avoir de l’intelligence à revendre et je pouvais toujours le constater aujourd’hui. Alors je devais aligner mes flûtes pour réussir mon coup. “J’imagine… Mais et toi dans ce joli palais? Comment ça se passe? Tu te lèves le matin avec le petit déjeuner au lit, on vient te vêtir et masser tes pieds? Oh je suis curieux, est-ce qu’on te chante des berceuses pour t’endormir le soir?” J’étais en train de monter un tableau absolument grotesque, surtout considérant ce que je connaissais d’elle, mais après tout, peut-être avait-elle changé plus que je ne le croyais en dix ans.” Un sourire railleur s’étira sur mes lèvres avant de soupirer. “Après j’imagine plus les manières des humains que celles de la royauté océanide.” Parce que déjà c’était plus facile quand on détestait quelqu’un de leur imaginer et attribuer tout ce qu’il y avait de plus ridicule et de méchant, mais c’était surtout que je ne savais toujours pas sur quel pied danser. J’étais toujours un peu amer de les savoir en vie, mais qu’ils venaient tout juste de se souvenir qu’ils avaient eu un peuple derrière eux. Certes la guerre nous avait tous éprouvés, nous avions tous dû nous cacher, mais je trouvais que leur reprise de droit venait trop tard. Je ne devais certainement pas être le seul à ne plus avoir foi en eux, moi qui avais été tout aussi jeune lors de l’attaque des cités marines. “Tu leur fais confiance?” Peut-être que si elle pouvait leur faire confiance, je pourrais également, mais j’avais tout autant des attentes envers Nymeria et ses actes envers son duché. Ce n’était pas parce que je la connaissais un peu que cela changeait absolument tout ce que je pensais avait.

Mes lèvres s’entrouvrirent légèrement en apprenant que mon père parlait souvent de ma personne avec un sentiment de fierté. Si une part de moi s’en doutait, une autre était ravie de l’entendre et encore une autre avait envie de grogner pour la forme. Qu’est-ce que mon vieux avait bien pu lui raconter? Quelle avance avait-il prit sur ses projets? Mes iris ne lâchèrent pas Nymeria et par réflexe, je grattai ma barbe du bout des doigts. Chose certaine, ce n’était pas des confidences sur sa famille ce à quoi je m’attendais. Peut-être était-ce une façon de se trouver des points communs, de me faire comprendre qu’une partie du fardeau que nous portions nous avait été imposé maladroitement par ces gens que nous aimions et qui nous aimais. “Je n’ai pas besoin de reconnaissance.” répondis-je du tac-o-tac, vexé. Enfin, probablement qu’il y en avait un qui se dissimulait sous la surface, mais je ne l’entendais pas comme elle. Personnellement, j’avais besoin de voir les leaders prendre des actions et pas simplement faire de belles promesses. Parce que les belles promesses pouvaient toujours être repoussées, encore et encore en feignant différentes excuses. Si toutes les conditions étaient réunies pour passer à l’action, alors pourquoi ne pas le faire? C’était ça qui était important pour moi et c’était ça qui justifiait mes actes. Mais je n’étais pas assez stupide pour ne pas comprendre que c’était de mon avenir, de celui que mon père rêvait que je saisisse dont nous parlions. Assurément, j’allais avoir besoin d’un petit moment d’adaptation, mais j’imagine que ce n’était pas aussi terrible que mon esprit voulait me le faire croire. Après tout, j’étais encore capable d’obéir à d'autres personnes dont mon père, alors pourquoi pas elle… Surtout si j’étais capable de voir à quel point elle était dédiée, comme elle le disait si bien. Instinctivement, je me grandis pour être bien droit. “Je ferai ce qu’il faut pour que tu aies confiance en moi. Tout autant que j’apprendrai de mon côté. Je n’ai pas peur de faire des choix difficiles, mais tu ne peux pas me demander de rester passif trop souvent.” De toute façon, ils y avaient pleins d’autres personnes qui pouvaient se contenter de ne faire que de l’observation? Mon père avait lui-même combattu dans certaines guerres, dans certaines attaques, alors pourquoi ne pourrais-je pas rester dans le feu de l’action moi aussi, au moins de temps en temps. J’imagine que nous allions devoir commencer à trouver nos compromis, en espérant que tout fonctionne.

Pourtant, mon humeur changea rapidement, ne pouvant m’empêcher de ricaner. “Quel dommage. J’espérais vraiment que le coup de la barbe fonctionne. Cette déception! Comment vais-je pouvoir réussir à t’avoir alors? Un petit conseil? Pour un ami!” Un ton théâtral pour terminer ma phrase, un geste de faux découragement avant d’hausser les épaules avec une certaine nonchalance. “Mais j’en retiens que je suis toujours joli cœur.” Je détaillai quelques secondes son visage avant de pivoter un peu sur mes pieds pour observer à nouveau le patio sur lequel nous nous trouvions. “C’est sympa comme endroit…” Je mordis dans ma joue avant de me retourner à nouveau vers elle. “Une dernière demande? Un dernier conseil?”

(c) DΛNDELION

Mer 23 Oct 2024 - 13:30

Comment oublier ton sourire ?

Nymeria hocha la tête, se demandant pourquoi son voisin pensait que Medjay pourrait s’opposer à cette mission. Helios était habitué au terrain et aux stratégies de guerilla, il avait les compétences pour gérer. A moins qu’il ne lui cache quelque chose ?

La duchesse rit de bon coeur en écoutant l'enchaînement d’arguments totalement ciblés que lui offrait Helios. Il l’avait déjà convaincu avec l’aspect pratique de la chose, sa connaissance du terrain et des adversaires étaient un atout appréciable.

-Un trésor ? demanda-t-elle les yeux pétillants de malice.

C’était des marchands ou des contrebandiers ? Leur navire transportait des ressources ? Ou bien Helios était-il prêt à lui vendre n’importe quoi pour obtenir son consentement ?

-Bien sûr ! Massage matin, midi et soir. On me lit des poèmes au couché, je prends des bains à la rose et je ne sors jamais sans un serviteur pour me tenir l’ombrelle, répondit la sirène sur un ton railleur.

“Après j’imagine plus les manières des humains que celles de la royauté océanide.”

-Rencontre les, fais toi ta propre opinion.

Leur faisait-elle confiance ? En voilà une bonne question.

-Calyssa est une amie d’enfance. Enferme-la dans une pièce avec deux personnes qui se détestent, tu les retrouveras probablement tous les trois en train de se faire des câlins avant la fin de la journée, plaisanta Nymeria. C’est une femme empathique et d’une grande bienveillance. J’ai rencontré Rhyse il y a quelques mois. Il s’est soumis à mes épreuves sans rechigner. Il a l'étoffe d’un leader et les épaules pour commander, je place de grands espoirs en lui. J’espère qu’il ne me décevra pas, répondit la duchesse en toute honnêteté.

“Je n’ai pas besoin de reconnaissance.”

Nymeria arqua un sourcil. Ne venait-il pas de lui dire qu’il avait désespérément besoin de faire ses preuves au point d’encourager l'insubordination ? Bah ! Qu’importe. Elle hocha la tête, satisfaite de son discours. Des efforts. Bien, c’est ce qu’elle voulait entendre. Ils en feraient tous les deux, c’était ainsi que l’on apprenait à collaborer avec une tierce personne et Nymeria n’était pas assez stupide pour être prête à gacher un potentiel comme celui d’Helios. C’était un leader, il descendait d’une noble lignée, était apprécié et n’avait pas peur de prendre des risques, des qualités précieuses. Restait à voir s’il saurait calmer son tempérament de feu et accepter que les choses n’aillent pas toujours comme il le voulait.

“Tu ne peux pas me demander de rester passif trop souvent.”

-Vraiment, je ne peux pas ? le charia-t-elle en le poussant avec son épaule.

La conversation prit un tour plus léger lorsqu’elle le charia au sujet de ses stratégies de séduction et qu’il rentra dans le jeu. Des conseils pour la séduire ? Elle fit mine de réfléchir.

-Trouve moi la piste d’un trésor, j’aime ce qui brille et se monnaie, lança la blondinette d’un air nonchalant.

Un dernier conseil ? Elle le toisa un moment, pensive.

-Tu iras à Oshaara, finit par répondre Nymeria. Je t’accompagnerai.

Elle n’aimait pas ce duché humain où elle comptait de dramatiques souvenirs, mais ses sentiments ne l’avaient jamais empêché d’agir. C’était une opportunité de voir Helios en action et elle pourrait profiter de ce voyage pour régler quelques affaires sur la terre ferme et pousser le déplacement jusqu’à Iskra. C’était aussi un prétexte pour échapper à toute cette paperasse et ces rendez-vous qui la fatiguaient. Le deuil était plus facile à faire au grand large quand on pouvait dépenser son énergie sans compter et faire travailler le corps autant que l’esprit.

-J’ai quelques affaires à mettre en ordre avant de partir, ça te laisse le temps de planifier ta mission et de contacter qui de droit.

Quelques mots échangés, un au revoir et chacun reprit sa route. C’est vers la mer que les pas de Nymeria la menèrent. Rien de tel qu’un bain avant de dormir ! Demain serait un nouveau jour.

Codage par Libella sur Graphiorum