Deux cœurs, une promesse ft. Rhyse

Le temps s’était écoulé à la lenteur d’un escargot. Depuis le déclenchement de son lien avec Aelyna Moray, le triton avait dû lutter contre une force puissante qui crépitait en lui, contre la destinée elle-même qui plongeait inlassablement son esprit dans le néant, le noir le plus complet. La distance avait meurtrie son âme, l’avait divisé en deux pour ne lui en laisser qu’une moitié incomplète, mais si bon nombre des nouveaux mâles touchés par ce phénomène endormi depuis 30 ans avaient cédé, enchaînés les bêtises ou pleurer leur détresse jusqu’à ne plus avoir de larmes, lui n’avait pas flanché. Il était le futur Roi et se devait de montrer l’exemple. Son humeur changeante ne s’était pas dissipée pour autant durant les trois dernières semaines et le Prince avait haussé la voix à plusieurs reprises et rétablit l’ordre à bord du Sea Hawk.

Les profondeurs sous-marine et la visite d’hydore étaient parvenues à calmer la tempête un temps, quelques heures ou quelques jours. Suffisamment pour endosser le rôle de leader qui était le sien et débuter l’organisation des préparatifs. Un couronnement, son couronnement. Le trône de son défunt père, le Roi Coirseus avait été retrouvé, restauré et déplacé jusqu’à la nouvelle cité, comme un véritable symbole d’avenir.

La plume chanteuse adressée à sa nièce, Anastasia, était franche et directe. Écrite de la main d’un oncle qui refusait de voir sa réputation se tâcher d’un drame qu’il savait possible. Les rumeurs qui circulaient avaient confirmé la mort d’un jeune océanide au mauvais endroit au mauvais moment, tué de la main d’un ami victime d’un lien trop fort. La jalousie était un moteur puissant de destruction et si personne ne connaissait vraiment le Prince dans sa bulle privée, lui seul savait à quel point sa possessivité était bien plus forte que la moyenne, sans le moindre lien pour renforcer l’affaire.

Ana,
Je serai là dans trois jours. Merci de faire en sorte que les hommes de ton équipage se tiennent à distance.

Simple, efficace, sans marque d’affection. Un message à son image. Le genre de message si impersonnel qu’il entendait déjà la voix de sa soeur hurler “ mais quel petit con arrogant ! “. De quoi le faire sourire un peu.

Dès les premiers pas sur le pont du navire, Rhyse sentit immédiatement son coeur s’enflammer, son désir le brûler et ses dents grincer. Trois semaines, cela n’était pas suffisant, mais il restait convaincu qu’un connard de pirate pouvait lutter plus intensément que les autres face à cette magie dévastatrice. Des convictions mises à mal lorsqu’une frêle silhouette rousse se jeta à son cou, l’obligeant à conserver son équilibre. Le parfum de la sirène raviva l’ensemble, fit déferler la vague latente dans tout son être et un sourire sincère brisa son masque d’autorité. Le goût de ses lèvres lui arracha un grognement sourd et Rhyse soupira longuement pour se ressaisir afin de saluer l’équipe féminine à bord.

D’un regard entendu, il remercia sa nièce d’avoir fait le nécessaire et sentit le poids des regards s'abattre sur lui. Pourquoi diable toutes ses femmes avaient les larmes aux yeux de se retenir de rire ? Etait-ce si improbable que cela de le voir publiquement aux côtés d’une femme ? Ça l'était en vérité. Son histoire avec Heiura s’était voulue discrète, à l'abri des regards, quant à ses amantes, personne ne les avait jamais croisées.

Le grand brun suivit les pas de la future Reine sans broncher et une fois seul dans la cabine principale, le masque tomba. Ses lèvres se posèrent sur son front pendant que ses mains la ramenaient à lui pour assouvir un irrépressible besoin de proximité. || Plus jamais. dit-il en accord avec ses mots. Trois semaines à n’être que l’ombre de lui-même, c’était bien trop.

La voix de Lyna se déchira sous son regard interloqué. Dans les nombreux scénarios, il s’était imaginé des retrouvailles bestiales ou des bavardages incessants de la demoiselle qui lui raconterait avec enthousiasme son expérience à bord de l’Arcadia.

|| Ça ne va pas ? demanda t-il d’une voix grave en redressant son menton pour l’empêcher de détourner le regard.
|| Ne me dis pas que la vie à bord du Sea Hawk est plus douce qu’ici, je pourrai me vexer. Un sourire en coin pour marquer l’humour de ses propos. Sa mâchoire se contracta, car malgré tous leurs efforts, ils ne pourront dorénavant plus se mentir. Les émotions tumultueuses qui maltraitent l’euphorie de sa future épouse se répercutent en lui.

|| Tu as eu des ennuis ? Dans ce cas précis, mieux valait mentir. Qu’importait le nom de son bourreau, il le tuerait sans état d’âme.

|| Heureux d’apprendre que ma nièce ne te fait pas d’effet. lança-t-il, sourire timide sur les lèvres, dans l’unique but de détendre l’atmosphère. La situation était étrange. Pendant plus de 10 ans, Rhyse était parti et revenu à sa guise, se contentant de salutations cordiales auprès de ses matelots, sans accorder d’importance à leurs avis sur ses allers et venus, sans même avoir besoin de justifier la moindre absence, le moindre itinéraire et voilà qu’il était à présent.. en couple ? Le terme n’avait pas vraiment été posé, car les mots étaient encore plus effrayants pour lui que les gestes et cette nouvelle étape de sa vie, il ne l’avait pas venu venir, il n’y était pas préparé et ferait un nombre incalculable de gaffes en tout genre. Sa maladresse sentimentale comme seconde peau n’était pas prête de s’envoler si tôt, même si Lyna, elle, semblait à l’aise dans ces premières retrouvailles. Ou presque, quelque chose lui échappait encore. Il voyait l’hésitation dans son regard.

|| Tu n’as jamais eu peur de moi, Lyna. Que se passe-t-il ? Je t’ai connu plus franche que cela. La sirène l’avait plusieurs fois rabroué au cours de ces années, là où d’autres prennaient des pincettes, mais voilà que cette fois, elle cherchait ses mots.

Avait-elle fauté avec un homme ? Si tel était le cas, il ne lui en tiendrait pas rigueur, même si le mâle en question ferait mieux de se planquer de longs mois, de longues années peut-être. Ils ne s’étaient rien promis, mais Rhyse savait à quel point ce lien foutait le feu à leurs émotions et leurs désirs.

Mauvaise hypothèse. Son état de santé semblait préoccupant et le triton, d’ordinaire intelligent, était cette fois-ci très naïf. || Une intoxication ? Ana n'a t'elle pas de guérisseurs à bord ? la coupa t-il, trop préoccupé pour écouter sagement. Un empressement de courte durée qui se stoppa net à la phrase suivante. Le thé de Lune. L’océanide se figea, comme une statue de marbre et son regard noir devint plus sombre. Cette fois, il garda le silence, redoutant de tout son être la suite de ses propos.

Je suis enceinte.

Le ciel tout entier s’écroula sur sa tête. Etre père, il l’avait longtemps souhaité avant de tirer un trait définitif sur le projet. Un rêve qui s’était effrité après le retour de l’opale noire, fragilisé à la mort d’Heiura et totalement anéanti une fois l’annonce d’une guerre prononcée à voix haute par tous les dirigeants de l’Archipel. Une guerre qu’il aurait pû ignorer, mais qui aurait causé des morts quoi qu’il en coûte, une guerre qu’il avait accepté de mener en rencontrant Avitus.

Malgré toute l’affection qu’il ressentait pour la Sirène, malgré son admiration sans borne et le crépitement du lien âme soeur dans son coeur, le regard qu’il posa sur elle fut glacial. Lyna ne se trouvait plus devant le triton charmant, séducteur et vorace du bord de mer, elle n’était plus aux côtés de cet amant transi de passion qu’elle avait côtoyé cette nuit-là. Non, elle était là, enfermée face au Roi, au Capitaine, au Leader, au type sombre et colérique qui faisait presser le pas lorsqu’il était agacé.

|| Je te demande pardon ? lança t’il d’une voix froide et torturée. || Tu es quoi !? Il avait fauté, il le savait au fond de lui, mais comment une seule nuit d’amour avait-elle pû déclencher.. il refusait l’annonce. En une fraction de seconde, Rhyse était redevenu le tempétueux Casteel Da’Neer malgré ses efforts pour s’adoucir. Le triton devint inaccessible, recula d’un pas, comme si tout son être venait de se barricader de barbelés infranchissables.

|| Je.. NON.

Hors de question. Pas lui, pas maintenant, pas à l’aube d’une nouvelle bataille sanglante, pas au moment précis où il s’apprêtait à reprendre la couronne et à multiplier par deux le nombre de ses ennemis. La liste était déjà longue, elle le serait encore plus et il était absolument inconcevable qu’il ait des faiblesses à offrir en pâture à ces connards. Une femme, c’était déjà beaucoup, bien plus que ce qu’il s’était imaginé depuis la mort de la Telvani.

En silence, il se mit à faire les cents pas, à marcher comme un lion en cage. Enfermé dans sa bulle ténébreuse, il ne parvenait même plus à entendre la dureté de ses mots face à la Sirène qu’il avait mit enceinte. Lui qui s’était promis de veiller sur elle et de la protéger dès le premier jour, se moquait de la blesser tant sa détresse était grande, viscérale, capable d’engloutir tout son bon sens.

|| Suis-je le seul à voir ce qu’il se passe dehors ? Nous allons entrer en guerre !? Les nouvelles générations ne savent-elles pas ce que cela signifie ? Ais-je besoin de faire un cours magistral pour enseigner ce qu’est une putain de guerre !? Il y a des dizaines de parchemins au sujet d’Anevine, il serait bon de les lire ! siffla t-il en continuant de faire les cents pas sans jamais oser croiser son regard. Pour la première fois de sa vie, Rhyse était lâche.

|| Je te l’ai dit, je ne veux pas d’enfant.

Depuis des mois, il avait reporté la descendance royale sur sa sœur en dépit de l’avis de la principale concernée. Calyssa était plus douce, moins exposée et serait une mère dévouée et aimante, il le savait. Lui, qu’avait-il à offrir ? Le danger lui collait aux jambes qu’il le veuille ou non et tous ses proches se retrouvaient tôt ou tard par subir les conséquences de leur proximité.

|| Je vais prendre l’air.

Sans un mot de plus, pas un seul sourire, une seule émotion visible en dehors de sa fureur détestable, le Prince quitta la cabine exiguë dans laquelle il étouffait pour rejoindre l’avant du pont, la main posée sur la proue. Sur son passage, il regarda les dames tout sourires à bord en les fusillants d’un regard noir. S’il avait pu jeter des éclairs, le navire aurait coulé. Les yeux rivés sur la mer, sa main sur la proue de l’Arcadia, comme s’il n’était plus capable de tenir debout sur ses deux jambes sans pilier, il soupira encore et encore..

Je suis enceinte.

La voix de Lyna tournait en boucle dans sa tête sans qu’il ne parvienne à se détacher de cette information qui venait bouleverser ses plans et ses convictions.

Ses poumons le brûlaient, son coeur battait de façon hasardeuse et ses pensées.. oh non, ses pensées étaient impossibles à décrire tant elles étaient brouillonnes et que le Triton se sentait pris au dépourvu, coincé dans une impasse sans issue de secours. A cet instant, le pirate était de retour, suffisamment égoïste pour bloquer la douleur de son âme sœur qui tentait de s’infiltrer dans sa chair comme une vilaine maladie. Ses songes furent interrompus par des applaudissements de mauvais goûts dans son dos, suivis de pas entreprenants dans sa direction. Pas besoin d’entendre sa voix pour savoir qui se rapprochait de lui, les bras chargés de cette volonté de lui faire mordre la poussière. Ana aurait été plus diplomate, Neera, qu’il connaissait peu, bien plus douce que la furie en approche. L’océanide se massa les tempes, glissa sa main sur le haut de sa tête pour redresser ses cheveux rebels et soupira. Pas maintenant Calyssa, pas maintenant.. pensa t’il, plus vulnérable et en colère que jamais.

Il aurait pu crier, lever la voix pour lui ordonner de partir - ce qu’elle n’aurait jamais fait, pour le simple plaisir de repousser ses ordres, comme toujours. -. Il aurait pu plonger, pour s’éloigner de ce bateau et revenir plus tard, ou ne pas le faire. Pour que le silence de l’océan apaise le tumulte dans sa tête et que l’eau fraîche lui donne l’impression d’être encore vivant, l’enlace comme le ferait une mère aimante. A quarante cinq ans, le triton se sentait comme un adolescent déboussolé, ce qui n’arrivait.. jamais. Il rêvait d’un signe, d’entendre la voix de son père pour le guider au moins une fois dans sa vie. Sentir le regard bienveillant du Roi Corseus se poser sur lui, voir son timide sourire plein d’admiration et de joie, accepter la main tendue de son géniteur qui savait aimer sans demi-mesure là où lui échouait lamentablement.

Et pourtant, il resta immobile, accroché à la proue du Navire de sa nièce, prêt à encaisser les assauts de sa cadette qui ne mâchait pas ses mots. Sa première phrase le heurta de plein fouet, car Calyssa ne jouait plus. Elle n’employait pas ce petit timbre de défi, de provocation qu’elle utilisait si souvent pour le faire enrager.. elle était sincère. Il hocha la tête en silence, sa mâchoire contractée. Ils en étaient donc là. Elle en était là. A ne plus le considérer comme sa famille, à le détester assez pour ne plus se rappeler de leur passé commun…

Sans un mot, sans un geste, il l’a laissa poursuivre et lui cracher sa haine et ses incompréhensions au visage comme s’il était l’homme le plus terrible qu’elle connaisse. Pour la première fois, face au sérieux de la Sirène, il commença à y croire, à boire ses paroles pour en faire une vérité formelle sans chercher à les contrer, sans émettre la moindre opposition.

Après un long silence quasi religieux, il tourna la tête pour ancrer ses prunelles sombres dans celles de sa soeur quelques secondes.

“ Es-tu à ce point terrifié? ”
|| Oui Calyssa, je le suis.

Tellement terrifié qu’il ne livrerait pas de combat ce soir contre elle. Qu’il ne lui rappellerait ni son statut à venir, ni la nature de ses choix suite à la mort d’Heiura. Une résilience nouvelle qui contrastait avec ses habitudes et qui prouvait à quel point l’annonce de cette grossesse le submergeait, vraiment.

|| Je suis désolé, Calyssa. De ne pas avoir été à la hauteur. Tu étais si jeune.. moi aussi d’ailleurs.. J’imagine que tu ne te souviens plus de tout, mais par les Dieux, je n’ai jamais voulu ça, j’ai fais ce que je pouvais, comme je le pouvais et tu as toujours été ma priorité dans ce monde.   L’océanide n’avait pas vraiment eu d’adolescence. A la mort de leurs parents, il s’était démené pour la mettre en sécurité, avait trouvé du boulot, pour qu’elle ne manque de rien. Ses absences nombreuses n’étaient pas de l’ignorance ou une désertion, car Rhyse s’était inquiété pour elle chaque jour de son existence.  || Je suis terrifié autant que je l’ai été pour toi. Car cette vie m’enlève inévitablement tous ceux que j’aime, en effet. Tu es l’exception, jusqu’à quand..  

Il étouffa un rire de dépit. Maudit, l’était-il ? A peine s’était-il accordé le droit de vivre, un peu, en présence d’Heiura, que la Mort s’était pointée pour lui rappeler à quel point ça faisait mal de perdre un être cher. S’il s’était remis de cette perte, comme de toutes les autres, il ne pourrait jamais se relever si un drame arrivait à Calyssa.. à Aelyna… à.. cet enfant. Les risques devenaient trop grands à mesure que la liste grandissait.

|| J’étais là quand ils ont été tués, Calyssa. Il avait toujours prétendu le contraire à sa sœur, pour lui épargner le récit sanglant d’Anevine. Arenui, Lyna, Heiura et quelques amis de longue date connaissaient les détails.  || Nos parents étaient des âmes sœurs. Quand il est parti se battre, elle la suivit et m’a défendu de venir. Evidemment, je n’ai rien écouté. Que ça te plaise ou non, on se ressemble beaucoup .. enfin.. quand je n’étais pas encore vieux et trop con, rassure toi. l’esquisse d’un sourire avant que la glace ne vienne de nouveau figer ses traits.  || Elle n’aurait pas accepté de vivre sans lui. Alors elle s’est battue  sur la plage de Fedja, ils étaient de grands guerriers tous les deux, mais l’opposition était trop forte. Leurs bourreaux ne les ont pas tués, Caly, ils les ont torturés sous mes yeux.

Ses souvenirs étaient aussi clairs que de l’eau de roche, il n’avait jamais réussi à s’en débarrasser. Les râles de douleur, le sang omniprésent. Il ne s’agissait pas d’une attaque contre des pirates sur un navire, non, c’était un cimetière à ciel ouvert. Le sanctuaire d’un peuple, le leur et de toutes les plus infâmes tortures.

|| Alors oui Calyssa. Je suis effrayé pour ta sécurité, même si ça t’agace. Et je suis effrayé pour elle, car je sais que je peux l’aimer autant que notre Père aimait Myrift. Même âge, même trône.. et Fedja.. toujours là, toujours dangereuse.. Je suis effrayé d’être persuadé que Lyna ferait les mêmes choix déraisonnables que notre mère, par amour, pas dévotion. Et plus effrayé encore que mon enfant… ait la même vie que moi..  

Malgré les victoires, malgré les centaines d’océanides libérés de leurs chaînes grâce à lui, les remerciements, Hydore.. Rhyse ne souhaitait sa vie à personne. L’obscurité voilait leurs visages, mais pas assez pour masquer les larmes à ses joues. 20 ans qu’il n’avait pas pleuré une seule fois.

|| Sais-tu comment je gagne autant de combats, Calyssa ? Je les gagne car je suis assez tordu pour repérer le point faible de mes ennemis pendant des semaines entières. Épouse, enfants, amants. L'amour est systématiquement le talon d’Achille de mes adversaires, même les pires ordures aiment.. Je suis toujours là car contrairement à eux, je n’aime pas assez. C'est la raison pour laquelle je t'évite et te cache. Pour laquelle je t’ai demandé de dissimuler ton véritable prénom. Parce que dans le cas inverse, ils utiliseraient la même stratégie pour m’atteindre et que la véritable cible en danger ça n’est pas moi.

C'est vous.
Tu étais jusqu'à maintenant mon seul véritable point faible. Lyna le devient chaque jour un peu plus et… pour cet enfant, je perdrai tout mon sang froid si on s’en prenait à lui un jour. As tu conscience que chacune de mes décisions à venir dans cette guerre impliquera tout un peuple ? Qu'ils sont prêts à me suivre, dans ma réussite, mais aussi dans l'échec ? Ma lucidité et mon détachement émotionnel sont des armes de poids qui s'effritent sans cesse un peu plus. Oui Calyssa, je suis terriblement effrayé d’aimer. Marre toi, je t’en prie. Tu voulais ton moment de gloire face à moi, le voici.

Droit, tendu, les phalanges agrippées et blanchies sur la proue de l’Arcadia, Rhyse se préparait mentalement à la riposte, à recevoir une énième gifle invisible de la part de sa cadette car c’était ainsi que les choses fonctionnaient entre eux. Méfiance et défiance constantes, accompagnées de joutes verbales hautes en couleur, de noms d’oiseaux, de cris de colère réprimés.. et cela depuis aussi longtemps qu’ils s’en souviennent. Leur relation n’avait pourtant pas été toujours aussi épineuse et dans une époque lointaine, le Prince se souvenait d’une charmante jeune sirène, transformée par son amulette, qui courait les bras tendus et le sourire aux lèvres à chacun de ses retours avec un enthousiasme non dissimulé. Que s’était-il passé depuis ? Comment cette flamme fraternelle avait-elle pu s’éteindre pour ne laisser que des cendres ? Remettre sa tristesse des liens perdus sur la faute d’une malédiction était un raccourci facile qui l’empêchait de voir la réalité en face. Une réalité que Calyssa lui renvoya au visage ce soir-là avec plus de diplomatie et d’empathie, ce qui ne rendait pas la claque moins violente, bien au contraire. Le Prince prenait lentement conscience qu’il était le seul et unique responsable de cette animosité constante entre eux, car oui, il avait endurci son coeur et son esprit au fil des années et à quarante cinq ans, l’ouvrage était abouti. Une armure, un bouclier, un masque d’autorité, un fin stratège, il ne restait plus rien du jeune homme chaleureux qu'il avait été. Rhyse était devenu un leader respecté et apprécié pour ses actes de libération, pour sa protection, guère plus. Personne ne vantait sa personnalité, sa bienveillance enterrée sous des couches de rigidité.. non, personne.. sauf Lyna, qui ne s’était jamais contentée de le regarder en surface et qui n’avait pas enduré ses 10 ans de collaboration comme un fardeau ou une dette. La sirène l’avait percé à jour dès le premier soir de leur rencontre et la destinée les avait lié depuis de longues années, même si une fois encore, le triton avait préféré fermer les yeux.

|| J’ai été trop souvent absent Calyssa. Torturé par ton enlèvement, obnubilé par l’envie d’honorer une promesse. Dans sa lente agonie, notre mère m’a supplié de te protéger et si la forme est douteuse, dans le fond, j’ai réussi jusqu’à présent. Tu es toujours là. Notre relation n’est pas celle que tu espérais, elle n’est pas celle que j’espérais non plus, mais tu t’épanouis et t’embellie avec ou sans moi et c’est déjà une réussite.. J’ai été trop souvent absent.. assez pour ne pas te voir grandir, pour ne voir en toi que la petite fille fragile qui avait besoin d’être constamment rassurée, pas comme la femme forte et combattante que tu es devenue. J’ai loupé trop d’étapes dans ton évolution, mais je suis désormais forcé d’admettre que tu es formidable, aussi courageuse que l’était Myrift, aussi audacieuse que Byria.. Tu feras une princesse exemplaire et d’ici peu, je révélerai personnellement ton identité à ceux qui ne la connaisse pas encore. Laisse moi ce privilège.

Un long soupir dégonfla ses poumons, lui offrant un peu plus de légèreté et le ramenant dans la réalité, leur réalité. Celle dans laquelle il était un frère, un oncle, une âme soeur négligente, butée et bientôt.. un père. Ce qualificatif qu’il n’osait prononcer à haute voix le terrifiait plus que tout le reste et dans un monde parfait, le Prince aurait aimé avoir plus de temps. Assez pour apprendre à aimer ses proches d’une façon nouvelle, assez pour laisser son armure se fissurer légèrement, pour faire une place à sa famille. Ils ne vivaient toutefois pas dans un monde parfait, loin de là et il était grand temps qu’il relève la tête et accueille les dernières paroles d’Heiura sans se murer une fois encore derrière ses remparts.

Que j’aime mon grand frère…

Son coeur se serra violemment dans sa poitrine et le futur Souverain tourna légèrement le buste pour déceler l’arnaque dans les yeux de sa cadette, comme s’il redoutait qu’elle ne se mette à éclater de rire dans les prochaines secondes, ce qu’elle ne fit pas. Au loin, il croisa le regard d’Anastasia et le sourire de sa nièce ne fit qu’augmenter la vague de chaleur dans tout son être. Sa famille était là, visiblement heureuse de fêter enfin, un événement joyeux, symbole d’espoir pour tous. Face à cette vision, Rhyse comprit que l’enfant à naître ne serait pas seul et que des femmes déterminées et protectrices seraient là pour éclairer la vie de ce petit être quand lui n’avait connu que la noirceur des ténèbres et de la solitude. Les choses seraient différentes, il devait y croire lui aussi. Sans se démunir de cette aura de sérieux qui l’enveloppait comme une seconde peau, Rhyse se déplaça sur le côté pour prendre place derrière Calyssa. Ses bras se placèrent autour d’elle, les mains cramponnées au bastingage par-dessus les siennes et sa tête vint se lover contre la sienne, légèrement inclinée, dans le geste le plus tendre de ces 20 dernières années au moins.

|| J’ai beaucoup à apprendre de toi.. mais sache une chose, j’ai beau t’aimer de tout mon coeur Calyssa.. je ne me lasserai jamais de nos joutes verbales. L’écho d’un rire discret, de deux âmes plus proches que jamais. || Tu as dis vouloir me protéger, alors reste sur tes gardes dans les prochaines minutes, il semblerait que j’ai merdé, vraiment merdé et Lyna pourrait bien vouloir ma peau. Il n’était pas doué pour les excuses et savait pourtant que celles-ci étaient indispensables. Le triton fit tourner la jeune femme face à lui, emprisonna en douceur son visage entre ses paumes fraiches et déposa un baiser sur son front. || Je ne suis pas prêt, vraiment pas, j’aurai besoin de toi. Je vais la rejoindre, profite de ta soirée et prépare moi le plus grand verre de rhum que tu trouveras… remplit le à ras bord. Un sourire, un regard, le début de sa rédemption.

D’un pas lent, l’océanide se détacha de sa cadette et sans qu’il n’ait besoin de poser la question, les dames à bord tendirent leurs index en direction des quais pour lui indiquer ou trouver Aelyna. Prostrée sur elle-même dans la pénombre, ses cheveux de feu la trahissait, leurs éclats n’étant que plus beaux ainsi éclairés par la lune haut placée.

|| Je peux m’installer à tes côtés ? demanda t-il au cas où l’envie de lui lancer une gerbe d’eau dans la gueule serait encore trop forte. Ça serait mérité. Sans attendre sa réponse, Rhyse s’installa non pas à côté, mais derrière elle, ses longues jambes enveloppant les guiboles recroquevillées contre sa poitrine de la Sirène. Son torse se pressa contre son dos quand et ses yeux se posèrent sur la fiole entre ses doigts tremblants. Il se questionna en silence et comprit ce qu’elle tenait entre ses doigts. Par les Dieux, qu’avait-elle imaginé ? Qu’il la répudierait ? Qu’il l’obligerait à mettre à un terme à sa grossesse ? A ses oreilles, il murmura d’une voix grave, sans une once de colère cette fois. || N’y pense même pas Lyna. J’ai beau être con, je ne le suis pas à ce point. Son index caressa sa main crispée sur le flacon et lentement, il traça un chemin jusqu’au poison pour la forcer à libérer ses doigts. En quelques secondes, il s’empara de la solution capable de mettre un terme à cette grossesse et l’écrasa sur le ponton d’un coup de bottes. || Hors de question.. Il ne remettait pas en cause son libre arbitre, la décision lui appartenait autant qu’à lui, mais l’avantage de ce lien d’âme sœur était qu’il ressentait tout… absolument tout.

Cet enfant, elle le voulait et l’aimait déjà.
Lui aussi, même si un long chemin se dressait devant lui pour passer de l’ombre à la lumière.

Rhyse venait de perdre la notion du temps, de voir s’écrouler à ses pieds ses plus grandes convictions, ses repères et sentait la peur ronger chaque parcelle de son corps, déchiré son armure, son heaume et son bouclier sans ménagement. Pourtant, le Prince se sentait plus libéré que jamais. Dans ce tumulte, perdu au milieu de ses doutes et de sa colère venait de naître l’étincelle de l’espoir. Une infime lumière au milieu de la pénombre qui ne cessait de croître au sein même d’un organe qu’il croyait mort et en cendre pour l’éternité, son coeur. Calyssa l’avait rappelé à l’ordre et avait énoncé à voix haute une vérité à laquelle il n’osait plus croire, l’amour n’était pas l’ancre qui le clouerait sur place, l’entrainerait dans les profondeurs, mais bel et bien le moteur de cette nouvelle vie qui s’offrait à lui. Une seconde chance. Le bonheur lui tendait la main, il n’avait plus qu’à le saisir et les Dieux savaient à quel point il en avait à offrir, de l’amour, après tant d’années d’exil solitaire passées devant des cartes et loin de ses sentiments.

Les quelques minutes de silence furent les plus salvatrices de son existence torturée, capable de remettre de l’ordre dans sa tête et dans ses projets d’avenir. L’héritier légitime ne reniait pas les combats à venir, qui seraient grands, complexes et probablement sanglants, mais une nouvelle détermination enveloppait sa personne : la volonté farouche de ne plus se battre seul contre le monde, mais en famille. Sa famille. La bataille d’Anevine avait laissé des traces impérissables, des cauchemars et des blessures invisibles dont il ne se séparerait jamais, mais dans cet immense drame, le triton avait oublié de retirer ses œillères, trop aveuglé par sa soif de révolte et de renaissance.. il n’avait pas tout perdu. Une soeur, une nièce, des amis semblables à des frères et à présent, une femme et un héritier. Son sang, sa chair, couplé à la génétique d’une Sirène aux mille qualités. La promesse d’un amour sans égal pour sa progéniture.

Le corps tremblant de la jeune femme se fondit contre le sien. Par cette étreinte silencieuse, Lyna venait de chasser son démon culpabilité, apparu quelques secondes après s’être montré particulièrement odieux et sans coeur à l’égard de son âme soeur. Dans sa détresse personnelle, le grand tacticien, futur Roi des mers s’était montré égoïste et ne s’était pas donné la peine de ressentir la peur de sa compagne et pourtant, il n’était pas seul à craindre le changement. Des souffrances différentes, mais qui s’étaient enveloppées les unes aux autres pour trouver la paix un soir de pluie après une attaque réussie. Lyna avait souffert, peut-être même plus que lui. S’il était l’un des témoins de l’horreur, Aelyna était une victime. Elle avait vu, sentit, endurée et était parvenue à remonter la pente de l’enfer. Des deux, elle était de loin la plus courageuse. 10 ans avaient été nécéssaire pour le comprendre, 10 ans avaient été nécessaires pour l’accepter et pour embrasser pleinement ce vent de nouveauté.

La voix chancelante de sa Dame le fit sourire. Il ne se réjouissait certainement pas de son mal être, mais se délectait de cette vulnérabilité commune, sans filtre, qui ne pourrait que les rapprocher davantage. Son souffle chaud niché au creux de sa nuque, Rhyse l’écouta attentivement avant de corriger ses propos erronés tout en s'enivrant du doux parfum sucré de son âme soeur.

|| Tu te trompes. murmura t-il.  || Tu sais déjà quoi penser Aelyna Moray. Tu aimes déjà cette vie qui grandit en toi, je le sens. La peur qui gangrène tes émotions, c’est la mienne, pas la tienne alors repousse là, ne la laisse pas te dévorer. Quelques heures plus tôt, le triton avait anéanti l’étincelle de bonheur qui dansait dans les yeux de cette femme incroyable en lui crachant son venin.

|| Je sais.. j’aurais aimé la même chose que toi. J’aurais aimé que la couronne me soit offerte par la main d’un père vieillissant, mais fier, une digne transmission. J’aurais aimé voir le regard de la Reine s’illuminer en te rencontrant et en apprenant cette nouvelle. Elle t’aurait fait vivre un enfer en te surprotégeant, pour mon plus grand bonheur. Trop protectrice, trop aimante et profondément attachée aux valeurs familiales. Tout aurait été différent. Il manque des proches à l’appel pour partager cette nouvelle, mais moi je ne bouge plus Lyna. Je suis là.

Plus solide que jamais, Rhyse eut l’étrange sensation d’être enfin légitime. A l’approche de son couronnement, mille questions tiraillait son esprit. Mille questions qui s’envolaient les unes après les autres. Il serait un bon Roi, solide, déterminé et à l’écoute. Grâce à elle, la pièce manquante. La raison face à l’empathie. L’ambition face à l’amour. Aelyna apporterait l’équilibre, il en était désormais convaincu.

|| Est-ce que je crois quoi.. ?   Les filtres n’avaient plus leur place. Il n’en voulait plus. Il voulait embrasser chacun de ses doutes, chacune de ses peurs, répondre à ses questionnements et s'enivrer de sa bonne humeur comme d’une addiction.  

|| Tu veux savoir ce que je crois ? Redresse toi.   L’homme se releva, quitta le cocon de chaleur de leurs corps ainsi lovés pour lui faire face de toute sa hauteur, ses mains posées au creux de ses reins, toujours aussi possessif.  || Je crois que tu seras une mère formidable. Je crois que la destinée nous trouve très empotés depuis 10 ans et s’est simplement chargée de nous faire ouvrir les yeux. Je crois que nous allons devoir affronter des dizaines d’obstacles et de dangers, mais que nous serons à la hauteur. Je crois que tu me détestera un jour sur deux, car 20 ans de Casteel Da’Neer ne s’effaceront pas en un claquement de doigt malheureusement. Je crois aussi, j’en suis même sûr, que tu seras une compagne formidable et une amante dont je ne pourrais me lasser.

Aelyna Moray, épouse moi. Épouse le connard imbu de sa personne qui a merdé dans cette cabine, mais qui tente de faire amende honorable avec toute la maladresse du monde. Épouse le futur père de ton enfant. Je veillerai sur vous jusqu’à mon dernier souffle, je t’en fais la promesse.

Ses yeux ancrés dans ceux de la Sirène, Rhyse, le visionnaire, n’avait pas anticipé cette soirée. Le virage à 360 degrés de son existence.  || Je sais tout ce que tu as enduré, je sais que tu sauras prendre les bonnes décisions et je sais à quel point les hommes t'ont blessé. Ça n'arrivera plus. Un mariage d’amour, Lyna. Avec ses forces et ses failles.

Ses mains remontèrent près de son visage. Son pouce caressa ses joues humides des larmes versées pendant son absence. Le Triton, plus grand, plus massif, abaissa la tête pour coller son front contre le sien.  || Je suis enfin prêt à t’aimer sans demi-mesure. Offre-moi ta main.. Nous avons perdu bien assez de temps. Une épouse, une Reine, une mère. Un mari, un Roi, un père. L’amour est le plus gros doigt d’honneur que nous pouvons faire à nos passés maudits. Laissons tout derrière nous…

Personne n'imaginait le fier pirate sanguinaire être capable d’une telle dévotion d’âme. L’improvisation de ce moment d'honnêteté l’avait figé et s'il n'avait ni bague, ni genoux à terre, c’était pourtant bien son être tout entier qui ployait devant elle pour lui prêter une allégeance totale. Il ne manquait plus qu’une réponse. La plus belle ou la plus douloureuse de sa vie. Aelyna tenait leurs destins entre ses mains.

Rhyse était sûrement le plus étonné des deux par ce monologue enflammé. Ouvrir son coeur et livrer ses états d’âmes ne faisaient pas partie de ses plus grandes qualités, loin de là. Au fil des mots, l’océanide contempla le visage de la sirène face à lui et se délecta de ses expressions variées. L’angoisse s’envolait lentement, déliant ses traits pour quelque chose de plus doux, de plus expressif et agréable. Aelyna le connaissait assez pour savoir qu’il pensait chacune de ses paroles, même s’il avait un mal de chien à les assembler et à les verbaliser. Pour la première fois en dix ans, l’héritier avait frôlé la ligne rouge du respect si durement ancré entre eux depuis le début. Englouti par ses propres peurs, il repensait avec dégoût au regard ahuri qu’elle avait posé sur lui, comme si un parfait inconnu s’adressait à elle. Non, il n’avait pas été à la hauteur, mais espérait parvenir à sécher ses larmes et regagner ses sourires.

Les secondes qui défilaient après son grand discours lui parurent durer des heures entières. Pour la première fois, le silence qui régnait sur le pont, à peine troublé par les murmures des vagues calmes le mettait mal à l’aise et le rendait terriblement anxieux. Une seule et unique nuit d’amour était parvenue à balayer ses convictions les plus profondes et faire germer une graine de bonheur. Il n’avait tout de même pas rêvé ? Leurs pulsions avaient d’abord été dictées par la puissance d’un lien nouveau, mais ensuite ? Avait-il été suffisamment naïf pour croire en des sentiments bien réels, façonnés par les cœurs, les corps emmêlés, les regards enfiévrés et non par la magie ?

Sa réponse ne fut qu’un murmure inaudible qui tétanisa son être. Le oui suivant, une explosion de joie sans précédent qui le laissa pantois, presque idiot, muet, sous le choc de la réalité. Leur réalité.
Sans qu’il n'ait le temps de se poser mille questions, la sirène s’accrocha à lui pour sceller leurs lèvres dans un baisé passionné. Le monde cessa de tourner pour de bon, réduit à un seul être, une seule image, celle de sa future femme d’une beauté et d’une bonté sans pareille. L’homme la souleva de terre sans effort pour poursuivre cette étreinte et lorsqu’elle libéra ses lèvres de son emprise diabolique, un radieux sourire éclairait son visage. La glace venait de fondre à terre, emportée par la force d’une promesse, celle d’un avenir à deux. A trois. A quatre, allez savoir. En comparaison de cet instant, son couronnement ne serait qu’une formalité car le changement débutait là, sous une nuit étoilée, sur un pont désertique aux côtés de sa famille. Rhyse avait toujours considéré le trône comme le point de départ d’une nouvelle vie et l’aboutissement d’années de combats. Il avait fondé la Révolte des années en arrière pour reprendre la place qui était la sienne afin de démarrer une nouvelle histoire. Le Prince s’était trompé. Sa renaissance prenait racine à cet instant, enlacés par les bras de sa fiancé, son héritier entre leurs corps emmêlés, protégé par un corps en tout point divin qu’il avait désormais hâte de voir s’arrondir au fil des mois.

|| Je pense que tu devrais prévenir ton absence du navire ce soir.. murmura t-il à ses oreilles. || Je suis attaché à certaines traditions, mais ne compte pas sur moi pour attendre le mariage pour découvrir et redécouvrir chaques centimètres de ton corps. Un seul mot. Trois lettres. Voilà que toute sa raison avait foutu le camp et que le lien intangible qui reliait son âme à celle de son épouse le rendait ivre de désir.

|| Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t’offrir la vie que tu mérites, Lyna. Celle qu’on lui avait volée un temps. Sa liberté, son bonheur, son intégrité. Il recollerait un par un les morceaux de son âme meurtrie par des années de souffrance et de résilience. Un doute devenu une certitude. Il comptait l’aimer sans demi-mesure.

| Souhaites-tu rejoindre les autres ? Manger ? Te promener ? La digue de ses sentiments rompue, le souverain pataugeait sur ce qu’il était censé dire, censé faire. Cette dose d’amour soudaine de la part de sa sœur et de son amante le rendait.. délicieusement vulnérable.

|| Je ne patauge pas ! lança t-il avec véhémence armé d’un sourire tendre qui prouvait le contraire. Cette femme causerait sa perte, une certitude, la plus douce qui soit. Sombrer pour elle à s’en fendre le coeur ou ne pas vivre du tout, voilà désormais la pensée qui habitait le triton allergique aux sentiments. La main qui glissait sur son torse embrassait son être d’une délicieuse manière. La puissance de ses émotions était telle que Rhyse commençait à se demander comment il avait pu vivre si longtemps enfermé dans une armure de glace impénétrable. La mort d’Heiura l’avait anéantit quelques mois plus tôt, mais la sirène avait en réalité ouvert la brèche d’un nouveau monde. Son passage avait été la première clé permettant de libérer l’océanide de ses propres chaînes et la Destinée s’était emmêlée pour finir l’ouvrage.

Perdu dans un monde à mi chemin entre rêve et réalité, Rhyse ne se fit pas prier pour suivre la jolie rouquine loin des quais afin de rejoindre les allées encore animées. De par son physique imposant, l’homme ne passait jamais inaperçu. Casteel Da Neer s’était créé une réputation douteuse au fil du temps et la beauté de la sirène à sa droite attirait tout autant les regards curieux sur le couple nouvellement formé.

|| En plus des brochettes, si l’un de ces types se retournent encore sur toi à s’en faire des torticolis, je le dévore sur le champ. Une menace prononcée avec humour, mais dans laquelle se trouvait une part de vérité. Certes, il avait assez de mental pour ne pas déshabiller sa fiancée en pleine rue - unique repas convoité le concernant - , mais le lien était encore récent et capricieux, réveillant ici et là ses instincts primaires dépourvus de bons sens.

|| J’ai rencontré Asla durant ma période de quarantaine. C’est une femme ambitieuse et même si elle ne me porte pas en haute estime, elle a foi en toi. Tu sais que tu vas devoir trouver un régent pour la mer qui te revient de droit ? A moins que tu ne veuilles régner là-bas plus qu’à Hydore. Le choix est tient, nous ferons les voyages nécessaires pour nous retrouver régulièrement.

La présence de la Reine à la citée Royale n’était pas une absolue nécessité dans les faits, même si elle le devenait un peu plus à présent compte tenu de la grossesse en cour qui rendrait les longues traversées plus éprouvantes au fil des mois.

|| Te souviens tu de notre rencontre ? J’ai l’impression que c’était hier. Je n’ai jamais su pourquoi tu m’avais remis ta confiance entre les mains ce soir-là, après tout ce que tu venais d’endurer de la part d’un homme. Nous avons fait un long voyage..

De sa main gauche, Rhyse dévorait les brochettes achetées à la volée sur une échoppe en pleine rue pendant qu’il tenait la main de sa promise de la droite pour montrer au monde entier que cette femme était la sienne. Pour se rassurer, aussi, afin qu’elle ne se sauve pas en catimini après tant de révélations.
Une paillote animée attira son regard. Les clients étaient joyeux, enthousiastes, ils souriaient à en avoir mal aux joues comme si la guerre en approche n’était qu’une chimère. Son coeur trébucha de nouveau, à la fois captivé par la bonne humeur qui régnait sur la terrasse de bois ensablée à cause des allers-retours.

|| Danse avec moi. dit-il spontanément. Lui, le type aussi rigide que le mât d’une Vivenef, se surprenait à rêver d’un slow sur des musiques exotiques tout à fait inappropriées. || A défaut d’une bague à ton doigt, je t’offre le loisir de te moquer de mes talents incontestables de danseur, n’est-ce pas encore mieux qu’un anneau ? Bien sûr, il corrigerait le tir et mettrait bien une alliance à la main de sa future épouse, mais cette soirée était aussi surprenante qu’elle avait été improvisée.

|| Je n’ai jamais eu à me poser une telle question te concernant, mais je dois savoir à présent quel genre de vie conjugale tu veux mener. Je t’ai fait une promesse de liberté que je tiendrai à jamais. As-tu.. le projet.. d’avoir des amant.es ? Inconsciemment, ses doigts se refermèrent plus durement sur la main de la Sirène.