ghost (egor)

31 AP. BDA, 5 Beltane ― tw : none.

On avait failli lui marcher sur le pied. On, c'est un cheval, qui par un drôle de hasard, s'appelle Egor. Et le drôle de hasard voulut également que le propriétaire de l'animal qui piaffait, renâclant au simple fait d'avancer, était tout aussi affable que le Egor que Merle connaissait. Quelle drôle de surprise ! Aussi, et malgré son orteil nu passé à deux doigts d'être réduit en charpie, Merle y voyait là un signe clair : son bon camarade, qu'il avait suivi pendant quelques semaines (si sa mémoire est bonne) s'était retrouvé par le plus grand des hasards dans la même ville que lui. Ah ! Quelle aubaine.

Loin de songer un seul instant que le principe d'une capitale réside en le fait qu'il y ait énormément de monde, Merle voyait son humeur rehaussée d'un cran encore sur l'échelle de la félicité, comme si cela avait été possible. Le propriétaire de cheval lui avait dit hors de ma vue, mendiant !, et ça lui avait donné une fort bonne idée : trouver un peu d'argent, et offrir quelques mignardises qu'il ne saurait faire lui-même à son grand ami (qui est, en effet, fort grand). Convaincu du coup du sort, et fort mauvais en statistiques, les étoiles s'alignent d'autant plus qu'il n'eut qu'à attendre un peu, méditant sagement comme il en a lui-seul le secret, pour que les piécettes tombent dans son gobelet en terre cuite. La projection s'était faite sans encombres, et les voix par-delà le voile avaient été douces. Tout semblait aller pour le mieux, en ce début de saison. Les gens de Temerys ont, de toute façon, cette propension à être de bons vivants. Oh, bien sûr qu'Egor est dans le coin ! Ça ne fait plus aucun doute pour le mendiant.

Et de mendiant, il revêt sa peau d'oracle lorsqu'il rouvre lentement les paupières, de nouveau sur terre. Les gens se pressent, devant lui, et les chevaux aussi. Bien, il n'aura plus qu'à passer au marché.
Des friandises au sucre et aux épices, voilà ce qu'il avait dégoté, négocié avec le marchand pour qu'il accepte le peu de piécettes qu'il avait. Sûrement que leur conversation sur l'éveil lent mais très certain des dieux, et sa capacité à deviner sans peine ce qu'il pensait (bien sûr, ce sont les voix qui me l'ont dit ! elles entendent tout, vous savez) l'a convaincu de lui donner plus que ce qu'il allait acheter. En partant, Merle lui a tout de même recommandé la recette d'une concoction d'Oshaara, pour son niveau de fer. L'individu avait l'air bien pâle.

Malheureusement pour ce qu'il a, le sort est bien aimable avec Merle. Voilà que le hasard, qui ne pouvait pas en être un, bien entendu, le guide jusqu'aux roues bien identifiables de l'accompagnatrice de son grand camarade. C'est leur grincement, qu'il a entendu, et il s'est immédiatement dit que les pavés et le sable devaient être bien encombrants pour elle. Son visage, il le reconnaît : elle a toujours cet air un peu résigné.

― Ah ! Mriya ! Bonjour ! L'oracle a accouru près d'elle. Comme je suis content de vous voir ! J'ai croisé un cheval, tout à l'heure, qui s'appelle Egor. Et vous voilà ! Vous rendez-vous compte ? C'était bien la preuve qu'ils étaient fait pour se retrouver, ici et maintenant. Merle en a la certitude, à présent. Oh, ça ne doit vouloir dire que de bonnes choses.

Sans attendre, il a déposé les friandises sur les genoux de la jeune femme, puis s'est mis à tourner, et tourner sur lui-même. Le brouhaha du marché, et celui du marché des âmes, ne l'aident pas le moins du monde à retrouver son grand ami dans la foule. Cependant, il lui semble capter comme un nuage obscur au-dessus d'une tête bien coiffée — oh, non, il ne regarde pas. Paupières résolument closes, Merle se fait boussole lorsque son nez pointe en direction de celui qu'il cherche.

― Egor est par là – est-il occupé ?
Bien entendu, il n'a pas rouvert les yeux quand il a regardé Mriya.

― @Egor Arseniev

Comment on pouvait être content de croiser un cheval qui s'appelait Egor, c'était au-delà de ce que Mriya pouvait imaginer. Elle remonta ses lunettes sur son nez mais n'y vit pas plus clair. Qu'est-ce que c'était encore que cet énergumène - ah, oui : Merle. Une sorte de petit sourire qui n'était pas exempt de malice, voire de sadisme, éclaira son visage brièvement.

"Egor, occupé ? Il ne fait jamais rien." Elle, de son côté, allait vérifier quelques-unes des sucreries pour s'assurer qu'elles n'étaient pas empoisonnées. Ses joues se mirent à croquer bruyamment. "Il parle musique avec votre collègue."

Un mendiant avait joué quelques bribes d'un air qui avait vaguement rappelé quelque chose à Egor ; bien mal lui en avait pris. Ce dernier essayait maintenant de lui extorquer le nom du morceau en question, mais le pauvre garçon n'en avait aucune idée. Il avait entendu ça quelque part sur un marché, c'était un barde à la mode qui avait composé cette oeuvre, tout le monde en avait sa version... mais alors, pour lui donner une adresse ou des paroles ! Même pas sûr qu'il y avait des parole sur ce truc-là. Très déçu, Egor commençait à gronder et ses lions, reconnaissant l'inflexion de sa voix, grondaient en retour depuis leur cage. L'apparition de Merle jeta un caillou dans la mare, et le mendiant à la flûte en profita pour s'éclipser.

"Bonjour," lança Egor avec un sourire crispé. Il se devait de témoigner un certain respect aux personnalités ecclésiastiques, même si elles s'habillaient avec un goût douteux, mais ce devin-là le mettait profondément mal à l'aise par certains aspects de sa personnalité. Il n'aurait pas su dire quoi précisément, sans doute un savant mélange. Parfois -souvent- incapable de témoigner sa sympathie à ceux qui en auraient été dignes, ou alors à très petite dose, Egor ne comprenait pas qu'on soit si démonstratif avec un inconnu ; c'était le premier aplier, puis il avait découvert avec un certain effroi que ses allusions à une ancienne vie perdue ne semblaient pas décontenancer le devin, au contraire. Il s'était demandé un temps si c'était un espion cherchant à l'influencer de la part d'anciens rivaux. Ou juste un fou, ce qui n'aurait pas été beaucoup plus rassurant. Egor lui-même se trouvait tout à fait rationnel, enfin, un peu tourmenté parfois, mais pas de comparaisons merci.

"Il a vu un cheval, c'est bon signe," dit Mriya en mastiquant la bouche à moitié ouverte.

"Ferme ta bouche," dit Egor. Puis il se tourna vers Merle et le considéra sans indulgence. Dans son cas, cela dit, une remarque sévère ne servirait jamais à rien. "Eh bien, maintenant, tu vois des lions. Espérons que ce n'est pas de mauvais augure."

Les passants décrivaient soigneusement des détours pour ne pas s'approcher de la roulotte qui encombrait le passage, et commençait à gêner quelques commerçants. On ne tarderait pas à lui réclamer de reprendre sa route. Et puis, il n'aurait pas la réponse à ses questions d'ordre musical. Il y avait même fort à parier que personne ici ne comprendrait à quel point elles étaient importantes à ses yeux. Cela dit... L'envie de tester les pouvoirs de Merle fit de l'oeil à son esprit de contradiction tout à coup. Il n'osa pas pousser le risque trop loin, et demander directement ce qui l'avait attiré dans cette chanson.

"L'air que jouait ce flûtiste il y a une minute, tu l'as entendu ? Qu'est-ce que c'était ?"

On verrait bien. Les fous étaient parfois les interlocuteurs privilégiés des dieux. Il fallait bien que leur condition ait un avantage. Et ça ne pouvait pas être uniquement cette bonne humeur envahissante, qui vaudrait à Merle une gifle tôt ou tard, sans doute même de sa main.