Dès que le vent soufflera - Neïa Feyrborn

Boussole Deuxième née de la première branche de la famille Feyborn, Neïa a porté son héritage familial fièrement. Il faut dire que cette petite fille silencieuse s’est passionnée immédiatement pour l’art de la fabrication des vivenefs. La première fois qu’elle en a touché une, c’est comme si tout son être était parcouru d’un frisson de reconnaissance et cet amour primal n’a fait que se renforcer au fil des années. Peu sociable, la petite fille a en effet consacré tout son temps à celles qu’elle considère comme des amies. Elle a adoré les observer, les écouter, elle s’est nourrie de leurs récits de voyage. C’est simple : elle les aime toutes ! Les toutes jeunes, encore endormies qu’elle contribue à façonner et à envoyer vers leur destinée, mais aussi et surtout les plus grandes, les vagabondes qui ont vu le monde et qu’elle doit entretenir et réparer occasionnellement. La fascination n’a jamais faibli et Neïa ne s’est jamais intéressée à quoi que ce soit d’autre dans la vie. L’odeur caractéristique du Bois Sorcier, son toucher si particulier… Neïa connait tout ça sur le bout des doigts. Rien ne la rend plus heureuse que le contact de ces vaisseaux magnifique et mystérieux et elle y a dévoué tout son être depuis son plus jeune âge. Désormais, Neïa est une experte de la réparation des anciennes vivenefs. A ce stade, ses relations avec elles ne relèvent plus de la technique mais de l’art.

Elle se souviendra toujours de sa rencontre avec Écho. C’est son père, Elisha, qui l’avait amenée la voir. Elisha et Sienna, ses parents, s’étaient bien rendus compte que leur enfant était atypique mais ils l’avaient aimé telle qu’elle était et l’avait encouragée à développer ses compétences. Dès qu’elle avait appris à marcher, ils l’avaient emmenée sur les chantiers et ils avaient favorisé son apprentissage autant qu’ils le pouvaient. Transmettre les traditions de l’île, leur art, tout cela avait du sens pour eux et ils tiraient fierté de l’histoire de leur famille. Neïa avait seize ans et c’était une virtuose alors ils avaient jugé qu’il était temps. Son père l’avait menée dans un endroit reculé de la propriété et elle avait découvert en cale sèche une très étrange vivenef. Écho avait ouvert les yeux à leur arrivée, mais n’avait rien dit. Sa forme était un peu démodée et Neïa avait vite comprit que la vivenef était vieille. Elle n’avait pas imaginé qu’Écho était en fait si vieille : la vivenef avait plus de trois cents années au compteur. Neïa n’avait jamais rien vu de tel, elle n’aurait même jamais cru qu’il pouvait exister une nef aussi âgée ! Écho était là aux origines, elle avait servi de prototype pour les deux vivenefs que ses ancêtres avaient ramené à la Capitale en 295 AV. BDA. Mais au fil des siècles, cette très vieille dame s’était éteinte.

Écho avait été abandonnée par certains de ses capitaines pour des modèles plus récents et performants, le temps avait fragilisé et détruit certains de ses journaux de bord, alors la vivenef avait peu à peu perdu la tête. Elle s’était désintéressée des humains qui passaient, mais ne restaient pas et elle avait arrêté de parler. Elle avait fini par être relégué dans un coin, mais l’exceptionnel Bois Sorcier l’avait préservée. Écho n’en finissait plus de mourir, Neïa venait de rencontrer pour la première fois une vivenef agonisante, une vivenef sans capitaine. Son héritage. Son père voulait qu’elle travaille sur Écho pour se faire la main et parfaire ses compétences, il ignorait qu’il venait de provoquer un coup de foudre. A partir de ce jour, Écho occuperait toutes les pensées de Neïa qui allait lui consacrer chaque instant de liberté pendant les seize années qui allaient suivre.

Neïa avait pris son temps pour nettoyer entièrement la vivenef. Elle ne se vexait pas de son silence, elle se disait qu’Écho lui parlerait quand elle en ressentirait le besoin. Les premiers mois où elle était montée à bord, elle n’avait rien ressenti de spécial, un peu comme si Écho n’était qu’un simple navire. Elle l’avait récurée, l’avait huilée et patiemment avait reconstruit mois après mois tout ce qui semblait être endommagé à l’intérieur comme à l’extérieur. Elle sentait qu’Écho était attentive à ce qui se passait, au fil du temps une petite vibration caractéristique vint tout doucement s’installer. Deux ans après leur première rencontre, Neïa estima que la vivenef était en état de retrouver l’eau sans danger. A sa demande le navire fut remis à la mer avec une grande douceur. Neïa n’aurait jamais permis que quiconque lui manque de respect. A l’instant où elle toucha l’eau, ce fut comme si Écho sortait d’un très long sommeil. Neïa le sentit au plus profond d’elle, il lui sembla presque qu’Écho s’ébrouait et se déployait dans l’eau, vibrant d’une aura qu’elle n’avait encore jamais perçue.

Le long travail de réhabilitation d’Écho n’était pas terminé. Neïa continua d’y consacrer son temps libre, polissant et améliorant tout ce qui pouvait l’être. Son père espérait qu’Écho lui servirait de terrain de jeu pour parfaire son art, mais en vérité Neïa se perfectionnait uniquement pour aider Écho. L’idée lui vint un jour d’essayer de sauvegarder la mémoire d’Écho en recopiant les journaux de bord qui tombaient en morceaux pour les préserver. C’était une tâche difficile et minutieuse, mais elle ne se laissa pas démonter. C’est là qu’Écho se mit à lui parler, comme un murmure au début, un écho d’un autre temps, puis de plus en plus distinctement. Ce n’était pas toujours très cohérent, mais c’était là. Les années passèrent, Neïa et Écho se lièrent comme seul une vivenef et son capitaine peuvent le faire. Écho avait envie de retrouver la navigation. Être à l’eau tout près de Feyr ne lui suffisait plus, elle voulait retrouver la sensation de parcourir le monde. Neïa la chérissait plus que n’importe qui, alors un jour elle annonça à ses parents qu’elle les quittait.

La liberté, c’était tout ce qui leur importait. Neïa et Écho partirent parcourir le monde, accueillant à leur bord ceux et celles qui se présentaient davantage par pragmatisme que par désir de se lier. L’important était de pouvoir continuer à naviguer, toujours plus loin. Pour survivre, elles s'affilièrent à la Guilde, transportant parfois du Bois Sorcier pour le compte de sa famille ou affrontant les mers pour aller examiner la vivenef de quelque illustre famille qui avait besoin d'une réparation. Finalement, Neïa était loin de se douter qu’en naviguant avec Écho, les plus instables feraient peut être partie de l’équipage…