Summertime Sadness

 La grande place d’Oshaara fut prise d’assaut. Des larmes, des cris, des embrassades à tout va et des rires jaunes d’avoir survecu à l’enfer. Au milieu de ce brouhaha général et des nombreux attelages en place pour prendre en charge les blessés au combat, Levanah se retrouva seule, errant parmi une foule sans cesse plus dense. Son regard fouilla, scruta chaque recoin, sans succès lorsque après de longues minutes, elle se figea sur place, pétrifiée par l’effroi. Cet homme, allongé sur une civière, les yeux clos et entouré d’une shaman qu’elle ne connaissait que trop bien, elle l’aurait reconnu au milieu de mille autres victimes. Pas lui. Impossible. Immobile, elle sentit son cœur se déchirer de toutes parts et la peur gangréner son être, enveloppant la moindre parcelle de sa chair pour rendre sa respiration plus difficile qu’elle ne l’était déjà. Facilement repérable avec son ventre, une horde de gardes et de guérisseurs vinrent l’entourer pour s'enquérir de son état et de celle de son enfant. Rien, le néant, juste du bruit dans ses oreilles totalement incompréhensible. La jeune femme d’ordinaire bavarde garda le silence de longues minutes pendant qu’on l’a tripotait comme un pantin jusqu’à ce que l’attelage ne se mette à bouger sans elle.

La Capitaine repoussa les bras qui l’entouraient, heurta les visiteurs, ignora tous ces hommes et ces femmes à terre et se mit à courir en hurlant à s’en faire mal aux cordes vocales. Son mari n’avait pas le droit, il n’avait pas le droit de l’abandonner, de les abandonner ! Les gardes Maeda la stoppèrent avant qu’elle ne se blesse davantage et la future Duchesse de Temerys monta à l’arrière d’une calèche vide en direction du Palais…

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Les yeux cernés de traces bleutées, signe évident d’une fatigue profonde, Levanah refusait toutes discussions et ne cessait plus de hocher négativement la tête lorsqu’elle voyait de nouveaux visages tenter de la raisonner, l’inciter à rejoindre son lit. Assise sur un fauteuil de velours des heures entières ou déambulant comme une lionne en cage dans la somptueuse chambre prêtée par les Maeda, la jeune femme n’était plus que l’ombre d’elle même. Ils avaient tant à vivre, tant à se raconter et si le destin avait décidé de les séparer pour ce combat-là, elle n’était pas prête à le quitter des yeux, épiant chacune de ses respirations en priant pour qu’elle ne soit pas la dernière.

Quatre jours. Quatres foutues journées, interminables et silencieuses durant lesquelles on lui répétait sans cesse qu’il allait bien, qu’il finirait par se réveiller. Oui, mais quand ? Démunie, le coeur en miette et les muscles endolories par les postures improbables dans lesquelles elle s’était assoupie quelques fois, la jolie brune referma les rideaux une fois la nuit tombée et serait là, à son chevet, pour les ouvrir le lendemain. Elle se glissa sous le drap blanc pour se lover contre le corps à peine tiède de son mari, s’empara de sa main pour la poser sur son ventre et brisa enfin le silence religieux devenu le sien depuis son retour.

« J’ai fait tomber un éclair sur le dragon, si t’avais vu ça. Tu te souviens de la fois où j’ai fais peur à tout ton équipage ?» commença-t-elle, les larmes aux yeux. Leur première véritable dispute. Un souvenir devenu doux avec le temps, apaisant dans des circonstances encore plus terribles maintenant.   « C’était un peu comme ça, mais je n’ai pas perdu le contrôle. Il y avait de la lave, des volcans. Il faisait encore plus chaud qu’à Temerys, tu imagines ? .. » Et l’histoire continua, encore et encore, l’espoir accroché au coeur qu’il l’écoute et soit fière d’elle.. qu’il se réveille pour entendre la suite..

Près d’elle, le corps de son mari se mit à bouger. D’abord lentement, comme le font souvent les enfants endormis, bercés par leurs rêves innocents, puis plus fort, un cauchemar d’adulte dont il peinait à se défaire. Les larmes se mirent à rouler sur ses joues, dégringoler dans le cou de la future Duchesse incapable de crier pour appeler à l’aide. Des frissons d’effroi couvrirent sa peau hâlée, réveillèrent les brûlures à son bras qui ne guérissaient pas très bien. « Nous avons mis trop de temps à vous soigner.» avait dit Nezetta en regardant les marques toujours présentes dans sa chair. Les vestiges d’un combat, la trace d’une aventure en enfer et pourtant, sa douleur se trouvait ailleurs, nichée dans sa poitrine comme un serpent venimeux qui lui faisait perdre la tête et paralysait ses membres. Impossible de hurler, de le quitter. Plus que jamais, Levanah Carrery refusait d’entendre un diagnostic défavorable si quelqu’un venait à leurs côtés. Et si.. et si son époux combattait la grande faucheuse sous ses yeux innocents ? Un ultime combat ? Que deviendrait-elle ? Les doigts de son mari vinrent presser les siens et malgré son agitation, elle se lova plus près, rêva de pouvoir fondre sur lui pour lui insuffler son énergie vacillante, mais encore debout malgré tout. La voix tremblante, proche de la rupture, elle continua son histoire, lui raconta chaque détails sordides de cette folle évasion avec son optimisme légendaire, oubliant volontairement les détails ingrats de son état de santé, quand enfin… il murmura son prénom, déversant par ces quelques lettres fragiles, presque inaudibles, une immense vague de bonheur, la couvrant d’espoir et de rêves infinis. Une vie à deux, ils se l’étaient promis.

« Alors reviens.. dépêche toi… mon rêve est ici.. réveille toi.. » le supplia- t-elle, dévastée, heureuse, inquiète, amoureuse. Cette homme s’était battu pour elle, avait défié les règles pour glisser une bague à son annulaire et l’idée qu’il puisse rendre les armes après toutes ces épreuves, avant la suite, la rendait folle.

Une étreinte délicate parvint à la rassurer, à réunir deux âmes follement éprises l’une de l’autre depuis le premier jour. A contre coeur, la jolie brune se redressa, craignant de la visite dans une posture incongrue en robe légère, s’activant autour de lui pour porter de l’eau à ses lèvres. « Je t’en prie, bois un peu. » dit-elle en posant sa bouche contre son front pour y déposer un doux baiser, vibrant aux rythmes de sanglots communs qui se faisaient écho, se murmuraient des mots d’amour pour se rassurer mutuellement. Ni les volcans, ni le dragon n’étaient parvenus à faire flancher la Capitaine, car sa plus grande peur, c’était une vie loin de lui. Le reste, ça n’avait pas d’importance.

« Tu m’as manqué Avitus, terriblement. » Une absence marquée sur son visage, une absence qui avait déchiré ses traits fins et lumineux pour les fondre dans un moule de tristesse et de fatigue. Le cauchemar prenait fin et la brunette reprit place, assise sur le rebord du lit, un sourire aux lèvres. Le premier depuis 4 jours.

« T’allais quand même pas voyager sans moi, loin de moi, mari ingrat. » et l’éclat d’un rire sonna enfin, déchiré par les larmes et le raz de marée d’émotions qui se détachait d’elle, qui libérait les chaînes à pic incrustées dans son cœur…

Tu as disparue la première .

Son coeur se serra en imaginant sa détresse. Le tempérament d’Avitus effrayait parfois les gens. Trop sérieux, trop rationnel, paré d’une forme d’aura d’autorité sans même avoir besoin d’élever la voix.. mais il aimait, pour de vrai, sans compromis. Un amour authentique, merveilleux, mais aussi dévastateur dans une telle situation. Dans sa malchance, Levanah avait pu veiller sur leur enfant, niché à l'abri dans son ventre quand lui.. avait tout perdu. Existait-il seulement des mots assez convaincants pour l’aider à se sentir mieux ? Non, pas vraiment.. La demoiselle fit ce qu’elle savait faire de mieux, rire d’une aventure enfin terminée.

« Tu m’étonnes. Une recrue de choix. A la place d’Alkeny, j’aurais fait pareil.» dit-elle, fière et souriante avant de glisser sa main dans les cheveux détachés de son mari, de démêler en dessous quelques boucles, de libérer son front des mèches rebelles. « N’y penses plus Avitus.. Nous sommes là, tout ça est bien réel. Et dans quelques jours, tu te sentiras mieux. »

La brunette reprit sa place, une jambe grimpant sur la sienne et la tête posée contre son torse. Au diable les règles ! Si quelqu’un venait à entrer sans prévenir, il ne verrait rien de plus qu’un mari et sa femme heureux de se retrouver.

« Je suis certaine qu’elle était merveilleuse… » dit-elle rêveuse, caressant son ventre tendu avec douceur. « Si c’est un fils qui nous rejoint, alors nous recommencerons et nous aurons une fille. Si c’est une fille, nous ferons un fils. Je n’ai jamais eu de famille, je veillerai sur la mienne avec la férocité d’une dragonne, crois moi. » lança-t-elle en levant l’index pour mettre en garde on se qui, avant de rire de sa propre folie. Ses doigts vinrent s'en mêler aux siens et Levanah caressa la bague à l’annulaire de son homme. Tout ça est bien réel pensa-t-elle de nouveau.

« Et bien, je crois que l’on peut dire que tu es en voie de guérison ! » Pragmatique, en quête d’un contrôle permanent pour ne pas se laisser dépasser. Le futur Duc de Temerys..

« Nous sommes au Palais des Maeda. Ils se sont montrés très bienveillants depuis notre retour..il y a 4 jours. » Elle soupira, soulagée que cette interminable attente soit enfin derrière elle. « Malka était avec moi, elle m’a sauvé, encore. Elle.. Malka à rejoint l’Onyx, j’en suis persuadée. »

Ils se ressemblaient tous. Froids, sombres et puissants, à son image.. Malgré l’absence de preuves formelles, sa soeur n’avait pas nié ses attaques, un aveux silencieux. « Mener une guerre contre ma propre soeur.. je ne sais pourquoi elle s’entête à me sauver, pour flatter sa conscience sans doute..» Une moue peinée déchira son visage et Levenah imposa encore plus sa présence contre le corps tiède de son mari. Moins lourd qu’un dragon avait-il dit… Tragique erreur tactique.

 Un monde sans lui ne pouvait plus exister. Levanah avait trouvé en son époux un soutien sans faille, un homme plus raisonnable qu’elle ne le serait jamais - et c’était une bonne chose, un équilibre des forces - et un surtout, un homme transi d’amour, capable de combler le grand vide dans son coeur d’avoir grandi seule. « Il te faudra bien plus que quelques mots pour te faire pardonner, mon amour. » Une phrase libre d’interprétation, même si cette proximité retrouvée et la tiédeur de son corps réveillait en elle bien des pensées. Après un long repos et un rétablissement total, bien entendu.

« Elle m’a semblé être extrêmement bien, comme si là-bas, elle avait trouvé sa place. Malka n’a jamais été dangereuse pour moi, elle est juste ma plus grande déception. Petite déjà, elle avait des comportements sournois et changeants. J’ai peut-être manqué quelque chose, un signal, un appel à l’aide.. j’étais plus petite qu’elle, je n’en sais rien..» La Carrery ne cessait pas de cogiter sur les détails manqués, sur les raisons qui auraient pu pousser son aînée à emprunter tant de voies douteuses. Assez parlé d’elle, Levanah n’arrivait pas à être triste, seulement déçue, encore. Un éternel recommencement.

La jeune épouse se redressa pour remplir un nouveau verre d’eau et le tendre à son mari qui se réveillait d’une profonde inconscience. Nezetta viendrait le voir d’ici peu et Levanah lui demanderait alors un rapport détaillé de sa souffrance et de son état, mais pour l’heure, elle préférait discuter. De sujets sérieux ou de la météo, à vrai dire, cela n’avait aucune importance. L’entendre lui répondre, enfin était une chose merveilleuse.

« Oui, un Feyrborn était lié à moi, un jeune homme d’une grande gentillesse . Il a fait tout son possible pour me protéger et m’offrir son bras pour avancer, nous devrons le retrouver afin de lui adresser nos remerciements en bonne et dûe forme. En vérité… tout le monde à veillé sur moi.. Nos amis, Nate, Ana et puis… tous les autres. Pourquoi sommes-nous en guerre Avitus ? Tous ces gens m'ont tendu la main, se sont unis pour me sortir de chacune de mes galères et pour dire vrai, ils se sont unis tout court, sans la moindre altercation.. Ça n'a aucun sens.. Comment étais-ce de ton côté.. ? Enfin, nous ne sommes pas obligés de parler de ça si tu ne veux pas ressasser. Peut-être peux tu m’expliquer pourquoi tu es rentré totalement ivre et couvert de rouge à lèvres il y a quelque temps ? A toi de choisir. » dit-elle en riant. Levanah lui avait passé une chasse de l’avoir réveillé en pleine nuit, avant de rire aux éclats de ses gestes désordonnés et de bouder le lendemain.. Elle n’avait pas cherché plus, persuadée qu’il existait une explication à tout cela et qu’Avitus ne pouvait pas l’avoir trompé, pas dans son état, enceinte de 7 mois. Malgré tout, son mari n’avait jamais eu à se cantonner à une seule femme. Riche et beau, il en avait profité. Cette période de sa vie lui manquait-elle ?

Éternelle protectrice, toute l’attention de Levanah était dirigée sur son époux. La jeune femme s’occupait de remplir les verres, caressait son front avec douceur l’air de rien pour contrôler la température de son corps et malgré la fatigue qui rendait ses reins affreusement douloureux à force d’avoir fait les cents pas dans cette chambre, elle scrutait discrètement son attitude, prête à sonner l’alerte à la moindre faiblesse.

Hors de question de revivre une seule journée supplémentaire de silence, d’absence.

« Nous avons manqué de moments calmes, juste pour nous, mais nous en aurons plein d’autres Avitus. Parle.. ne rumine pas. » dit-elle en soupirant alors qu’il passait à une autre histoire. La demoiselle hésita un instant à l’interrompre pour l’inciter à se confier, mais ce récit-là, elle avait bien trop hâte de l’entendre.. Kelona… Un époux ivre et couvert de traces de baisers aux joues, ça méritait bien quelques explications, non ?

La demoiselle s’empara d’un verre d’eau à son tour et manqua de s’étouffer dès la première gorgée. De rire, d’abord, car le portrait qu’il dépeignait de lui-même était aux antipodes de sa personnalité du quotidien. La jeune femme riait de ses blagues à longueur de temps car elle avait une place privilégié et partageait son intimité. En dehors, Avitus incarnait la droiture, l’autorité non violente et l’imaginer ivre au milieu de pirate, c’était plutôt drôle. « J’aurais payé cher pour voir ça, tu aurais pu m'emmener ! » dit-elle juste avant de se redresser, la tête inclinée et sa canine plantée dans la chair de ses lèvres. « A devenir quoi !?  » Envahissante. Par les Dieux. Folle de jalousie, ses doigts tapotaient nerveusement les draps blancs et Levanah fit de son mieux pour ne pas devenir totalement hystérique. « Ta réputation te précède, en effet.» siffla-t-elle, la moue boudeuse, en quête de compliments rassurants qui ne mirent pas longtemps à arriver. La future maman n’était pas aussi joueuse à ce stade de la grossesse, souvent fatiguée et la crainte de savoir son époux de retour au bordel comme de nombreux autres ne l’avait pas épargné. Elle y avait pensé, sans même cette histoire de rouge à lèvre.

Mais il n’y a aucune autre femme que je regarde comme je te regarde depuis ce baiser dans la salle du trône. Je n’aime et je ne désire que toi, j’espère que tu n’en doutes pas. « Je t’en pris continus, j’aime bien. » Un sourire en coin, malicieuse, elle ne doutait plus.

La discussion reprit de plus belle et les verres d’eau s’enchainèrent pour tenir le rythme. Ils en avaient des choses à se dire en moins d’une semaine de séparation avec 4 jours de coma. Levanah sourit, ravie de l’entendre de nouveau. Elle était prête à parler de la pluie et du beau temps juste pour écouter sa voix, pour ne pas avoir à s’inquiéter d’un silence trop long.

Ton ombre.
Outch. L’épouse Carrery avait à peine évoqué le sujet, s’était défilée comme une lâche depuis Beltane et n’avait jamais plus parler d’Ely en présence de son mari.

« Ely était lié à Velizar !? Comment va-t-il ?!» Une angoisse réelle, incontrôlable et bien visible dont elle n’était pas très fière. Pourtant, une peur viscérale lui broyait les tripes. « Il n’a pas voulu me le dire. Il pense être un danger pour moi.. Qui est-il ?  » Ce qu’Avitus confirmerait sûrement. Un pirate.. une Carrery.. « Il a voulu se tu.. ».
Levanah ferma les yeux, ses doigts s'agrippant avec force à ceux de son mari. « Merci. » conclut-elle, perturbée. Sa connexion avec Ely était puissante et les tourments de l'âme du pirate faisaient écho à ceux de son passé, à cette partie sombre d'elle-même qu'elle gardait bien enfouie.

« Je vais bien. J’ai été brûlé. Nezetta à fait son possible, mais il s’est écoulé trop de temps. Je garderais une cicatrice. Notre enfant se porte bien, alors je me moque bien de la tête qu’aura mon bras une fois totalement guéri. Je n’ai pas accouché sans toi, tu devrais être content.. » Elle avait pourtant marché des heures, avait été dopée à l’adrénaline, mais n’aurait pas supporter son absence dans un moment aussi précieux.

L’esprit de la jeune femme Sarao tournait parfois trop pendant l’absence de son mari. Avitus était sans cesse demandé. Dans un palais, sur un navire où en promenade dans l’Archipel, il ne cessait jamais de courir de réunion en réunion, de visites en soirée et pendant ces heures de solitude, malgré son agenda bien chargé à elle aussi, Levanah se perdait. Avait-elle fait le bon choix de vie ? Parviendrait-elle à être à la hauteur du rang qui deviendrait le sien, par extension du Carrery ? Les questions étaient nombreuses et pourtant, l’évidence se trouvait face à elle. La peur de le perdre ces derniers jours avait été un supplice et une douleur si forte s’était emparée de son coeur qu’elle s’était mise à envisager le pire. Une vie sans lui. Impossible, elle n’en voulait plus. Le jeune couple rencontrerait encore bien des obstacles, mais ils parviendraient à les dépasser, ensemble.

« Tu sais, au vu de tous les événements qui se sont produits cette année, je me suis plusieurs fois demandé si Calypso n’avait pas fait en sorte que nos chemins se croisent. Je n’étais pas censée faire halte à Temerys ce jour là, nous sortions une tempête et avions besoin de repos. Et tu étais là, pour me rappeler à quel point j’avais été idiote de ne pas te voir quelques années plus tôt.  » Elle l’avait regardé, avait été charmée par cette aura qui lui plaisait encore tant, mais le deuil était trop précoce à cette période.

« Je n’aurais peut-être jamais survécu à Fedja sans toi, pas même aux Dragons.  » Non, car sans cet enfant à protéger, nul doute qu’elle se serait mise encore plus en danger.

Son nom est Vaelyre Sovevna.

Son coeur s’agita dans sa poitrine et une décharge d’angoisse la tétanisa sur place, incapable de parler, de réagir, de prendre la pleine mesure de ce nom qu’elle connaissait bien et de ce que ça impliquait. Heureusement, Nezetta fit son apparition, lui offrant ainsi quelques minutes de répit pour se recentrer sur elle-même et ce qu’elle venait d’entendre. Est-ce que cela changeait quelque chose ? Pas pour elle. Trop fière, trop têtue, trop altruiste. Ely était entré dans sa vie et n’en sortirait pas, elle refusait cette idée. En revanche, pour les deux hommes à qui elle était liée de façon différente, ça changeait tout. Elle serait assurément un fardeau pour Vaelyre et trop en danger pour Avitus…

Nezetta marqua un temps d’arrêt qui n’échappa à la future duchesse. Pas plus que le calme trop calme de son mari. Hum. Elle épia discrètement les gestes de l’un, puis de l’autre, sans rien trouver de très concluant. A son tour ! Sage et disciplinée, elle lança un sourire amusé à la shaman qui lui retourna un regard malicieux. La vérité ? Levanah s’était montrée assez insupportable, impatience, agitée et impulsive pendant le coma de son mari et la voir aussi docile relevait du miracle.

« Ne riez pas, Nezetta, c’est son calme naturel qui déteint sur moi !  » Les deux femmes se mirent à rire un instant, car toute cette histoire finissait bien, n’est-ce pas ?

« La salle de bain est là-bas, derrière la porte en acajou. Tu constateras aisément à l’odeur de mes cheveux que je n’ai fait que la regarder.  » Que c’était bon de le voir debout, même si Avitus était encore fébrile.

Sur son départ, Nezetta se chargea d’allumer l’eau avant de claquer la porte derrière elle. Une guérisseuse dévouée qui sortait régulièrement de ses fonctions pour assurer le bien être du futur Duc, et d’elle, par ricochet.   « Laisse moi t’aider.  » dit-elle en posant ses mains sur le torse de l’héritier pour défaire les boutons de sa chemise.

« Parle pour toi. Je n’en peux plus de le porter, j’ai mal aux reins, aux jambes et je ne te parle même pas de la peau de mon ventre qui s’est fissurée comme un sol trop sec. Je veux bien faire un effort pour toi.. encore quelques semaines… » Comme si elle pouvait décider de quoi que ce soit. Pour l’heure, malgré les péripéties des derniers jours, ce petit bout restait planqué. Et c’était mieux ainsi.

La baignoire était spacieuse et les vapeurs d’eau chaude avaient masqué les miroirs. Tout était très différent de leur palais. Plus de verdure, des plantes un peu partout, mais un détail attira son regard sur les murs de la salle d’eau. Aucun doute, les Maeda savaient recevoir leurs invités. « On dirait de la mosaïque de Temerys, tu ne trouves pas ? »

Quel beau duo d'éclopés ! pensa- t-elle en souriant et aidant au mieux son époux dans ses déplacements. Son coeur saignait de le voir ainsi couvert d'hématome, mais sa détresse ne serait d'aucun soutien alors la jeune femme fit ce qu'elle savait faire de mieux, ce pourquoi les gens l’aimaient assez rapidement : elle se mit à sourire.

Un sourire douloureux, mais néanmoins totalement sincère car les marques colorées qui recouvraient ce corps qu'elle chérissait tant ne serait bientôt plus qu'un lointain souvenir. Avitus s’en remettrait et en verrait d’autres. Le couple ne restait pas planqué dans l’ombre, à donner des ordres dans une somptueuse salle sécurisée, non, ils donnaient de leur temps, de leur énergie, de leur personne et étaient sans cesse sur le terrain au même titre que les autres. Une folie peut-être, de se mettre ainsi en danger et de s’exposer à tous les risques, mais ils avaient été et seraient toujours de grands navigateurs, tous deux Capitaines de splendides et imposantes Vivenef. Aucun faiblard ou trouillard ne serait en mesure de diriger un équipage sur de tels navires.

Le courage coulait dans leurs veines en dépit des titres et des richesses. C'était très bien ainsi.

« Et bien, c'est une belle attention et ça nous donne un peu l’impression d’être chez nous. » Car dehors, tout était différent. L’architecture, la température, la végétation et bien d'autres choses. Cette petite parenthèse intime leur permettrait de se remettre sur pied. A la suite de son époux, la Carrery se glissa dans l’eau chaude et ses muscles l’en remercièrent. La tension qui l’avait tenu éveillé commençait à s'amoindrir et la fatigue lui sautait dessus comme une bête féroce trop longtemps enfermée.

« Je vais prendre quelques semaines pour moi, Avitus. Pas de réunion, de grands repas au palais, je ne veux voir que les personnes que nous invitons personnellement, me promener, dessiner. Je crois que j'ai envie de profiter de la fin de cette grossesse avec des plaisirs simples. Ça sera sûrement profitable pour notre enfant qui doit se demander ce qu'il se passe. » assise dans l’eau contre lui, elle caressa son ventre. Un geste devenu réflexe au fil des mois. « Avons nous suffisamment de bougies dans nos stock personnels ? Je ne prendrai pas la mer avant d’avoir accouché. J'aimerais mettre au monde ce petit ailleurs que sur le pont d’un navire. »

Pas un caprice, mais plutôt l'envie de vivre une belle expérience qui lui donnerait le goût de recommencer. « Il n’est pas encore là, mais je n’ai plus vingt ans et je rêve d'une grande famille. Sache qu’il a assez peu de chance pour que je t’accorde du répit. Je veux qu'il grandisse avec des frères ou des soeurs, les deux peut-être. » Une pensée pour ce bébé perdu lors de la bataille, qu'elle aurait aimé autant que le premier. Son coeur était trop grand et trop pur pour que ce ne soit pas le cas.

Quelques gémissements de bonheur en profitant des baisers, des massages et du soin que portait Avitus à l’aider comme il le pouvait sans se plaindre de sa propre douleur. Une vague de tension revint pourtant de façon soudaine en écoutant la dernière question. Non, pas ça ..
Que ressentait-elle ? C'était difficile à dire, à décrire, c'était puissant et captivant. Une attraction évidente, une alchimie. Aucune magie ne pourrait briser l’amour qu'elle portait à son mari, c'était bien différent de cela.

« Je t'aime Avitus, n’en doute jamais. » commença-t-elle à dire la gorge nouée. Son dos vint se blottir contre le torse de l’héritier pour le sentir près d'elle sans oser lui faire face.

« C'est nouveau pour moi et je souffre des blessures de cet homme quand il est proche. Elles raisonnent en moi et j’ai l’impression de pouvoir l’aider. C'est.. Instinctif, viscéral, je souffre de me détacher de lui. J'ai toujours attendu ce jour où je rencontrerai mon ombre sans jamais vraiment me renseigner, j’imagine qu’avec le temps ce torrent d'émotions s'apaise. Je vais trier mes pensées. Tu es mon mari, fais moi confiance. »