Summertime Sadness

« Ne compte pas sur moi pour avaler ce thé infâme, j'ai des goûts de luxe à présent » lança-t-elle en riant. C'était un peu vrai, car les boissons chaudes servies au Palais étaient délicieuses, rien à voir avec cette affreuse potion de contraception.

« Ne te tracasse pas, tu as fort à faire ici et ailleurs. Je t'écrirai dès la première contraction, tu n’auras qu'à me rejoindre avec une bougie. Garde en toujours une avec toi. Mon aide t’es toujours acquise, je ne rejette pas nos responsabilités et je continuerai de les partager avec toi, mais l'idée d'un peu de soleil et de raisin me séduit beaucoup, je dois l’admettre. »

Un peu de sagesse dans ce petit corps plein d’audace ne ferait de mal à personne. Ni à cette femme fatiguée, ni à son mari soucieux de son état de santé. Levanah ota le bandage imbibé d’eau de son bras et fronça les sourcils devant la laideur des marques qui ne partiraient pas.

« C'est hideux n’est-ce pas ? » la peau était boursouflée, pleine de petite vague, vestige d'une puissante brûlure. Un souvenir de guerre dont elle se serait volontier passé, mais qui lui rappellerait à jamais cette aventure face au dragon noir. « Je pourrais au moins me vanter auprès de nos enfants. Je ne leur raconterai que mes réussites, question d'ego. » Un nouveau rire, douce mélodie dans cette petite pièce pleine de buée. Un havre de paix. La main baladeuse de son époux electrisait systématiquement son corps. Un homme bon, un homme puissant et fin stratège. Son admiration était entière et ses fantasmes convergeaient tous sur lui. Ils étaient nombreux, même si ce gros ventre malmenait la praticité de leurs affaires personnelles..

Le baiser dans son cou parvint à la rassurer. Faisait-il des efforts pour ne pas exploser de jalousie ou était il vraiment confiant ? Elle n’en savait trop rien, mais il était là, prêt à écouter des paroles complexes et empreintes de confusion.

« A l’avenir , je tâcherai d'être transparente à ce sujet. Ce que je ressens pour cet homme me met mal à l’aise envers toi, mais rien ne pourra amoindrir ce que j'éprouve pour l’héritier de Temerys. Rien, personne. » Son coeur était vaste et Vaelyre y aurait une place, elle le savait, le sentait, mais l'espace qui serait celui du pirate ne ferait pas concurrence à l’immense pièce dédiée au Carrery.

Sans avoir besoin de voir son visage, Levanah fut submergée par la détresse de son mari, par le son de sa voix étrangement fragile, preuve d'une tristesse bien réelle qui tentait de dissimuler depuis des jours. Elle n'avait rien dit, rien demandé, préférant lui laisser également le temps de trier ses idées pour l'écouter le moment venu. Ses doigts plongèrent dans l’eau pour caresser ses jambes qui entouraient son corps, pour qu'il la sente, sache qu'elle était là pour lui et que sa grossesse ne devait pas impacter les confidences.

« Tu n’es pas comme eux. Tu n’es pas manipulateur et tu n’es pas lâche, Avitus et si d’avenir tu empruntait ce chemin, je serai là pour te crier dessus de toutes mes forces. » grande menace n’est-ce pas ? Pourtant, tout était vrai et la jolie brune était convaincue qu'elle n’aurait pas à se donner cette peine là et qu'elle pourrait crier pour d’autres choses bien plus futiles.

« Je comprends ta peine, vraiment. » Malgré des parents absents, morts peu de temps après sa naissance, Malka avait au moins eu le mérite de lui apprendre les aléas d'une vie de famille et toutes les déceptions qui allaient avec.

« Mais tu es prêt. » dit-elle d'une voix sèche remplie de confiance. La demoiselle de redressa de sa nonchalance, avachie sur le torse de son mari et pivota dans l’eau du bain pour lui faire face. Entre eux, les tabous et la pudeur ne devaient plus exister. Plus jamais.

« Tu as été préparé à devenir le futur Duc de Temerys. Tu seras parfait, vraiment parfait. » un titre qu'il n'obtiendrais qu'à la mort de son père, un drame plus qu'un honneur… un temps.. Les plaies finissaient toutes par se refermer et la future Duchesse veillerait sur lui.

« Sur cette île pleine de volcans, un homme m’a sauvé d’une mort certaine. C'est ironique, car les deux bras tendus pour me sortir des bras de l’enfer, d'une crevasse qui m’aurait avalée, étaient ceux de ma soeur et d'un parfait inconnu qui te ressemblait beaucoup. Le teint de Temerys, une barbe sombre.. le profil Carrery dans toute sa splendeur. »

Est ce que cette annonce l’appaiserait ? Sans doute pas. Saman était pourtant bien l’homme qui avait risqué sa vie, qui n’avait pas pris la fuite..pour sauver sa femme et son enfant.

A force de temps passé à deux, Levanah avait appris à décrypter les silences de son mari. Certains étaient salvateurs, source de paix et alimenté par le simple fait d’être ensemble, sans avoir à jouer à d’autres. D’autres, à l’instar de celui qui s’étira plusieurs secondes, marquaient son trouble et les innombrables questions qui devaient tourbillonner dans sa tête. Un large sourire sur les lèvres, comme pour insuffler aux ténèbres qui le rongeaient une forme de lumière bienveillante, elle caressa sa joue et laissa ses doigts se promener ensuite sur sa peau mouillée.

« A vrai dire, je ne sais même plus s’il s’est présenté. A ce moment-là, j’ai cru devoir te dire adieu, j’ai cru t’enlever ton rêve d’être père et grâce à toi, j’ai tenu bon. Ensuite, je suis retombée sur mes deux jambes grâce à eux et tu me connais, j’ai recommencé à jouer à la rebelle, à donner des ordres que personne n’avait envie d’écouter. » dit-elle en riant de bon coeur tout en affichant une moue dépitée. Sur le Salvatore, personne ne mouftait, ses décisions étaient écoutées et respectées, mais là bas, tout avait été différent. Un joyeux bordel.

«Avitus.
Ça n'a aucune espèce d’importance. Il peut choisir d’être qui il veut, tu t’en sortiras très bien avec ou sans lui. Grâce à lui, nous prenons un bain, je pense que ça suffit pour qu’on ne l’accable pas. »

Son nom ? Le temps avait manqué. Fejda, les flèches, sa grossesse, tout semblait avoir eu lieu la veille et depuis le mariage, le couple Carrery n’avait eu aucun repos.

« Si c’est une fille, j’aimerais qu’on l’appelle Aélia. Aelia Carrery. Pour un garçon, la balle est dans ton camp. Qu’en penses - tu ? »

La shaman repoussait l’inévitable. Cherchait le moment propice pour ajouter des larmes, pour déchirer le coeur de son mari avec la sensation de le poignarder elle-même, même si rien de tout ça n’était de sa faute. Il n’y avait pas de bons moments pour annoncer la perte d’un être cher et la simple idée d’imaginer un fils la rappela à l’ordre. Aesira avait été nommée par l'héritier pour devenir la marraine de leur enfant, quand elle avait pensé secrètement au parrain.

Evander.

Sa poitrine se serra et Levanah se pinça les lèvres.

« Je.. Mon amour.. je dois te dire.. » la grande bavarde peinait à trouver ses mots, accablée par la souffrance que lui procurait l’annonce à venir. « J’ai reçu un message pendant ton repos.. Alkeny, les dragons, tout ça, ça a fait un paquet de blessés, mais certains n’ont pas résisté.. Un homme que nous connaissons et aimons ne s’en est pas sorti.. » Sa main trouva la sienne pour encaisser le choc qui déferlerait dans son âme et son corps encore faible. « Evander..» murmura t-elle, la voix brisée.

« Plus jeune, une dame m’a appris à lire. Aélia était l’héroine, une femme à l’espoir sans limite et au coeur pur. Certains disent que ça signifie ange, d’autres, soleil. J’ose espérer que la génétique ne m’abandonnera pas. Que notre enfant partagera nos valeurs et ne devient pas comme elle.. » Malka.   « Je veux qu’il incarne l’espoir d’un monde meilleur, qu’il apprenne tout de son père. Qu’il soit aussi intelligent et compétent que toi, mais aussi téméraire que moi. A toi, propose-moi un prénom. Tu as l’air si convaincu d’avoir une fille, je t’écoute. »

Après la joie, le bonheur de voir cette grossesse arriver bientôt à terme, la tristesse de son époux lui brisa le coeur en mille morceaux. Evander était un homme si puissant qu’il semblait invincible. Il était un employé, devenu un ami et un mentor pour le couple de Temerys et son absence laisserait inévitablement un grand vide.

« Je.. je n’avais pas la force de demander plus de détails. Une pirate, me semble t’il. J’étais déjà tellement dévastée par ton sommeil sans fin que j’ai congédié le messager sans une once de tact, si tu savais comme je m’en veux à présent..  »

Pourtant, si tout était à refaire, Levanah ne changerait rien. Son mari était sa priorité, à jamais. La jeune femme se rapprocha de lui pour embrasser sa joue et cueillir ses lèvres avec une infinie tendresse.

« Tu le connaissais mieux que moi, il n’hésiterait pas à nous rappeler à l’ordre. A nous ordonner de ne pas être tristes, de ne penser à lui que pour de beaux souvenirs. Evander nous à transmis son savoir et nous le transmettrons à notre tour. Nous avons vécu tellement de choses depuis nos retrouvailles Avitus.. arme ton coeur de toutes ces belle choses, car malheureusement, les conflits à venir feront des victimes et nous n'aurons pas le droit de flancher. »

C’était si difficile. Des deux, Levanah était la plus sensible et la plus fragile face à la mort et la violence. Contrairement à l’héritier, elle n’avait pas été préparée à dirigée, n’avait jamais reçu la moindre leçon sur la façon de mener une guerre. Si la peine la submergeait, leur couple et leur vie de famille en pâtiraient. Elle connaissait ses limites et espérait pouvoir s’accrocher encore et encore à la force mentale de son mari pour maintenir le cap, conserver l’espoir.

« Ton absence va être un supplice, tu le sais ? Je vais me languir jours et nuits de ta présence même s’il me tarde de rejoindre Temerys. Tu as intérêt à m’écrire et ne rentre surtout pas avec une nouvelle trace de rouge à lèvre. Les dragons te sembleraient innofensifs en comparaison de ta femme hystérique. »

Détourner l’attention. Lui arracher un sourire, aussi petit soit-il.
« Et si nous retournions au lit ? Tu es encore faible et..je m’en désole.. par les Dieux, repose toi pour retrouver ta flamme et ton énergie. » Après 4 jours de coma, Levanah se languissait de le voir s’activer de partout, rêvait de pouvoir s’accorder une heure ou deux pour visiter Oshaara à ses côtés, pouvoir le séduire pour une proximité charnelle qui lui manquait temps et le sentir un peu moins.. anéantit..

Consciente qu’à ce stade de sa grossesse, la magicienne avait besoin de repos et de calme, sa culpabilité était tout de même très présente. Levanah avait l’impression d’abandonner son époux dans la fosse aux lions au pire moment de l’histoire, mais un accouchement précipité ou laborieux faute de sommeil serait une peine encore plus grande que toutes les autres réunies. La mort dans l’âme, elle rentrerait donc sans lui, qui avait tant à faire aux côtés des leaders de l’Archipel en feu.

« Dans une semaine environ, le temps pour nous de visiter Oshaara entre deux réunions si nous avons de la chance. Le temps que je sois certaine de ton rétablissement avant de penser au mien, nécessaire pour notre enfant. Je ne suis pas toute jeune pour une première naissance, nous devons mettre toutes les chances de réussite de notre côté. » Bien sûr, elle n’avait pas besoin de se justifier, car Avitus partagerait évidemment son avis, mais le nouveau couple avait pris l’habitude de tout faire à deux, ou du moins, d’être toujours assez proches malgré des agendas différents. Pas cette fois.

« C’est un très beau prénom. » admit-elle en repensant à cet homme merveilleux qui le portait jusqu’à présent. Si un garçon venait à pointer le bout de son nez pour charrier son père trop convaincu d’avoir une fille, il s’appellerait donc Evander, en hommage à leur ami qui aurait dû devenir le parrain du fruit de leur amour si la vie s’était montrée plus clémente.

Lentement, la belle quitta le bain tiède et enveloppa son corps dans une serviette chaude avant de rejoindre le confort du grand lit présent dans la pièce attenante. Avitus mit un certain temps à la rejoindre, mais la jeune femme s’efforça de rester calme et de ne pas courir à son secour pour ne pas heurter son égo d’homme fort, maltraité par les évènements. Lorsqu’enfin, la silhouette familière et réconfortante vint se lover près d’elle, toute la tension accumulée s’évapora dans l’air pour quelque chose de beaucoup plus doux. Le bonheur. Un bonheur entaché par des zones d’ombres, mais pourtant bien réel maintenant que son mari était de nouveau conscient et sur le chemin de la guérison.

L’héritier déposa alors au creux de sa paume un anneau d’une grande beauté, gravé de leurs initiales à l’instar de sa bague de mariage et les explications qui accompagnaient ce présent lui firent extrêmement chaud au cœur. La nouvelle Dame Carrery savait à quel point ce genre de bague de protection était coûteuse et un large sourire étira ses lèvres telle une enfant à Noel, émut par cette énième marque d’affection. L’amour avec un grand A. Pur, sincère, sans cesse plus puissant.. Levanah glissa l’un de ses doigts dans le creux pour porter fièrement son nouveau bijou avant d’étendre son corps contre son amant, ses jambes emmêlées aux siennes et sa tête posée contre son torse pour une étreinte salvatrice qui leur redonnait des forces à tous les deux.

« C’est magnifique et c’est une folie.. tu n’aurais pas dû.. mais je l’adore. » dit-elle en regardant la finesse des détails. Il avait pensé à tout. « Tu me connais mieux que personne d’autre.. » murmura t-elle avec fierté. L’indomptable Levanah Stark n’existait plus vraiment, car l’homme à ses côtés avait kidnappé son âme en échange de la sienne. La plus belle rencontre de sa vie, sans l’ombre d’un doute.

« J’ai très peu dormi ces derniers jours. Je ne bougerai pas d’ici. Je vais aspirer tout ton air et te coller comme une sangsue jusqu’à mon départ. Repose toi, rêve, mon amour, de toutes nos merveilleuses aventures pour ne pas penser au reste. » Leur rencontre atypique, leur lune de miel si douce, l’annonce désastreuse, mais néanmoins merveilleuse de sa grossesse.. le choix était large et Levanah opta pour la première. Les paupières closes, elle repensa à ce magnifique pic de glace qu’elle avait osé lancé sur l’héritier de Temerys et ses lèvres s’étirèrent en un délicat sourire de bonheur avant que le marchand de sable ne la plonge dans un profond sommeil dans les bras protecteurs de son mari..