Vi Jy Peerat

Boussole Accroché à sa planche, Vi contempla l’horizon. Du bleu partout. À tribord. À bâbord. Le ciel lui-même était d’un bleu parfait. Il avait chaud. Il avait soif. Naufragé au milieu de l’océan, il se demandait si c’était là sa fin. Ce n’était pas aussi épique qu’il se l’était imaginé, mais c’était bien loin de la mort à laquelle son existence passée le condamnait.

Enfant déjà, il avait failli périr d’une de ces maladies infantiles qui menacent chacun. C’était sa première rencontre avec la Mort. Ils avaient fait connaissance, s’étaient salués puis, chacun avait repris le cours de son chemin. De cette entrevue, il avait conservé une apparence de freluquet quelques années. S’il aurait pu penser trouver là un moyen d’esquiver l’héritage familial, il se trompait. Sa charpente sèche et affutée suffisait amplement à tenir en respect un troupeau de moutons.

Fermier à Stediterre, il avait fondé une famille avec une donzelle du coin. Il ne la détestait pas. Il ne l’aimait pas non plus. Comme chaque jour de son existence, ce qui devait être fait était fait. C’est ainsi qu’une ribambelle de marmots mi-lui, mi-elle s’éparpillèrent sur son domaine en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. En toute honnêteté, il n’était pas un bon père. Il s’accommodait fort bien de l’acte reproducteur, toutefois, les conséquences le laissaient plutôt détaché.  Il n’était pas mauvais bougre, mais il reproduisait le schéma qu’il avait lui-même connu. Il transmettait ses connaissances et les compétences à maitriser pour le parfait éleveur de moutons, pas plus.

À quarante ans, mari, père, grand-père, son lignage était assuré. Sa ferme se portait bien. Si son cheptel caprin n’était pas le plus reconnu du coin, il pouvait tout de même se glorifier de la présence de quelques spécimens magnifiques. Pourtant, chaque jour devenait plus monotone et sinistre que le précédent. Il n’était plus au zénith de sa forme. Ses os craquaient à chaque mouvement et ses nombreux crachats n’auguraient rien de bon sur l’état de ses bronches. Le temps et les travaux quotidiens avaient usé l’homme bien malgré lui. Sa descendance lui faisait sentir de plus en plus qu’il était l’heure de céder sa place. D’homme accompli, il n’était plus pour eux qu’un vieillard sénile, tout juste bon à décrotter les museaux de ses petit-marmots.

C’est face à ce constat qu’il choisit de partir. Quitte à dépérir, il préférait le faire sous d’autres cieux. Il ignorait tout du monde au-delà de Thraell et le monde ignorait tout du fabuleux homme qu’il se savait être. D’aventures en mésaventures, il s’affranchit de ses peurs et de ses doutes jusqu’au jour où… il se trouva là, huit ans plus tard, perdu, au milieu de l’océan, à quelques nœuds d’une vivenef qu’on nommait Echo.