Un peu de réconfort [Aédan]

Un peu de réconfort

Tout était allé si vite depuis la rencontre avec l’héritier du duché de Temerys… Avitus Carrery était rentré au Crépuscule avec son frère et Valetta, la propriétaire de la maison close, m’avait envoyé pour les accueillir. Mon sang n’avait fait qu’un tour lorsqu’Avitus s’était isolé avec moi et avait prétendu me connaitre. Sept ans passés sans mémoire, sept longues années… Calypso m’envoyait enfin un signe.

Le reste s’était enchaîné. Le surlendemain dans la soirée, j’avais croisé la route de ma soeur Eliza que j’étais parvenue à identifier par miracle. Cette dernière travaillait sur la vivenef d’Avitus et l’avait suivi dans une taverne avec le reste de l’équipage. Quant à moi, j’étais venue pour accompagner le seigneur Eiran Maeda qui avait payé pour ma compagnie. Les retrouvailles avaient été fortes en émotions, d’autant qu’Eliza et Eidan semblaient se connaitre de longue date.

Le lendemain, Avitus avait tenu ses engagements et m’avait personnellement amené à Nevesk, mon village natal. La veille, ma soeur m’avait enjoint à ne pas y aller, me racontant que des pillards avait détruit notre maison et que ce serait trop dur d’y retourner. Un shaman aurait déclenché une tempête et tué tout le monde… Cette tempête qui revenait me hantait très souvent en rêve…

Je n’avais pas écouté Eliza. Qu'importe la douleur, je voulais me donner les moyens de retrouver la mémoire… Cette quête que je menais depuis sept ans et qui s’était changée en obsession. Je devais savoir à tout prix qui j’étais, je ne me sentirai complète qu’au retour de mes souvenirs…

Retourner à Nevesk avait effectivement ravivé ma mémoire. Des fragments de souvenirs fusaient depuis quelques jours… Mais j’avais buté en touche en approchant de la ferme où j’avais grandi. La panique m’avait frappé, j’avais fait demi-tour. J’étais en pleine crise d’angoisse lorsqu’Eliza avait déboulé pour nous révéler la vérité sur son crime. Un cruel accident… La perte du contrôle de ses pouvoirs avait causé ce drame. Et avec ces aveux, les souvenirs de la tuerie m’étaient revenus. Avitus s’était braqué, m’avait poussé à monter à cheval et à nous presser de partir pour nous éloigner d’Eliza sans réaliser dans quel état j’étais… Un vertige de trop m’avait frappé alors que nous galopions, j’avais chuté et failli me fracasser le crâne. Je m’étais réveillée au palais ducal, entourée de shamans guérisseurs. La catastrophe avait été évitée de peu…

Si Avitus s’était comporté en véritable ami avec moi, je m’étais retrouvée seule au monde sitôt que j’avais quitté le palais. Raconter la vérité à mes amis pour chercher du soutien aurait compromis dangereusement Eliza alors j’avais pris le parti de me taire. J’avais dépéri pendant quelques jours à la maison, m’alimentant à peine et ressassant, avant de finir par trouver le courage de me relever et de sortir de chez moi. Je m’étais recueillie sur la tombe de ma mère avant d’aller me confronter en face à face avec Eliza…

La mémoire m'était revenue pour l’essentiel. Si je butais encore sur des détails, je me souvenais parfaitement de qui j’étais et d’où je venais… Et je devais gérer vingt et un an de souvenirs. C’était comme prendre un retour de boomerang en pleine face. Si je me sentais à nouveau entière (et j’en aurais pleuré de joie), je prenais aussi le contrecoup de tous les souvenirs traumatiques qui avaient causé l’amnésie. La dernière image avant l'extinction me hantait et m’anéantissait. Je m’étais réveillée un jour à l’hospice, incapable de me rappeler jusqu’à mon propre nom. On m’avait dit que je tenais une femme décédée dans mes bras… Je savais aujourd’hui qui elle était, la raison pour laquelle ma mémoire avait vrillé. Ce souvenir me hantait de jour comme de nuit, dès que je lâchai ma concentration, cessai de me focaliser sur une distraction…

Je rampai par terre, brisée en morceaux, tout juste consciente. Je voyais son corps au loin, je m’accrochai à cet objectif pour ne pas sombrer. Elle était là, un énorme morceau de bois fiché dans la poitrine. Elle tenta de parler, le sang coulait de sa bouche et l'étouffait…  

Ma mère.

Je ne comprenais pas pourquoi la déesse avait choisi de m’épargner alors qu’elle avait emporté mes parents et ma grand-mère. Eliza m’avait volé sept ans de ma vie… Mais j’étais de retour aujourd’hui, pleinement éveillée…

Et je ne savais plus quoi faire. Comment trouver la force d’avancer après tout ça ? Mon coeur était en miette, mon esprit bien trop actif pour me permettre de trouver le repos dans les rêves. Je ne dormais pas assez, je ne m’alimentais pas suffisamment…

“Tu vas y arriver, Amélia”

Je n’étais pas suicidaire, je demeurrai lucide… J’aimais la vie, je voulais aller de l’avant… Mais comment faire pour survivre à pareille souffrance ?

Le soir de nos retrouvailles Avitus avait loué mes services pour un mois durant, posant un contrat d’exclusivité avec moi. Me désengager avec le Crépuscule avait été ainsi facile… Je pouvais profiter de quelques semaines de congé payées rubis sur ongle sans avoir à me préoccuper de justifier mon absence… Le temps de prendre une décision concernant ma carrière.

J’ignorais ce qu’était devenu l’héritier. Il me semblait avoir entendu dire qu’il était parti en mer avec une amie. J’imaginais qu’il avait besoin de prendre un peu de recul lui aussi, l’altercation avec Eliza semblait l’avoir affecté. La perspective de voyager me paraissait de plus en plus séduisante… Je m’étais accrochée à l’Aurore ces sept dernières années, m’interdisant de partir de peur de louper la chance unique de trouver un indice sur mon passé… Plus rien ne me retenait aujourd’hui. J’avais économiser une forte somme d’argent que je pensais - il y a encore peu - investir pour bâtir mon affaire, tourner enfin le dos à la prostitution… J’étais jusque là en quête de reconnaissance, dans le besoin vital de me créer un nom, moi qui n’en avait pas. La famille était une chose si importante dans l’Archipel…

Mais aujourd’hui j’étais Amélia Kenway, l’héritière d’une famille d’éleveurs de chevaux des sables jadis très réputée à Temerys. Si l’élevage n’existait plus depuis le drame, les terres et l’héritage me revenaient…

Je ne savais pas quoi faire de tout ça. L’aspect pécunier de ma situation me paraissait bien secondaire à l’instant. J’avais déjà assez affaire pour ne pas complètement dépérir…

Sortir me semblait être le premier effort à fournir pour ne pas sombrer, alors j’avais pris l’habitude de faire des balades plus ou moins longues. Ce jour-là, mes pas m’avaient conduite au port. J’avais déambulé un moment, observant les bateaux avec un regard mélancolique. J’étais tentée d’embarquer là, tout de suite, sur n’importe lequel de ces bâtiments…

Mais ce ne serait rien d’autre qu’une fuite.

Je devais d’abord terminer de gérer les formalités, l’héritage, de mettre au clair les choses avec Eliza… Ensuite, seulement…

Ensuite je serai libre d’aller. Trouverai-je le salue ailleurs dans l’archipel ? Voir du pays me permettrait-il de me changer les idées, d’apaiser ma douleur ?

J’observai au loin les vivenefs qui mouillaient dans le port au milieu d’autres bateaux. Elles étaient si fascinantes… Je me demandais ce que l’on ressentait en foulant leur corps, en communiquant avec elles. Etaient-elles douées d’émotions comme les humains ? La magie pouvait-être aussi miraculeuse que destructrice…

Je sautai une marche et m’installai sur un banc à l’ombre d’un bâtiment, sortis un livre qu’Avitus m’avait prêté en me voyant rêver devant la bibliothèque ducale. Mes parents m’avaient offert une instruction, jadis. Ils avaient nourri l’espoir qu’Eliza et moi puissions développer le commerce, d’élever notre famille… S’ils savaient ce que nous étions devenues l’une et l’autre… pensai-je le cœur lourd.

Les mots glissaient et s’emmêlaient, je peinais à me concentrer. Je fermai les yeux un moment, j’étais si las… Je savais pourtant que le sommeil me fuierait si je m’allongeais.

Je rouvris les yeux, avisai une silhouette familière au loin que je contemplai un moment sans vraiment la voir, l’esprit ailleurs. Le son d’un enfant qui pleurait me ramena les pieds sur terre. Je battis des cils, ma vision se précisa. Je reconnaissais ce visage, oui. Aédan Feyrborn. Temerys voyait décidément défiler les maisons ducales ces derniers jours… songeai-je avec un brin d’amusement. L’ombre d’un sourire se dessina sur mes lèvres alors que je croisai le regard d’Aédan.

“Je ne serai pas de bonne compagnie aujourd’hui”, pensai-je tristement.

Pourtant, la présence de tierces personnes m’étaient toujours d’un grand réconfort. Mais le commerçant avait peut-être à faire ailleurs, qui sait ?

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un peu de réconfort

Un peu de réconfort

“La magie”. Vaste sujet. Quand Avitus m’avait demandé le genre de lecture qui m’intéressait, mon choix s’était rapidement porté sur celui-ci. Mon cerveau avait fait le choix de me cacher la vérité et de rendre ma mémoire inaccessible mais aujourd’hui la vérité me revenait en pleine face. Beaucoup d’interrogations trouvaient des réponses, et beaucoup de réponses appelaient d’autres questions. Je ne savais presque rien au sujet des shamans, mes connaissances étaient bien trop parcellaires. J’avais besoin de comprendre. La nature de ma soeur, pourquoi son pouvoir lui avait jadis échappé et pourquoi il lui était encore difficile à contrôler, Cette connexion hors norme que j’avais avec elle et qui me préoccupait…

La silhouette approcha pour se préciser dans mon champ de vision, la voix grave m’arracha pour de bon à mes pensées.

-Bonjour Aédan.

Je refermai le livre, par respect pour le nouveau venu qui se présentait à moi et semblait désireux de s’installer et de discuter.

-Tu es de passage à Khesa ?

Je l’ignorais. Bien entendu, l’information transitait plutôt par le Crépuscule d’habitude, Aédan ayant pris l’habitude d’y passer pour y écouler sa marchandise. Les employés de la maison close ainsi que Valetta appréciaient les objets de qualité. Le Crépuscule avait un certain standing à tenir, seule la bonne société fortunée y était admise. Si la paie était bonne, Valette exigeait une toilette irréprochable de la part de ses filles et garçons.

-Bien sûr, installe toi. Tu es toujours le bienvenue, dis-je courtoisement, sourire aux lèvres mais le regard résolument triste. Tu es arrivé il y a longtemps ?

Je n’avais pas vraiment le coeur à faire des achats. La marchandise d’Aédan était pourtant de qualité et faisait bien souvent mon bonheur. Avec les années, j’avais su développer une clientèle d'habitués et gagnais très raisonnablement ma vie. Avouons-le, j’étais coquette et j’avais le goût des belles choses…

Tout cela me paraissait bien secondaire pour l’heure. En revanche, j’étais heureuse de revoir Aédan. Bien qu’il ne soit toujours que de passage, j’avais appris à découvrir l’homme derrière le marchand. Pour une personne de haute lignée, il était exceptionnellement humble et abordable… Et étonnamment respectueux des femmes. Je ne l’avais jamais vu consommer autre chose au Crépuscule que des boissons. La tentation était bien présente pourtant, les filles avaient bien essayé de l’attirer dans l’intimité d’une chambre… Les garçons aussi, me semblait-il, en voyant l’insuccès féminin. Personne n’avait remporté la victoire et les paris allaient bon train à la maison close pour déterminer les penchants sexuels d’Aédan Feyrborn.

-Comment vas-tu ? Quelles sont les nouvelles ?

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un peu de réconfort

Un peu de réconfort

-Et où étais-tu avant d’arriver à Khesa ?

Je l’enviais un peu avec son navire… Une forme de liberté bienvenue. Et puis je me demandai soudain s’il voyait réellement du paysage. Ses voyages se faisaient essentiellement en mer. Profitaient-il seulement de ses étapes ? Avait-il pu visiter l’archipel ?

Je coulai un regard pensif vers lui et glissai une main dans ses cheveux et les secouai délicatement.

-La tête nue… Ne craignez-vous pas l’insolation, messire Feyrborn ? le charriai-je.

Les locaux avaient l’habitude de se protéger de la morsure du soleil, mais les voyageurs manquaient parfois de prudence. L’inexpérience pouvait coûter aux imprudents qui s’exposaient trop longuement.

Je regardais la pêche qu’il me proposait et l'acceptais en le remerciant. La faim n’était pas là, mais refuser aurait été impolie. Me forcer pour faire bonne figure… Je conservais le fruit dans mes mains et jouai avec, me focalisant sur la sensation de la peau sur mes doigts.

-Et qu’as tu prévu pendant ces trois ou quatre jours ? demandai-je curieuse.

Je mordis délicatement dans la chair de la pêche sans grand enthousiasme.

« Et toi ? »

Je gardais le silence un moment

-Je pense que je vais m’éloigner de Khesa quelque temps, dès que j’aurais mis en ordre quelques affaires… J’ai besoin d’air.

N’importe où mais loin d’ici… Pour quelques semaines ou quelques mois, le temps de respirer à nouveau. J'étouffais.

Je croquais à nouveau un petit morceau de pêche.

-Tu voyages depuis longtemps ? Tu as dû voir du pays… Raconte-moi, qu’est-ce qui t’as le plus marqué ? J'ai besoin de rêver un peu, lui dis-je avec un fin sourire.

"Grand besoin même..."

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un peu de réconfort

Un peu de réconfort

-Sait-on jamais, répétai-je avec humour.

L’or noir d’Oshaara avait un succès mondial et l’ile qui exportait en tirait une énorme source de revenu, du moins je l’imaginais… Je demeurais néanmoins prudente avec cette drogue, trop consciente des risques d’addictions. Dans mon milieu, il n’était pas rare de voir les prostituées sombrer dans la dépendance et se détruire pour échapper à un quotidien pas toujours très charmant… Je consommais toujours avec parcimonie.

-C’est vrai qu’il y a une belle tignasse, admettai-je avec humour en hochant la tête. Tu nous invente donc le concept de cheveux pare-soleil ?

« S’il m’arrive quelque chose, je compterai sur tes bons soins, »

-Aurai-je assez de force pour te traîner jusqu’à la fontaine et t’y jeter tête la première ? Mmhh… Je vais peut-être devoir faire travailler mes petits bras pour renforcer un peu tout ça.

Ce n'était peut-être pas le genre de soins délicats auxquels il s'attendait, cela dit. Mais c’était le mieux que j’aurais à lui offrir en cas d’insolation. Les rayons de l’astre ne pardonnaient pas. Il existait bien des onguents pour apaiser les brûlures aussi, je lui souhaitais cependant de ne pas en avoir besoin… Les coups de soleil pouvaient être sacrément douloureux.

-Quitter Temerys, pourquoi pas oui… Ça me plairait bien de voir de nouveaux paysages.

Et le Crépuscule ? En voilà une bonne question…

-Je crois bien qu’il est temps que je tourne la page et que je passe à autre chose. Le Crépuscule a été une parenthèse dans ma vie, maintenant je…

Comment expliquer ? Que j’avais retrouvé ma mémoire, que l’ancienne Amélia était toujours là mais que vingt et un ans de souvenirs s’étaient supplantés et avaient profondément changé celle que j’étais… ? Que j’avais retrouvé ma soeur, la meurtrière de ma famille, qu’elle était à deux doigts de se foutre en l’air en se dénonçant à la justice et que j’étais incapable de la raisonner ? Tout était en train de bouger à grande vitesse dans ma vie… J’avais vraiment besoin de m’éloigner de la toxicité de cet environnement le temps de digérer le coup du deuil et tout le reste.

-Disons que je me réveille d’un très long rêve, et c’est assez brutal. J’étais amnésique jusqu’à il y a encore peu. Mes souvenirs me sont revenus en grande partie, confessai-je.

Comme si cela pouvait tout expliquer…

J'acquiesçai. J’avais entendu de nombreuses histoires colportées sur les charmes et la beauté de chaque île. Ce ne serait jamais que des histoires qui prendraient vie de manière fantasmée dans ma tête. Certaines choses devaient se voir pour être réellement appréhendées. Dommage néanmoins, je n’aurai pas craché sur une jolie histoire de plus pour me changer les idées…

Et puis sa proposition tomba l’air de rien et je le regardai bouche bée, cherchant à identifier une éventuelle plaisanterie de sa part. Il avait pourtant l’air bien sérieux.

-C’est inattendue… J’espère que tu ne cherches pas à compléter ton équipage de marins car je n’ai aucune compétence de navigation, souris-je. Ta proposition est tentante, Aédan, très tentante.

Je trouverai bien à me rendre utile sur place… Le nettoyage, la cuisine, l’animation musicale ? Ou tenir compagnie à cet homme, peut-être, si tant est qu’il recherche ce genre de présence. J’étais une prostituée, une telle demande ne me choquerait pas outre mesure.
L’idée se frayait un chemin dans mon esprit en douceur. Partir dans quelques jours sans savoir où ni pour combien de temps… C’était un peu fou.

-Qu’attendrais-tu de moi en échange du voyage ?

Rien n’était jamais gratuit dans la vie.

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un peu de réconfort

Un peu de réconfort

La remarque d’Aédan m’arracha un sourire.

“On va donc espérer que je ne tombe pas dans les pommes aujourd'hui…”

-Non, reviens plutôt demain, le charriai-je.

J’étais probablement la dernière personne de cette ville apte à prendre soin d’un homme malade en ce moment… L’image avait un petit quelque chose de romantique, suggéré tel qu’Aédan le faisait. Il avait un côté charmant, pas seulement dans son physique mais aussi dans sa façon de parler aux autres. Une gentillesse touchante.

“J'admire ton calme.”
-Je ne suis pas si calme à l’intérieur.

Si je m’effondrais, j’emporterais Eliza avec moi sans aucun doute. Ma soeur était prête à se rendre à la justice sur le champ, j’avais été contrainte de ravaler ma rage et de prendre sur moi pour la convaincre de ne pas courir droit au suicide. Après une série de meurtres accidentels et une fuite de sept ans, les juges seraient intransigeants. J’étais en colère bien sûr, contre elle, contre le monde entier qui s’acharnait… Mais je ne souhaitais pas sa chute pour autant. Eliza serait toujours ma petite soeur… Et aujourd’hui, elle était la seule famille qu’il me restait. Alors je devais rester forte et régler la crise sans m’emporter, sans faire de vagues…

-J’essaie juste d’être mature pour deux… murmurai-je.

Et je ne pouvais pas en parler, à personne… Nous étions quatre à connaître la vérité, l’un d’eux était un ami mais vivait dans un château ducal inaccessible, l'autre était l’amant de ma sœur et était prêt à tout pour la protéger… Autant dire que je n’avais pas de confident avec qui décharger… Pas vraiment. J’étais bien entourée cependant, j’étais de nature sociable et je connaissais du monde à Khesa. Mais j’étais obligée d’éluder une partie des faits, supprimer du récit tout ce qui mêlait ma soeur au drame.

Je fixais la pêche que j’avais à peine touché du bout des lèvres…
Et relevai les yeux vers Aédan qui me surprenait avec sa proposition. Embarquer pour l’aventure, sans condition, sans contrepartie… C’était une offre si généreuse qu’elle n’admettait pas de refus. J’avais besoin de foutre le camp et le destin m’envoyait cet homme, c’était inouï.

Je posai la tête sur son épaule et fermai les yeux quelques instants.

-Tu es adorable, Aédan. Tu es sûr que tu ne serais pas un peu théméryen ? le taquinai-je.

Mon peuple avait un sens de l’hospitalité très aigüe, nous étions chaleureux et accueillants. Les gens étaient peut-être semblables à Feyr, je ne le saurai quand y posant les pieds pour le constater par moi-même après tout.

Un dernier truc à faire avant de partir… Hmm…
Je réfléchis quelques instants.

-Des amis troubadours se produisent en spectacle en ce moment, ils sont réputés pour mettre une ambiance du tonnerre.

Je n’avais pas vraiment pu profiter d’eux l’autre soir, du fait de mes retrouvailles avec Eliza qui avait engendré une cascade de rencontres et de réflexions.

-On pourrait profiter de l'animation et boire jusqu’à s’en retourner la tête. Puis profiter du marché nocturne pour grignoter quelque chose. Ou l'inverse. Tu as envie de faire quoi, toi ?

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un peu de réconfort

Un peu de réconfort

Se bourrer la gueule et manger, oui ça sonnait comme un programme assez bon. J’avais cependant le sentiment que j’aurais pu proposer n’importe quoi à Aédan et qu’il aurait réagi aussi positivement. Il semblait avoir senti ma détresse et son comportement était tout à fait adorable. Les feyriens que j’avais rencontré paraissaient bien froids à côté.

Je saisis sa main et me relevai avec lui.

-Tu as des choses à oublier toi aussi ? le charriai-je alors qu’il parlait de se changer les idées.

Nous nous mîmes en route d’un pas tranquille pour rejoindre

-Nous sommes à deux pas du port, tu devrais me présenter maintenant à Wyvern… Tant que j’ai les idées claires, soufflai-je avec un sourire.

Ensuite, je ne répondrai plus de rien. Je le prenais au mot avec son offre, par l’alcool, la danse ou la drogue, je comptais bien me vider la tête et réussir à sortir toutes ces images horribles et ces angoisses de mon crâne.

-Ta vivenef accepte-t-elle facilement les étrangers ? demandai-je en mordant dans la pêche.

J’avais entendu des tas de choses sur ces bateaux magiques mais je n’avais jamais eu l’opportunité de naviguer à leur bord. Je peinais à imaginer à quoi ressemblait la vie sur un bateau doté de personnalité. J’allais bientôt le découvrir, semblait-il. C’était étrangement exaltant.

-Je ne sais pas grand-chose à ton sujet, monsieur Feyrborn. Et si tu me parlais un peu de toi ?

Quitte à m’embarquer avec un étranger sur un coup de tête, autant faire un peu mieux connaissance. Les cadres dans lesquels nous nous étions fréquentés avaient laissé peu de place aux conversations intimes.

-Je sais d’où tu viens et que tu voyages pour écouler des marchandises, je sais que tu ne t’intéresse pas aux dames ou hommes de "compagnie", le charriai-je.

Découvrirai-je au cours des prochaines semaines si le coeur d’Aédan penchait plutôt pour les hommes ou pour les femmes ? Je connaissais un paquet de monde au Crépuscule qui adorerait avoir le fin mot de l'histoire.

-As-tu de la famille proche ? Qu’aimes-tu faire pendant ton temps libre ? Quelle est ta couleur préférée ?

Quelques pistes pour lancer la conversation et le faire parler de lui. L’homme, charmant et accessible, restait en réalité assez secret et réservé.

@Aédan Feyrborn

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Un peu de réconfort

Je me demandais si cette vivenef était plus bavarde que son propriétaire. Il était bien mystérieux, le Feyrborn, répondant tout juste du bout des lèvres aux questions que je lui posais. Je lui tendais des perches, il les contemplait de loin. Ça ne me chagrinait pas tant que ça, je savais parler pour deux ou me taire quand il le fallait. Peut-être était-il de ces hommes qui préféraient la tranquillité du silence.

-Si je m’embarque avec toi Aédan, tu vas devenir une partie de mon univers pour quelque temps… Bien sûr que tu es intéressant.

Pour moi, il était devenu un objet de curiosité sitôt qu’il m’avait fait sa proposition. Son équipage ne tarderait pas à le devenir également… Ça me faisait du bien, au fond, de sortir de ma zone de confort. Refaire des projets m’obligeait à détourner mes pensées du passé pour me focaliser sur l’avenir. Une diversion fort bienvenue dans le contexte.

-Le rouge. J’ai un faible pour les couleurs chaudes, répondis-je.

Aaah… Quel homme mystérieux. Amener des femmes à l’aventure, hein ? Une façon gentillette de rabrouer ma curiosité ?

-Et tu leur fait vivre des histoires trépidantes ? le charriai-je.

Nous marchions d’un pas tranquille en direction de la mystérieuse vivenef qu’Aédan disait très curieuse. La perspective d’avoir une conversation nourrie avec un bateau me laissait perplexe. La magie était une chose obscure que je ne comprenais pas vraiment. Un mystère opaque et inquiétant…

Je poussai un léger soupir. Voilà qu’il me retournait la politesse maintenant…

-J’ai beaucoup d’amis dans la région… Et le Crépuscule. C’est ce qui ressemble le plus à une famille, pour moi.

Même aujourd’hui, même en me rappelant de tout… Tout ne pouvait pas drastiquement changer du jour au lendemain.

-Il me reste une soeur dont j’avais oublié l’existence jusqu’à il y a peu… Et c’est… compliqué.

Compliqué oui… Le mot était faible.
La rencontre avec la vivenef d’Aédan se révéla assez perturbante mais relativement fascinante. Quant à l’arrosage en règle à l’alcool et au lotus, ce fut cathartique. Je n’aurais su totalement dire ce que j’avais bien pu faire au cours de cette soirée, les souvenirs s’embrouillaient et se chevauchaient de façon chaotique. Je me réveillai le lendemain avec une gueule de bois d’enfer mais avec la ferme intention de m'embarquer avec Aédan. Ce voyage me ferait du bien, j’en avais grand besoin.

L’occasion de détourner les yeux de ce qui me rendait malade ici.
L’occasion de découvrir le monde que je n’avais jamais contemplé qu’à travers les histoires colportées par les marins qui posaient le pied à Khesa… Pour la première fois depuis des jours, je ressentis un peu d’espoir en l’avenir.



@Aédan Feyrborn

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