Se battre jusqu'à la fin [Rhyse]

Se battre jusqu'à la fin

La situation avait dégénéré à un niveau que je ne pouvais qualifier.

On avait royalement merdé de chez merdé. Ce qui aurait dû être un discret repérage d’un lieu où transitaient des esclaves avait viré au drame.

Keleï s’était fait repérer sur le chemin, le combat s’était engagé. J’étais intervenue à temps pour sauver un esclave, trop tardivement pour empêcher mon comparse de survivre à l’épée qui lui avait transpercé le coeur. J’avais avisé la situation avec un calme très relatif : deux esclavagistes et un camarade mort. A une centaine de mètres de là, la propriété que j’étais partie surveiller pleine de salopards armés, quelques victimes à qui porter secours. Des informations qui auraient dû permettre à un groupe d’intervention de l’Arcélia de se déployer efficacement en évitant un maximum de pertes…

-Comment tu t’appelles ? avais-je demandé à l’adolescent.
-Dyza, avait-il répondu.

Courageux gamin qui avait tenté d’intervenir pour aider Keleï. Fraîchement capturé, pas encore brisé. Il devait avoir quoi, quatorze ou quinze ans ? L’âge que j’avais quand j’avais été vendue, avais-je pensé avec un pincement au cœur.

Je lui avais dit que j’étais là pour l’aider, sans rentrer dans les détails pour éviter tout risque de fuite d’information en cas de capture. Nous avions traîné les corps pour les cacher dans les broussailles qui ne manquaient pas dans cette jungle chaude et humide et puis nous avions détalé en entendant des voix se rapprocher. J’étais bien trop consciente que les corps seraient vite retrouvés, je n’avais pas eu le temps de camoufler les traces et la lutte avait fait du bruit…

Sur le papier, tout aurait pu se passer proprement à partir de là… Nous avions couru quelques centaines de mètres en direction de la mer. Et puis le gamin était tombé. Les muscles des jambes pas assez faits, ou pas assez endurant peut-être pour endurer une longue course sur terrain accidenté…

Blessé à la cheville.

Putain de merde !

J’avais attrapé Dyza en poids, son bras derrière mon cou, ma main enserrant sa ceinture et je l’avais forcé à reprendre la route, bien trop consciente de ce qui nous pendait au nez.

-Allez, on y va !

Le terrain était irrégulier, évoluer dans cette foutu jungle était épuisant et nous entendions les éclats de voix au loin qui nous talonnaient. Je m’accrochais cependant à l’espoir de rejoindre l’océan. Dyza serait en sécurité et je pourrai toujours compter sur son aide s’il me fallait fuir par l’eau. A situation désespérée… Le camp de mes alliés étaient trop loin, impossible à rallier avec la patte folle de l’esclave.

Quand j’entendis le son des vagues qui se brisaient sur les rochers, je crus que nous avions une chance…

Et puis j’avisai la naissance de la falaise et la vue à couper le souffle du promontoire sur lequel nous nous trouvions. Trop haut, beaucoup trop haut.

-Non… soufflai-je désespérée.

Un large chemin menait au sol… Environ deux cents mètres de dénivelé d’éboulis de rocaille… Praticable pour une personne en bonne forme physique, avec prudence… Impossible à descendre en vitesse avec un garçon blessé,nous perdrions trop de temps. Il n’y avait pas la moindre trace de végétation sur la pente, si nos poursuivants avaient des arcs ou des armes à feu ils nous tireraient comme des lapins.

J’échangeai un regard avec Dyza et je sus au regard de l’adolescent qu’il avait réalisé que nous ne les sèmerions pas, que nos nous avions choisi les mauvais chemins et que nos chances de survie étaient probablement devenues nulles…

J’avais peut-être une chance de m’en sortir si je l’abandonnais là…

Il faisait chaud, j’étais en sueur, à bout de souffle et tous mes muscles étaient en souffrance… Le soleil frappait fort, la vue était si belle…

Je n’aurais probablement pu choisir meilleur cadre pour passer mes derniers instants, pensai-je avec un triste cynisme. Parce que je savais au fond de moi que je  n’abandonnerai pas ce garçon à une mort certaine. Ma vie n’avait de valeur aujourd’hui que parce que des personnes avaient pris tous les risques pour me sauver, jadis.

-Swann, tu…
-Changement de plan. On va se battre.

Je nous traînais jusqu’à un léger renfoncement rocheux qui formait un petit abri contre la pluie. Personne ne nous prendrait de revers, un côté de moins à défendre. Je laissai le garçon épuisé glisser au sol.

-Ca va aller, Dyza, on va s’en sortir. N’abandonne jamais, même quand il n’y a plus d’espoir, continue à te battre encore et encore. Accroche toi et bat toi jusqu’à ton dernier souffle. Nous avons des capacités qu’ils n’ont pas, on peut les battre.

J’étais lucide, la situation était désastreuse, mais je ne pouvais pas laisser le garçon s’abandonner au désespoir. Je voyais dans ses yeux affolés qu’il était à deux doigts de céder à la panique. Si ça arrivait, nous étions définitivement condamnés.

-Je vais te libérer… soufflai-je à mi-voix. Prépare toi et surveille mes arrières.

Je m’agenouillai face à lui et posai une main sur le collier de draconite qui enserrait son cou, sans appuyer, mais dans une position qui aurait pu donner l’illusion d’un étranglement. Le métal raisonnait plus facilement au contact, j’entendis le fer chanter entre mes doigts, la pierre se réchauffer…

Trouver le calme intérieur, la concentration dans ce tumulte de peur et d’urgence…
Chercher la faiblesse structurelle, le point de rupture, fragiliser la serrure…

Rater. Réessayer, rompre la connexion sous l’impulsion du stress. Bordel de merde !!! Réessayer.

Réussir.

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Se battre jusqu'à la fin

Se battre jusqu'à la fin

J’ai juste le temps de desceller les lèvres du garçon avant de prendre la fuite. Ces outils de torture me rendent malade, musolière comme draconite, le cruauté des Hommes n’a aucune limite. J’entends quelques coups de feu derrière nous alors que nous courrons et j’imagine que nous avons été pris en chasse - ce n’est pas faux en l'occurrence, mais pas par les personnes que j’imaginais...

Je ne prends le temps de défaire le collier de draconite que lorsque je comprends que nous n’avons plus aucune chance d’échapper à nos poursuivants. L’objet a une serrure complexe, demande du temps et une concentration rendue difficile par l’épuisement physique d’une longue course.

Je vois le regard de Dyza s’éclairer d’un coup et le soulagement marquer son visage… et instant plus tard, j’ai une épée sous la gorge.

Putain de merde…
Mon coeur bat la chamade, et pas uniquement parce que je manque de souffle.

« Tttt. Lâche ce garçon et recule.»

-Ok…

Le collier est toujours au cou du garçon, je n’ai pas eu le temps de le lui arracher. Ce n’est peut-être pas plus mal, ainsi Dyza ne sera pas immédiatement perçu comme une menace prioritaire et je prendrai les premiers coups…

J’écarte tout doucement les mains et les lève en signe de soumission. Je suis tentée d’utiliser mon pouvoir pour repousser la lame… Me fait violence pour ne rien faire. Je suis de dos, l’homme cache peut-être une deuxième arme dans son autre main et je serai morte avant d’avoir dit “ouf”.

-Votre altesse !

Je fronce les sourcils et lève des yeux interrogateurs vers le jeune homme qui semble fou de joie. Et bien, il y en a au moins un ici qui est heureux…

-Un ami à toi, Dyza ? je demande prudemment.

Moi j’ai toujours une lame qui dit coucou à ma carotide, et ça ne me plait pas des masses. Je prends le parti d’obéir aux ordres, prends appui sur mes genoux et me relève lentement pour faire un pas en arrière.

-Tu nous présente ?

Je vois l’adolescent agiter les mains en direction de l’illustre inconnu tout en tentant de se redresser. Sa patte folle lui rend le travail difficile.

-Ne lui faites pas de mal, s’il vous plaît. Elle m’a sauvé.

Merci mon grand ! Grâce à toi mes chances de survie viennent d'augmenter en flèche. Peut-être. Je n’en sais rien en fait. Qui est cet homme qui me menace ? Où sont nos poursuivants ? La situation m’échappe, je ne comprends plus rien…

-J’imagine… “votre altesse”, que vous ne faites pas partie des esclavagistes… Ce qui nous fait… un point commun. J’aimerai autant vous parler de face plutôt que de m’adresser à la pointe de votre épée, mais… C’est comme vous préférez, bien sûr, je tente de négocier avec un brin d’humour, le souffle court.

Et j’ajoute pour l’adolescent :

-Dyza, j’ai forcé la serrure. Tu peux arracher cette saloperie de ton cou.

Et il ne s’en prive pas, ce qui m’arrache l’ombre d’un sourire. Toute cette galère et la mort de Keleï n'auront pas été inutiles en fin de compte… Ce jeune garçon va peut-être pouvoir retrouver son foyer.

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Se battre jusqu'à la fin

Se battre jusqu'à la fin

-D’accord, répondis-je calmement, trop consciente de l’épée posée contre ma gorge. Nous n’avons rien en commun.

Voulait-il que je lui dise que le ciel était rouge ? Je le ferai. Je ne voulais pas contrarier ce monsieur… Je n’étais pas sûre de l’identité de cet homme, je ne pouvais que spéculer. Dyza avait pu utiliser un surnom ou se tromper au sujet de ce titre… Cet homme avait pu lui mentir. Mais s’il avait raison…

“L’altesse” semblait accepter ma proposition et je me retournai sans geste brusque pour découvrir enfin le visage de l’homme qui menaçait ma vie. Il était aussi défraichi que nous tous, à en constater la sueur que je voyais perler à son front. Il avait couru lui aussi. Le climat d’Oshaara était une horreur. Une chaleur humide, étouffante…

|| Qui êtes-vous, pour qui travaillez-vous ?

-Et vous ? lui demandai-je en arquant un sourcil.  

Ah oui, merde. C’était lui qui tenait l’épée.
Ce type était apparu de je ne savais trop où. D'où sortait-il ? Depuis quand nous suivait-il ? Et les esclavagistes ?

-Je suis une amie de Calyssa. J’imagine que le nom vous parle… votre “altesse” ?

Parfois, il fallait donner un grand coup de pied dans la ruche pour poser les choses. Si j’avais de la chance, je ne finirai par piquée. Sachant que ladite piqûre irait tout droit dans l’un de mes organes vitaux, ce serait sacrément emmerdant… Mais j’avais besoin de savoir s’il réagissait aux noms, s’il connaissait la seconde d’Emrys… La princesse océanide miraculeusement rescapée… Il ne restait pas cinquante “altesses” dans l’archipel.

-J’ai été envoyée en éclaireur pour localiser le QG des esclavagistes, la mission a foiré et mon camarade a été tué. Écoutez, j’adore vous parler, vraiment, un vrai régal votre épée sur ma poitrine ! Mais des gars nous collent au train. Il faut se préparer à…  

Je me tue en attendant des voix et jurai en silence. “Et merde !”.

|| Tu sais te battre ? C’est le moment d’apprendre si ce n’est pas le cas.

Pour toute réponse, je tirai l’épée à ma ceinture hors de son fourreau. Plus fine que celle de l’homme à mes côtés, plus maniable pour moi… Tout aussi affutée. Je sentais mal cette histoire… Le type n’allait pas en profiter pour m’asséner une frappe quand je ne m’y attendrai pas au moins ? Inutile d’être un fin observateur pour percevoir son hostilité, il ne m’aimait pas. Il relâchait sa vigilance uniquement parce qu’il avait besoin de moi, ça ne faisait pas de lui un allié pour autant…

Mais je n’avais pas le choix, je devais gérer les menaces par ordre de priorité. Se planquer derrière l’arbre, guetter…

Frapper un esclavagistes dans le dos, alors que l’attention des trois pourritures venaient de se déporter sur l’illustre inconnu qui avait ouvert les hostilités en premier…

Les armes se croisèrent, un homme s’effondra, bientôt rejoint par un deuxième sous l’impulsion de la lame de mon allié de circonstances. Je vis alors une arme à feu se braquer vers le barbu, la femme avait une fenêtre de tir et elle jugeait visiblement que l’ami de Dyza était plus dangereux que moi, probablement à raison.

-Nop !

L’urgence me poussa à utiliser la magie pour dévier l’objet et le faire changer de trajectoire. Une force s’opposa brusquement à la femme, la main qui tenait fermement le pistolet partie et le coup fut tiré en l’air. “Du travail d’amateur”, aurait sûrement jugé Emrys, mais j’avais paré à l’urgence.

La femme était toujours armée, le problème n’était pas réglé…
Du moins je le croyais, lorsque tout à coup une ombre énorme bondit d’un buisson et sauta à la gorge de notre ennemie. Je regardai ahurie l’énorme panthère qui s’était trouvée une proie à sa taille et les hurlements déchirants de sa victime…

Je me mis en position, prête à défendre chèrement ma vie… Avant de constater que le félin ne nous prêtait qu’une vague attention, feulant de temps à autre dans notre direction. Sa victime égorgée, la créature entreprit d'attraper sa proie comme elle pouvait pour la traîner hors de notre vue…

-Ile de fous… marmonnai-je les yeux arrondis.

Et de peur, je jetai un coup d’oeil alentours, ainsi que sur les branches des arbres. Rien à priori… En revanche, l'un des esclavagistes à terre respirait encore et tentait de ramper hors de notre portée. Je le regardai, partagée entre la pitié de ce geste désespéré, et l’envie d’écraser pour de bon cet insecte. Pensait-il avoir une chance ?

Il en avait peut-être une si ses autres amis débarquaient… Ils étaient plus nombreux que ça dans leur QG…

-Où sont les autres ? Ils devraient être plus nombreux.

Je jetai un regard méfiant en direction de “son altesse”. Maintenant que les esclavagistes étaient morts ou presque, il ne faudrait pas qu’il lui vienne l’envie de me menacer à nouveau.

-Vous nous taloniez, non ? Vous savez quelque chose ?

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Se battre jusqu'à la fin

Se battre jusqu'à la fin

Le bras qui se tend pour me faire reculer et m’écarter du félin me fait comprendre que mon voisin me considère enfin comme une alliée. Je viens de gagner quelques points, à l’évidence, assez pour qu’il s’intéresse à mon sort.

L’homme est sans pitié avec l’esclavagiste. Son geste ne me choque pas en réalité, j’aurais fait la même chose. Je me penche pour essuyer mon épée sur les vêtements du premier mort, rengaine mon épée et en profite pour glisser une main dans ses poches. Pas d’ordre de mission, aucune information utile, seulement une bourse qui finit promptement dans ma poche. Utiliser l’argent des esclavagistes pour financer des opérations contre des esclavagistes… délicieuse ironie.

Pas le temps d’enquêter, certe. J’aurai aimé l’entendre me dire qu’il était venu avec quelques renforts, mais je peux me contenter de ce répit qu’il nous offre. Qui que ce soit l’illustre étranger, il a rebattu les cartes et nous a très probablement sauvé la vie en apparaissant avant les trois chiens qui nous coursaient. Enorme coup de chance.

Je lui emboite le pas.

-De rien. Merci à vous.

Il ne m’est pas redevable sur ce coup là, nous nous sommes sauvés mutuellement la vie. Lui est peut-être plus surpris que moi après tout, s’il me pensait du côté de nos adversaires.

-Evidemment que je vous suis.

Derrière moi, un gigantesque félin qui grignote tranquillement son repas et peut-être d’autres esclavagistes… Devant, un chemin escarpé mais praticable, l’océan, peut-être une voie terrestre dégagée… Je tente ma chance par en bas sans aucune hésitation. Je pourrai descendre plus vite que mes deux comparses, au lieu de quoi je choisis de demeurer un pas en arrière et les yeux rivés sur les hauteurs pour couvrir leur progression et me tenir prête à les rattraper s’ils venaient à glisser. A plusieurs reprises, je pose mes mains sur son “altesse” ou sur Dyza pour les aider à se stabiliser. L’homme tient bon et nous fait une belle démonstration de force et d’agilité en arrivant jusqu’au sol sans chuter. Impressionnant.

Au loin, je vois un bateau et je comprends qu’il siffle ses compagnons. Mais si le navire est ici, d’où vient cet homme qui a débarqué de la jungle et non de la plage ? Il me manque des informations.

Je me penche deux minutes pour reprendre mon souffle. Les deux combats et la longue course en soutenant Dyza, suivi de la descente, ont mis mes muscles à rude épreuve. Je suis soulagée de voir que l’adolescent est maintenant sous bonne garde, il ne réalise pas la chance qu’il a. Nous avons frôlé la catastrophe.

-Vous devriez aussi prendre la mer, vous y seriez en sécurité.

Mais il a raison, nous avons des choses à nous dire… Je jetai un regard vers le sommet de la falaise quelque deux-cent mètres de dénivelé plus haut, ne captant ni bruit humain ni mouvement… Ce n’était pas un gage de sécurité, mais c’était rassurant.

-L’Arcélia mouille dans une crique, au nord.

Ce n’était pas la porte à côté et je ne connaissais pas la route par cette partie de l'île. Peut-être qu’il n’y avait pas de chemin terrestre… Je ne le saurai pas sans aller voir.

J’hoche la tête. Swann, oui. On ne s’est pas présenté, mais le nom a échappé à Dyza sur le trajet. Je marche d’un pas rapide en direction de l’immense arche naturelle de roche que je vois une centaine de mètres plus loin. Elle nous abritera des regards et nous pourrons alors marcher sur le sable mouillé pour éviter de laisser des traces de pas derrière nous.

-Casteel Da’Neer… Ça explique des choses.

J’ai donc bien interprété “l’altesse”, cet homme est l’héritier du trône perdu du peuple océanide. Rien que ça… En outre, son nom résonne à mes oreilles. Ce pseudo qu’il utilise commence à avoir une certaine notoriété dans le milieu.

-Il y a parfois des pirates qui s’attaquent aux esclavagistes, mais rares sont ceux qui mettent autant de cœur à l’ouvrage que le Sea Hawke. Je vais m’abstenir de vous dire à nouveau que nous avons des points communs, je ne voudrais surtout pas vous vexer, glissai-je avec un bref sourire en coin.

Je me moque… Un tout petit peu.

Maintenant j’aurai un visage à mettre sur ce nom. Un visage… Et une identité. Je reprends plus sérieusement :

-Vous êtes ici pour démanteler le trafic, je présume.

Je l’interroge du regard.

-Vous avez déjà des agents là-bas ?

Etaient-ils intervenus ? Avaient ils libérés les esclaves ? Fallait il envisager de coordonner leurs efforts avec l’Arcélia pour mener la frappe ?

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Se battre jusqu'à la fin

Se battre jusqu'à la fin

Cet homme semble déterminé à me suivre. Je n’aurait su dire si c’était la curiosité qui le poussait à poursuivre sa route avec moi ou son sens des responsabilités. Maintenant qu’il me voyait comme une alliée, il se souciait de ce qu’il pourrait m’arriver ?

|| Nous devrions rejoindre les ruelles, nous serons moins visibles. La route est plus longue, mais plus sécuritaire.

-Rien de tel que de se fondre dans les champs de lotus pour ressortir joyeux, feignis-je l’enthousiasme à sa proposition de couper à travers les habitations.

Le village le plus proche en était cerné, l’air à proximité y était pollué et peu agréable. Oshaara avait de très beaux paysages, mais cet or noir qu’il cultivait rendait les zones concernées très repoussantes.

-L’Arcélia est une cellule de l'Étincelle, lui répondis-je sans filtre.

Je savais que Calyssa et lui ne se voyaient guère souvent, mais être aussi peu informé montrait à quel point le frère et la soeur se tournaient le dos. J’étais mal placée pour parler cela dit… Nous avions tous un passé, un certain nombre d’entre nous n’aimait pas en parler. J’en faisais partie. Ceci étant, cet homme me mettait en confiance - Non pas par sa personnalité avenante, mais par ses actes. Les rumeurs prouvaient qu’il partageait notre vision, son intervention avec Dyza tout à l’heure me le confirmait.

-Le réseau traque les esclavagistes, libère les esclaves... On essaie d’aider comme on peut.

Un rapide sourire vint éclairer mon visage. Le compliment me touchait venant d’un homme de son expérience, je le sentais sincère. Je m’étais entraînée très dur pour me forger, je n’arrêtais jamais d’apprendre. C’était flatteur de voir ses capacités reconnues. Ce n'était pas toujours facile de se sentir à la hauteur quand on se tenait à côté de personnages de la trempe d’Emrys.

|| Casteel Da’ Neer.. le méchant pirate, c’est ça ?

Je perçu son amusement, l’ambiance se détendait doucement.

-Un libérateur. Je laissais planer un silence, avant d’ajouter : Ou un pirate cruel et sanguinaire. J’imagine que ça dépend des points de vue.

Je souris, parce que je me retrouvais dans cette image, ainsi que chacun de mes camarades. Aucun d’entre eux ne faisaient dans la dentelle, l'Étincelle n’était pas réputée pour la pitié dont elle faisait preuve envers ses adversaires. La peur qu’inspirait le réseau était précieuse, elle nous donnait de la force.

-Ils utilisent une petite maison dans les hauteurs pour faire transiter des esclaves… Mais avec cinq morts et un océanide en fuite, j’ai peur qu’ils prennent la poudre d’escampette très rapidement…

Ce qui signifiait peut-être la mort de tous les esclaves là-bas. Si ces hommes avaient peur, ils pourraient se délester de leur chargement plutôt que de s’en encombrer. Mon coeur se serra. Si j’avais eu la moindre chance de les sauver, j’y serais aussitôt retournée… J’étais réaliste cependant, seule et dans cet état de fatigue je n’avais pas la moindre chance. J’ignorais bien sûr que le prince et ses agents avaient déjà réglé le problème.

-Si nous pouvions en prendre au moins un vivant, ce n’est pas à nous que les informations coûteraient un bras…

Au sens propre. Si la phrase était tournée avec humour, mon ton était parfaitement sérieux et mon regard dur. Il fallait interroger ces gens, c’était la source d’information la plus fiable dont nous disposions et l’idée de les brutaliser ne m’arrachait aucun scrupule.

|| Pourquoi fais tu cela ? Tu n’es pas une océanide, pas même une hybride.

Je ralentis le pas un instant, très surprise par cette question.

-Pourquoi je ne le ferai pas ? Humain, océanide, hybride… Personne ne mérite ça.

Je repris la marche forcée, acceptant de me plier à sa proposition et m’engageant sur le chemin qu’il me montrait. A mon tour de lui faire un peu confiance…

-Keleï était humain lui aussi… Ce soir, sa femme et son petit garçon le pleureront.

Je demeurai silencieuse un moment, scrutant les alentours. Je ne voyais aucune trace de poursuivants pour l’heure et mes jambes commençaient à sérieusement tirer. J’avais vraiment besoin d’une pause… Mais nous étions encore trop à découvert, s'arrêter ici pourrait être dangereux. Si nous pouvions trouver un abri, ne serait-ce que quelques minutes…

Je soupirai, passai ma manche sur mon front pour éponger la sueur et continuai mes grandes enjambées pour tenter de tenir le rythme imposé par Casteel. Ses jambes étaient nettement plus longues que les miennes, je peinais à le suivre.

Une question me trottait dans la tête depuis sa dernière prise de parole, je décidai de la poser :

- M’auriez-vous aidé si j’avais été à la place de Dyza ?

Aurait-il sauvé une humaine ?

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Se battre jusqu'à la fin

Se battre jusqu'à la fin

Puis-je lui faire confiance quand il m’assure que les victimes seront sauvées ? Oui, probablement. Cet homme s’est jeté entre des esclavagistes et un adolescent pour le protéger, il est dévoué. Je vais devoir me fier à sa parole, je n’ai de toute façon pas d’autre choix que d’espérer qu’aucun drame ne survienne d’ici à ce que l’Arcélia envoie une équipe de volontaires pour aller jeter un coup d'œil.

Nous avons beaucoup marché, nous commençons à croiser quelques agriculteurs… Je réalise doucement que le danger est passé, que nous sommes en sécurité. Mon coeur saigne à l’idée d’avoir à annoncer la mort de Keleï… Je n’ai pas encore eu le temps de me poser pour réaliser… Nous savons tous à quoi nous nous exposons en nous engageant dans l'Étincelle et en nous portant volontaire pour aller sur le terrain. Il y a souvent des blessés, parfois des morts, mais ce n’est jamais facile. Je partage l’existence de ces hommes et de ces femmes. Certains sont des amis, des mentors, tous sont des camarades que je respecte.

Je m’arrête quelques instants pour souffler, la respiration courte. J’ai mal partout.

|| Non, je ne l’aurai pas fait.

Étonnamment, je ne suis pas surprise. S’il s’étonne de me voir tendre la main à son espèce, c’est que ce comportement lui apparait comme anormal… C’est une chose de le supposer cela dit, et c’est une autre d’en avoir la confirmation.

|| Ma réponse ne te plait pas, n’est-ce pas ?  

Bien sûr que non, je n’apprécie pas. Je ne tolère pas le spécisme, quel qu'il soit. Mais… je fais l’effort d’essayer de me mettre à sa place avant de le juger. Je soupire. Que répondre ?

-Bien sûr que non. Mais… je pense que je peux comprendre…

J’humecte mes lèvres en réfléchissant pendant que nous marchons d’un pas plus tranquille.

-Vous avez souffert plus que n’importe qui. Vous et votre famille. Et les océanides, de manière générale… Ce que les spécistes vous ont fait et ce que certains continuent à faire à votre peuple est impardonnable. Ce serait très prétentieux de dire que je comprends ce que vous traversez au quotidien…

Peu importe à quel point je côtoirais des océanides, le fait d’avoir vécu l’esclavage, d’avoir été traitée comme un objet et soumise, ma situation est incomparable à la leur. J’aurais pu être en sécurité sitôt extraite de la mine, refaire ma vie sans appréhension. Les sirènes et les tritons redoutent leur ombre et à raison, ils ne sont jamais réellement en sécurité nulle part.

-Mais c’est dommage… Rien ne changera jamais si on se tourne le dos sans se laisser une chance. Océanide, humain ou hybride, une victime est une victime.

L’odeur de la viande grillée supplante celle du lotus, elle est alléchante. Les heures ont filé, je n’ai pas avalé grand-chose aujourd’hui.

|| Tu as faim ? C’est par là. Nous faisons un rapide détour, je te dépose et je repars.

Un sourire se dessine sur mon visage. Voilà qu’il veut me nourrir maintenant ! Il me prend pour un oisillon tombé du nid ?

-Vous êtes un drôle de gars, Casteel.

Après tous ses discours…
Ça me convient de m’arrêter un petit moment pour manger, j’ai les muscles des jambes qui tremblent tant je les ai sollicité, j’ai besoin d’une pause. Et par pause, j’entends le fait de m’asseoir, quand bien même ma petite fierté de guerrière m’a poussé à tenir la cadence imposée par le prince sans protester. Je sens que j’atteins mes limites.

|| Si tu te retrouves dans la panade, peut-être que maintenant je te sauverai.

Mon sourire se fait plus franc. Ok, ça, ça me touche. Beaucoup. Parce que je sens que cet homme ne porte pas mes semblables dans son coeur et je sais voir la valeur de ce genre de déclaration. Le prince Rhyse est un homme franc, il ne cherche pas à plaire et dit frontalement les choses. C’est un truc que j’apprécie, je fonctionne de la même façon. Je suis flattée qu’il voit en moi une alliée, une camarade peut-être, ou quelque chose de suffisamment fort pour que je rejoigne le cercle des humains privilégiés qui méritent sa protection.

-Vous le faites déjà. Vous avez dévié de votre mission pour me raccompagner.

Pour quelqu’un qui prétend être indifférent… Je doute fort qu’escorter une humaine inconnue ait fait partie de ses plans initiaux. Sur le coup, j’ai supposé qu’il voulait des informations, mais il n’y a peut-être pas que ça. Il a vraiment l’air de se soucier de mon bien-être.

Je me rapproche d’un étal, achète un assortiment de brochettes pour nous deux et pose tout sur une petite table. Cinq minutes de pause et je repars, juste le temps de souffler. J'attrape une brochette et pousse le reste vers lui pour qu’il se serve. Je me penche pour lui parler, évite de faire porter ma voix. La conversation est quelque peu sensible, par chance les lieux ne grouillent pas de monde.

-Prenez le temps de vous arrêter sur l’Arcélia, parlez à Emrys. On pourrait coordonner des opérations, échanger des informations. Si le sort des esclaves vous importe et ça a l’air d’être le cas, vous devriez rejoindre l’Etincelle. Le réseau est composé de cellules autonomes, mais il est vaste. Si l’Arcélia tombe, les autres seront toujours là pour œuvrer… C’est ça, notre force.

J’avale un morceau de viande avec appétit, réalisant au passage à quel point je crève de faim.

-On communique juste ce qu’il faut. Pas assez pour risquer de se compromettre d’une cellule à l’autre, mais suffisamment pour avoir du soutien quand il le faut.

Ma main saisit un pichet d’eau et je remplis nos verres. Je n’ai pas que faim, je suis complètement déshydratée. Je n’imagine pas l’état de mon voisin, les océanides souffrent bien plus que les humains de ce point de vue là.

Je souffle sur un ton qui se veut plus léger.

-Et si vous vous retrouvez dans la panade… Peut-être que je viendrai aussi vous sauver.

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Se battre jusqu'à la fin

Se battre jusqu'à la fin

-Hmhmm.

C’était assurément la faim qui l’avait fait dévier de son bateau depuis la plage où il avait délaissé Dyza et ses compagnons. Maintenant que les tensions s’envolaient, l’homme se détendait et s’offrait le luxe de quelques blagues. L’ambiance était complètement différente, je le sentais curieux et plus avenant. Je l’étais aussi, j’imagine, depuis qu’il avait cessé d’être menaçant.

Nous nous installâmes quelques instants et je ressentis aussitôt du soulagement. Casteel semblait presque plus curieux de moi qu’il ne l’était de l’Etincelle. Peut-être qu’il s’étonnait toujours de voir une humaine prendre de tels engagements, qu’il cherchait à comprendre. Pouvais-je contribuer à le faire changer au moins un peu d’avis sur mon espèce ?
Ah, c’était mon âge qui l’interrogeait. Je n’était plus si jeune pourtant, j’avais bien grandi depuis l’époque de mon recrutement. Les vingt ans me tendaient les bras.

-C’est l’Arcélia, ma famille.

Je mastiquais mon morceau de viande, pensive. Je ne criais pas l’histoire de ma rencontre avec l'Étincelle sur tous les toits, mais je n’avais pas non plus honte d’en parler quand des personnes s’intéressaient à moi. A fortiori des compagnons d’armes. Ce genre de récit était tristement banal parmi ceux qui se révoltaient contre le système.

-J’ai été esclave. Je devais avoir plus ou moins l’âge de Dyza quand j’ai été raflée et vendue à une exploitation minière, racontai-je comme si je parlais de la pluie et du beau temps. Un jour, l’équipage de l’Arcélia a mené l’assaut contre le camp et nous a libérés. Ensuite, j’ai eu le choix entre partir refaire ma vie ou les rejoindre.

Je me servi un autre verre d’eau pour faire passer ce que j’avalais avec un peu trop d’enthousiasme.

-Je ne pouvais pas reprendre une vie normale après ça. Emrys me proposait un mentorat aux armes et à la magie, l’opportunité était beaucoup trop belle pour apprendre à me défendre. Et c’était le meilleur moyen de pouvoir remonter un jour la piste de mes ravisseurs.

Et oui… Mes motivations n’avaient rien d’altruiste au départ. Me former revenait à devenir plus forte et exorciser mes démons pour ne plus avoir à compter sur personne pour assurer ma propre sécurité.

-Donc je suis restée, je me suis entraînée dur pour mériter ma place et avoir le droit d’aller sur le terrain.

J’haussai les épaules.

-Il en faut des gens comme nous, et ça ne me dérange pas d’avoir une épée au-dessus de la tête. Ça fait quatre ans que je vis cette vie, je me sens à ma place. C’est mon choix d’être ici, on est tous volontaires… Personne ne force personne sur l’Arcélia.

Et puisque je venais de lui raconter des détails intimes de ma vie, je pouvais bien lui retourner la politesse, non ?

-Et vous, comment vous vous êtes retrouvé embarqué dans tout ça ?

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Se battre jusqu'à la fin

Se battre jusqu'à la fin

Je suis relativement stupéfaite de voir la confiance qu’il me porte soudainement. Il y a moins de deux heures, cet homme pointait son épée sur ma gorge… Maintenant il se fie à mon jugement pour vérifier la fiabilité de mon équipage. Cela paraît complètement fou… Mais une part de moi se sent fière et privilégiée d’être tenue en estime par un homme de sa trempe, un vétéran et un meneur.

Je hoche la tête. Oui, je m’en suis bien sortie, j’en ai conscience. J’apprécie aussi qu’il ne montre pas sa pitié, c’est quelque chose qui m’aurait mis mal à l’aise. Les meurtrissures sont profondément enterrées, je préfère être perçue comme une guerrière, solide et forte, que comme une victime qui traîne de douloureuses cicatrices qui ne guériront peut-être jamais… Ces deux visages sont les miens pourtant, mais c’est ma manière d’aller de l’avant.

Je me lève prestement lorsqu’il décide de repartir et lui emboîte le pas. Cette petite pause m’a fait du bien et je termine ma dernière brochette en grignotant sur la route.

-Oui je sais qui vous êtes.

Je traine avec bien assez de personnes impliquées pour connaître les détails de l’histoire. Je sais aussi de par Calyssa que son frère a survécu, j’ignore en revanche qu’il était aussi impliqué pour son peuple. Pourquoi le frère et la soeur se tournent-ils le dos ? Je peine à comprendre, ils mènent pourtant les mêmes combats…

-Il faut être fort pour prendre les armes après tout ça.



Après la guerre, le massacre de sa famille, il aurait pu se laisser sombrer… J’ai du respect pour les rescapés qui ont su garder suffisamment de volonté en eux pour retourner au front. C’est un vrai modèle à suivre.

Je tiens parole et le conduis à Emrys. Deux personnalités qui se faisaient face, c’était presque intimidant à observer… Le début d’une collaboration avec le symbole de la résistance océanide… L'Étincelle se renforçait.

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