Fiche de Nymeria

Boussole Je n’étais qu’une très jeune enfant lorsque la bataille éclata. Sanglante et meurtrière, elle rafla tant de vies qu’il fut impossible de les compter. Ma famille souffrit du deuil comme toutes les autres, de la traque incessante. Partout, la peur de la trahison et de la mort, la course poursuite. Et puis nous échouâmes à Ka’hauni et ma famille, jadis de haute lignée, fière et puissante, ne se résumait plus qu’à quelques réfugiés et aux serviteurs qui avaient survécu.

L’ile nous offrit un refuge mais pas une sécurité totale. Survivante d’un génocide, je grandis avec un héritage culturel sanglant, l’histoire dramatique d’un peuple et un avenir plus qu’incertain. Les ainés se chargèrent de m’enseigner notre histoire et de me donner une éducation, afin que jamais je n’oublie. “Vous êtes le futur de notre peuple”, nous disaient-ils à mon frère jumeau et moi sans mesurer à quel point un tel fardeau pouvait peser sur de petites épaules. Par chance nous puisions de la force l’un dans l’autre et notre relation se révéla fusionnelle. Pourtant, nous n’aurions pu être plus différents, lui et moi. Callum était si solaire qu’il attirait les autres à lui. Il aimait son prochain et en frôlait presque la naïveté, notre histoire lui avait cependant appris à craindre son ombre et sortir de sa zone de confort lui était très pénible. Moi j’étais l’aventureuse, celle qui flirtait avec les limites et les repoussait toujours plus loin, mais les humains comme les océanides m’inspiraient une forte méfiance. Mon agitation, à la limite de l’hyperactivité, avait tendance à me faire passer pour une enfant incontrôlable et mes rêves de voyages et d’aventure, pour une rêveuse. Ils ne comprenaient pas que pour un mot échangé dans une conversation, une dizaine d’idées défilaient dans ma tête. D’un cerveau hyperactif et parfois handicapant socialement revenait pourtant la constante d’une mémoire quasi eidétique. Apprendre dans un bureau ne me convenait pas cependant, j’avais besoin d’espace. D’une insolente curiosité, je m’amusai très vite à fausser la compagnie de mes protecteurs assignés pour évoluer dans mon environnement, sur terre comme en mer. Et ce qui commença par de petites explorations, devint, au fil des ans, des excursions de plus en plus longues. J’appris à cartographier, me repérer et je compris bien vite que l’océan regorgeait de trésors pour qui savait chercher. Tant d’épaves…

Le jeu prit fin lorsque j’eus vingt ans… La vraie partie débuta.  

Mon père fut emporté par une maladie foudroyante, ma mère plongea dans une profonde dépression et abandonna du jour au lendemain ses devoirs de cheffe de famille. Mon oncle, convoitant notre titre et le peu d’héritage qu’il restait, y vit une fabuleuse opportunité de nous détruire et s’y employa avec beaucoup d’habilité.

Démolis par le deuil et la trahison d’un proche, nous savions que nous allions droit dans le mur et que nous allions tout perdre. Soudés dans la détresse et nous témoignant une confiance totale, il nous fallut faire appel à toute notre volonté pour faire face. J’étais plus habile que Callum pour établir des stratégies, planifier et saisir les intentions cachées, là où mon jumeau se révélait plus patient et bien plus efficace pour développer un réseau et se lier aux autres. Nous redressâmes ensemble notre réputation et renforçâmes nos relations avec les forces influentes de la région, humaines et océanides… Mon frère épousa une jeune océanide d’une famille réputée, ce qui acheva de consolider sa légitimité. Le bienheureux hasard en fit un mariage d’amour. Nous déjouâmes un complot quelques jours avant les noces. Les assaillants humains furent neutralisés, la culpabilité de mon oncle établi… Mais le serpent avait filé dans les flots et nous perdîmes sa trace.    

Deux ans jour pour jour après la date anniversaire de la mort de notre père, notre mère se suicida.
Et à nouveau, nous portâmes le deuil…

Je tentai de conjurer la douleur de deux années de drames en renouant avec mes explorations. Je pris goût à l’aventure et à la chasse aux trésors, m’enhardie dans mes recherches. Je tissai mon propre réseau, bien moins glorieux et avouable que celui de la famille mais pas moins nécessaire, liai des amitiés dans l’archipel et des relations plus opportunistes, développé en contrepartie des rivalités et des ententes moins cordiales. Je  frôlai quelques fois la catastrophe en me confrontant à des puristes et des esclavagistes, survivant par je ne sais trop quel miracle. Le talent, une chance insolente, qui sait ?

Ma présence pendant les mondanités se raréfia au gré de mes extraordinaires découvertes. Qu’importait au final… Mon frère brillait là où je n’étais pas, quant à moi j’enrichissais doucement mais sûrement ma famille et lui permis peu à peu de renforcer sa position, mais aussi de donner du travail à des océanides et leur assurer ainsi un peu de sécurité et de stabilité. S’il y avait bien un mot universel dans le langage humain, c’était celui de l’or et ce dernier n’avait pas d’odeur pour beaucoup d’individus… L’argent nous offrirait un semblant de protection mais pour combien de temps ? Tous les gardes du corps que nous employions ne sauraient nous protéger des Hommes s’ils se décidaient à employer les moyens nécessaires pour nous exterminer. Ka’Hauni pouvait être un refuge mais ce ne serait jamais notre maison.

Et au fil de l’eau, j’appris que le prince héritier avait appelé son peuple à se lever. J’entendis des rumeurs sur des pirates qui attaquaient des convois d’esclaves et qui triomphaient, et si je n’aurais su dire lesquelles de ces victoires pouvaient être imputées au mystérieux Casteel Da’Neer et à ses compagnons d’arme, je vis l’espoir renaître dans le coeur de nombre de mes semblables en l’espace de quelques années…

Un espoir contagieux… De ces rêves que je gardais profondément enfouis en moi, je commençais à entrevoir une possibilité de concrétisation. Peut-être était-il temps d’apporter ma pierre à l’édifice et de me rallier à notre souverain légitime… Les Calestis étaient jadis une famille loyaliste, fidèle à la couronne. Mais les temps avaient changé… Le prince héritier était-il digne de confiance ? Avait-il la trempe d’un leader ?

Je me faisais un devoir de le découvrir.