L'aventure [Rhyse]

L'aventure

Il régnait une belle agitation sur le ponton. L’équipage allait et venait, chargeant et stockant vivres et caisses, outils, tout le nécessaire pour affronter cette traversée et en revenir. Aller retour, une semaine de voyage si aucune tempête ne frappait. Sur place, impossible à dire. Ce n’était pas tant le temps et les vivres qui m’inquiétaient que la présence possible de contrebandiers dans le secteur. Je m’étais mise en danger en tentant une première excursion seule afin de faire du repérage. Je revenais donc avec du matériel et des hommes armés. J’avais été parfaitement transparente, tous connaissaient les risques. La solde avaient convaincu certains de me suivre malgré tout dans cette aventure, la loyauté avait poussé les autres. Serah contrôlait ce qui était chargé sur le bateau pendant que je vérifiais tranquillement qu’aucune de mes cartes ne manquaient.

Je me sentais en confiance avec les hommes et femmes que j’avais mobilisé. Casteel et ses hommes en revanche étaient une inconnue. J’avais proposé à Rhyse de participer à cette aventure. Une idée qui avait traversé rapidement mon esprit, saisie à la volée, échangée. Il avait dit oui. Fascinant qu’un homme comme lui accepte. Le temps devait lui manquer, l’argent que je lui offrais pour ce travail ne justifiait certainement pas sa présence. Non, il y avait autre chose… Il misait sur moi comme je misais sur lui… Sa sécurité, son temps, pour avoir l’opportunité d’en apprendre plus sur moi certainement, sur ceux qui m’entouraient. J’avais dû piquer sa curiosité comme il avait piqué la mienne. Ou bien il avait des intentions cachées. Était-il l’homme honorable qu’il s’était vanté d’être ? L’attrait de l’or pouvait pousser les individus aux comportements les plus abjects.
Le voyage serait riche d’enseignement. Les premiers piliers de la confiance se construiraient ces deux prochaines semaines.

-Vous êtes prêts à embarquer ? demandai-je à Rhyse après avoir échangé quelques mots avec ses gens…

Lorsqu’un petit boulet de canon percuta mon dos et m’envoya valser contre lui.

-NYM’AAA !

Je m’écartai avec une grimace et un “navrée” avant de me retourner pour faire face, sans grande surprise, à une fillette survoltée.

-Haaa, voilà la petite anguille… Tu t’es faufilée hors du nid ? Tu vas encore faire courir ton père.
-Il avait besoin d’exercice.

Je retins de justesse un éclat de rire. Les gosses et leur répartie !

-Amène moi avec toi ! Steuplé steuplé steuplééé !

Je me penchai pour soulever l’enfant dans mes bras.

-T’emmener ? Regarde toi, tu es aussi légère qu’une plume, un courant d’air et tu t’envolerais, dis-je en la secouant, ce qui entraina des gloussements de la petite canaille.

Je la reposais au sol.

-Nous ne sommes pas seules, fillette. Tes manières.
-Oh !

L’enfant dévisagea Rhyse avec curiosité sans avoir la moindre idée de l’identité du personnage. Elle fléchit les genoux et écarta les pans de sa robe en une petite révérence courtoise.

-Bonjour, je suis Saya Calestis. Ravie de faire votre connaissance.

Combien de minutes avant que Callum ne réalise et ne débarque ? Ah… Il avait été rapide cette fois. Et il courait, pensai-je en le regardant arriver au loin. Je souris à Rhyse.

-On dirait bien que vous allez faire la connaissance de mon frère. Venez.

Nous marchâmes à la rencontre de Callum, piétinant dans le sable à l’écart de l’agitation. De prime abord, l’attention de mon jumeau fut absorbée par les réprimandes destinées à sa fille qui ne parut pas vraiment s’en inquiéter, promettant de ne pas recommencer là où nous savions tous qu’elle récidiverait à la première occasion.

-Elle prend beaucoup de toi en grandissant.
-Bien ! dis-je avec un sourire flatté.

Callum leva les yeux au ciel avant de se recomposer une façade et de se tourner vers le prince, sourire courtois aux lèvres.

-Bonjour.
-Callum, je te présente Casteel Da’Neer.

Non sans amusement, je vis mon jumeau marquer la surprise avant de se reprendre prestement. Il glissa un bref coup vers la cohue du côté du ponton avant de reporter son attention sur son altesse. Conscient du besoin de discrétion, il se contenta d’incliner la tête et de lui tendre la main.

-Mes hommages, monsieur Da’Neer. C’est un honneur de vous rencontrer.

Pendant ce temps, une fillette tirait sur mon jupon pour s’accaparer mon attention.

-Pssst ! Nym’a ! Tu me ramèneras un cadeau ?

La tradition. Je revenais rarement les mains vides de mes voyages, les enfants avaient l’habitude de recevoir un présent. Parfois simple coquillage, parfois de riches parures… La valeur pécuniaire du présent n’avait aucune importance, c’était une façon simple de leur montrer que je pensais à eux à chacun de mes déplacements.

-Et que veux-tu donc ?
-Je veux un prince !

Je m’étouffai avec ma salive. Cette enfant se nourissait un peu trop de contes de fées.

-J’ai bien peur que ces choses là ne poussent pas sur les arbres, Saya.
-Alors… une fleur, pour mon herbier.
-Une fleur, ça c’est dans mes cordes. Vous en avez pris note, Casteel ? l’interogeai-je avec un sourire complice.

Après quelques bavardages, les adieux se firent. Il était temps d’embarquer.

---

Les premières heures de voyages avaient été consacrées à l’installation, ainsi qu’à la planification de l’itinéraire avec le navigateur. Les cartes soigneusement préparées, des discussions… Et puis j’avais laissé les hommes faire leur travail. Serah jetait un oeil de temps à autre, elle était la seule à détenir l’ensemble des informations. S’il venait à m’arriver quelque chose, la belle pourrait mener l’expédition à son terme… On ne savait jamais ce qui pouvait arriver.

Je profitais maintenant d’un moment de répit, accoudée au bastingage. Autour de nous rien d’autre que l’océan… L’odeur de l’iode et le son de l’eau m’appelait. J’avais hésité à mener cette expédition par la mer, mais la traversée aurait été autrement plus complexe pour emporter le matériel, à l’aller comme au retour. Sans compter la faune particulièrement dangereuse sur une partie du secteur. Nous serions arrivés épuisés, rien de souhaitable.

Non loin, une silhouette que j’identifiai sans peine. Son altesse dégageait un petit quelque chose… Une présence.

-Où aimeriez-vous que j’explore, quand tout cela sera terminé ? lui demandai-je.

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L'aventure

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Ce fin sourire ne m’échappa pas. Ainsi le prince savait faire de l’humour. Bien, bien… Un bon point pour lui, il y avait des temps pour se détendre et des moments pour être sérieux sous peine de finir couvert de cheveux blancs.

-J’ignorais que vous seriez de la partie.

Quelle était la motivation derrière tout cela ? Manquait-il cruellement d’effectifs, les fameux bons nageurs qui se faisaient trop rares ? Préférait-il se faire une idée de l’état des lieux par lui-même ? Ce n’était pas un petit projet après tout, il s’agissait de repérer et de planifier l’emplacement de la future cité océanide…

-Je vous prend au mot alors, allons nager quand vous aurez envie, lui dis-je avec un regard pétillant d'excitation. Le bateau peut se passer de nous quelques heures.

Mon navigateur connaissait la destination et j’avais la cartographie en tête. Personne ne se perdrait sur la route si nous venions à être séparés. Ils feraient halte dans la soirée, les rejoindre ne serait pas compliqué. Il ne fallait pas trop me prier pour me motiver à rejoindre l’eau.

-Effectivement… La Baie est dangereuse, soupirai-je. Combien serons-nous dans cette entreprise ?

Le nombre signifiait moins de discrétion, mais c’était aussi la garantie de pouvoir se déployer plus efficacement avec au moins un guetteur pour couvrir l’évolution des autres.

Nous renseigner sur la position des familles ducales vis à vis des Ozova ? Je m’étais engagée à plonger, pour le reste… Disons que je n’avais pas encore de parti pris. Devais-je offrir ma loyauté et mon soutien à cet homme alors que je le connaissais à peine ? Mon futur roi, peut-être… L’avenir était incertain, les pions sur lesquels je misais maintenant pouvaient s’effondrer ou triompher et je pourrai tomber avec eux ou m’élever. Il y avait nombre de façons d’aider mon prochain, Rhyse n’était pas le seul moyen… Il m’inspirait de la sympathie, néanmoins. La faute, peut-être, à mon éducation royaliste et aux espoirs de mes parents que je portais encore sur mes épaules quinze ans après leur mort…

-Vous êtes partout en même temps, ce doit être épuisant, le charriai-je. Vous êtes un homme d’action.

Plus je lui parlais et plus je le réalisais. Rhyse se mettait en première ligne en toute circonstances, la prise de risques ne lui faisait pas peur. Cela pouvait être un atout autant qu’un risque. S’exposer, c’était risquer continuellement sa vie. Hors, sa vie était très précieuse…

|| Quelles sont les instructions, mademoiselle Calestis ? Je dois bien admettre être décontenancé par mon inaction.

-Quelques heures de repos, quelle idée infâme !

Je me mordis la lèvre et me détournai pour fixer l’océan.

“C’est ton prince, arrête de te foutre de lui, Nym !”

-Au vu de votre assurance, je paris que vous savez vous battre… Je me trompe ? Votre énergie sera utile en cas de mauvaise rencontre… En mer, ou sur l'île. Je compte sur vous pour m’escorter sur la terre ferme, cela vous convient-il ? lui demandai-je sérieusement.

Quand bien même je le payais théoriquement pour faire ce que je lui demandais, je ne me permettrai jamais de donner des ordres à son altesse royale. Je connaissais ma place.

-Nous avons environ trois jours de navigation si les vents nous sont favorables. Profitez-en pour vous reposer… Ou gardez un œil sur la mer si vous voulez donner la main à l’équipage, on ne sait jamais ce qui pourrait venir.



Conciliante, j’ajoutai :

-Si vous êtes inquiet, je peux vous montrer notre itinéraire sur les cartes. J’ai déjà emprunté la route par l’eau, j’ai posé le pied sur l'île pour être tout à fait exact. C’est là-bas que ça s’est corsé, des contrebandiers m’ont repéré et j'ai été contrainte de fuir. J’ignore s’ils seront là, cette fois, mais je ne viens pas seule. Je ne maitriserai pas le terrain sur l'île, ce sera la découverte pour nous tous.

J’avais embauché des hommes et des femmes qui savaient se servir d’une arme ou de leurs aptitudes naturelles. J’étais confiance, nous étions bien préparés. Le risque zéro n’existait pas, cela dit.

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-Vous n’y êtes jamais retourné depuis la chute ?

Depuis la trahison de Katerina Sosvena et de ses démons, depuis la bataille qui avait tout coûté à notre espèce, la purge… S’était-il tenu en retrait à cause du traumatisme et de la douleur, ou pour des raisons plus pragmatiques comme le danger que le secteur représentait ? S’il était encore risqué de s’aventurer là-bas, fut une époque ou c’était carrément suicidaire.

-Quel âge avez-vous, Casteel ?

Il était plus vieux que moi, c’était certain. Mais à quel point était-il âgé quand sa soeur avait été tuée, sa famille, de quoi se souvenait-il ?

-Cela fait du monde, dis-je en hochant la tête alors qu’il m’énumérait la liste des troupes déployables pour cette expédition.

Peu de nageurs mais beaucoup de navigateurs et de terriens. De toute évidence, il se fichait de la discrétion. La chasseuse en moi songea que l'appui d’un bateau ou deux ne seraient pas un mal en soi, les cités océanides devaient regorger de trésors qui ne demandaient qu’à être remontés. Ce que j’avais imaginé être une discrète opération de repérage prenait des allures tout autre… La durée de ce voyage s’en trouverait considérablement rallongée si nous devions fouiller les habitations croisées et organiser la remontée d’objets. J’étais étonnamment impatiente, cependant. Cette mission s’annonçait trépidante et ouvrait tant de perspectives qu’elle me laissait rêveuse.

|| Je sais me battre, oui. Vous devriez apprendre, si ce n’est pas le cas. Votre protectrice ne sera pas toujours là.

Je me contentai d’un vague sourire. Il tirait des conclusions trop hâtives. Aucun éclaireur isolé ne pourrait rivaliser avec un groupe armé jusqu’aux dents et je n’avais pas l’âme d’une héroïne. J’avais analysé la présence d’un ennemi plus nombreux et doté d’une force de frappe contre laquelle je ne pouvais pas rivaliser, j’avais réadapté ma stratégie en conséquence. Je n’étais pas une combattante, j’avais l’expérience de la survie. J’utilisais les armes uniquement quand j’avais besoin de me tirer d’un mauvais pas ou de chasser, ce qui ne ferait jamais de moi une guerrière qualifiée. En revanche je me sentais parfaitement en phase avec ma nature profonde de sirène et mes talents innés dont j’usais régulièrement. Cela ne suffirait peut-être pas à cet homme, songeai-je. Il aimait l'action, mais était-il aussi un stratège ?

Oh, mais il serait probablement charmant avec des cheveux gris, pensai-je. Cela irait bien pour accompagner ses trop nombreux sourires éblouissants. Je ris intérieurement. Voilà une pensée qui n’avait pas intérêt à franchir mes lèvres.

|| J’essaye de vous faire confiance, ne me décevez pas. C’est tout

-Vous jugerez par vous même. Les promesses parlent moins que les actes.

Il devait en intimider plus d’un avec ses airs bourrus et son ton intransigeant…
Ces choses là me glissaient dessus, personnellement.

Et voilà qu’il se déshabillait. Une réponse à mon invitation à nager, probablement ? Il n’était pas mal fait, le prince… Bien que charmant à observer, mon regard ne s’attarda pas. Il plongeait. Une invitation à le suivre ? Une promenade solitaire ? Que devais je faire ? Soupir. C’était Callum l’empathique, pas moi ! Je tournai les talons et partit rejoindre ma cabine à grands pas pour troquer le pistolet à ma ceinture contre mon matériel d’exploration marine. Une autre ceinture plus résistante à l’eau auxquels étaient fixés un couteau et une poche rigide dans laquelle se trouvait une boussole, et seconde sangle sur laquelle était accrochée ma lance de chasse rétractable.

Deux minutes chrono, mes vêtements rejoignirent ceux du prince.

-Je garde un oeil sur lui ! dis-je avec un rapide sourire aux deux compagnons de Rhyse. Et aux autres : Pas d’arrêt, gardez le cap. Nous vous rejoignons tout à l’heure.

Un bond, je filai par-dessus le bastingage, un second et je plongeai tête et bras en avant. Le choc de la rencontre avec l’eau me sonna un bref instant. Je me laissai emporter par l’élan, finalisant ma transformation… Et j’ouvris les yeux à moins de deux mètres d’un poisson gigantesque qui avançait vers moi bouche grande ouverte. Le cœur battant, je vrillai brusquement pour me dégager prestement de sa trajectoire le temps d'identifier la nature de la créature et le risque de danger, et me laissai finalement onduler sur le dos sans m’angoisser. Un requin pèlerin… Celui-ci mesurait quoi, huit, dix mètres peut-être ? Magnifique spécimen… Inoffensif pour mon espèce. Je souris, calant mon rythme au sien et le suivi en nageant sous lui, dos au sol.

-Pas par là… soufflai-je en le voyant remonter en direction du bateau.

Je tendis mes pensées vers les siennes pour tenter de lui insuffler un concept : “L’ombre (le bateau) est dangereuse. Ne t’en approche pas”.

Les camarades ne chasserait pas le requin, mais une collision lui serait fatale. Je vis avec satisfaction l’animal dévier sa course et me détachai tranquillement de lui pour observer mon environnement. Qu’il était bon de retrouver l’océan ! Je me sentais pleine et entière dans ses eaux, sous ma forme natale…

Mais j’en oubliais que j’avais sauté pour rejoindre quelqu’un. Où était donc le prince ?
Je m'exclamai alors, d'humeur taquine : 

-On m'a vanté les talents d'un grand nageur... Où se cache t-il ?

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Je vis à nouveau ce sourire émerger de ce visage trop austère… Et il disparut, bien vite, balayé par le vent. Comme c’était curieux… J’avais parfois cette impression fugace de côtoyer un homme différent, un homme qui se dissimulait. Qui était réellement le prince Rhyse ? Il me donnait le sentiment d’être l’un de ces trésors dont on me parlait parfois… Trop loin, trop dangereux, inaccessible. Juste assez pour titiller la curiosité de l’aventurière en moi. 

-Vous en savez tout autant sur moi, lui fis-je remarquer sur un ton tranquille.

J’avais l’impression de le désarçonner avec mes questions, ses réactions m’apparaissaient authentiques et spontanées.

-Quarante cinq ans, c’est un bon âge, dis-je en hochant la tête. La force du vécu et la jeunesse pour concrétiser ses projets.

Etait-il marié ? Quid d’une famille, d’enfants, d’un héritage à léguer s’il disparaissait dans l’un de ses combats ? J’en savais bien peu sur cet homme, sur l’état de la famille royale, sur ceux qui avaient survécu à la guerre… Il y en avait peut-être d’autres de la royauté, d’autres sur qui veiller, à protéger. D’autres, aptes à porter notre peuple et à lui offrir un avenir.

Plonger fut une libération, comme toujours je reprenais vie au contact de l’eau… Mais je manquais de peu la collision et la catastrophe, cette fois. Rhyse était bien là, et la légèreté de sa voix me fit comprendre que j’avais pris la bonne décision en le rejoignant.

-Je murmure des histoires et la faune écoute, parfois…

Et parfois c’était elle qui me parlait. Oh, pas une conversation construite comme savaient le faire les humains et les océanides, non. Une autre forme de langage, plus primaire, tout aussi riche d’informations…

Je me retournai pour faire face, non plus à l’homme mais au triton et me figeai pour l’admirer sous sa forme innée. Il était magnifique ainsi - pas seulement parce que la disparition de la magie le rendait infiniment plus gracieux et attirant mais simplement parce qu’il était lui-même… Des écailles vertes... Les miennes étaient en nuances d’argenté et de bleu.

Le prince Rhyse, en face de moi.
L’ombre d’un sourire sur les lèvres, une lueur de respect dans les yeux.

-Je suis heureuse de faire réellement votre rencontre, mon prince, dis-je en marquant à nouveau l’étiquette par une révérence de courtoisie.

Voilà qui s’intéressait subitement à mon âge… Était-ce le fait de m’avoir vu parler à un requin qui l’interpellait ?

-Quel âge me donnez-vous ?

J’étais curieuse de mieux cerner la vision qu’il avait de moi. Pas seulement physiquement, mais aussi mentalement. Sa réponse serait probablement éloquente et riche en information.

|| Je n’ai pas nagé depuis de longues semaines, mais si vous vous dévouez pour devenir mon adversaire, cela ne me fera pas de mal.

-Quelques semaines ?

Je grimaçai, pleine de compassion.

-Vous devez vous sentir revivre. Tâchons d’en profiter alors.

Je me calai sur son rythme, évoluant tranquillement et sans pression. En apparence détendue, je demeurai cependant vigilante à mon environnement. Je connaissais bien ces mers pour avoir grandie à Ka’hauni, il était rare de rencontrer de grands prédateurs dans ce secteur, mais on était jamais trop prudent.

-Vous me proposez une course ?

Intéressant.

-Jusqu’à l’arche, là-bas ? lui proposai-je en lui montrant un amas rocheux à environ deux ou trois cents mètres.

Les enjeux furent posés, la destination déterminée… Je pris une profonde inspiration, quelques instants pour me recentrer. Le départ fut annoncé et je m’élançai. 
Je me maintins à la vitesse de mon rival pendant la première moitié de la course pour ne pas épuiser mon souffle sur un sprint… Et puis arrivée à mi parcours, j’accélérai prestement. Je finis par me détacher de Rhyse et lorsque je franchis l’arche, j’avais pris une confortable avance sur mon adversaire. Sans relâcher mon élan, je remontai l’amas rocheux pour m’y lover et reprendre mon souffle, le temps d’être rejointe par le triton.

-Suis-je recrutée pour votre expédition, monsieur ? demandai-je avec un rire essoufflé.

Il me restait encore bien assez d'énergie pour me lancer à nouveau. Peut-être pas au même rythme, mais néanmoins... 

-Voulez-vous la revanche ?

Lui en restait-il, à lui, du souffle ? Je le regardai avec un léger sourire en coin. Il n'était pas le seul à me tester après tout.

-Je m'en voudrai de vous épuiser à peine arrivés. 

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Mes yeux se portèrent sur l’amulette que je portais au poignet, un bracelet. Un simple petit bijoux qui contenait une magie si puissante qu’elle pouvait altérer complètement notre nature… Je m’étais toujours demandée pourquoi les shamans avaient offert un tel cadeau aux océanides et n’avaient jamais permis le contraire aux humains. Nos civilisations auraient-elles pu se rapprocher davantage si ça avait été le cas ? La pragmatique chassa bien vite la rêveuse en moi. Si les humains avaient pu devenir océanides, ils auraient très certainement utilisé cette forme à quelque fin malhonnête. Qui sait si notre peuple existerait toujours alors ?

-J’ai trente-cinq ans.

Le jeu et l’esprit de défi pris bien vite le dessus et nous nous élançâmes à travers les flots. La réaction de Rhyse à ma victoire me surpris vivement. “Modeste, l’esprit analytique…”. Il avait vite fait de se remettre en question… Un peu trop peut-être. Ne s’amusait-il jamais ? Je répondis alors, pragmatique :

-Votre analyse omet un détail. J’ai grandi dans ces eaux, je connais très bien le terrain et les courants. C’est un avantage qui peut faire une nette différence en situation. Vous êtes un bon nageur, Rhyse. Le meilleur conseil que je peux vous donner est de jongler plus souvent entre vos deux formes jusqu’à ce que cela devienne instinctif.

Je grimaçai, pleine de compassion.

-Des semaines entières passées avec des jambes… Pas étonnant qu’il vous faille un temps d’adaptation.

Hmmm…

-Et vous acceptez parfois les défis pour vous amuser ?

Juste pour savoir.

|| Retournons jusqu'au navire avant que mes accompagnateurs ne s'inquiète. La jeune femme qui m'accompagne est jeune, elle n'avait jamais nagé avant de nous rejoindre. Elle doit garder ses forces pour autre chose que de chercher un triton qui fait des courses.

-Vous faites souvent cela, fuir votre escorte ?

Je profitai encore de quelques instants, lovée sur la roche ensablée. Ma main plongea et s’empare d’une poignée de grains qui se dispersèrent dans l’eau avant de retomber.
 
-Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai rusé pour échapper à mes surveillants, enfant. J’avais ce besoin d’aller voir au-delà des limites… Cela rendait tout le monde fou.

C’était un miracle que j’ai vécut aussi longtemps, évité les enlèvements, rafles, les empoisonnements, les prédateurs et je ne sais quels dangers. Un miracle… Ou une solide éducation, beaucoup de chance et un soupçon de bon sens. Mon père avait toujours veillé sur moi, une ombre bienveillante sur mon épaule, un protecteur non envahissant, un refuge.

-Les choses n’ont pas vraiment changé, j’imagine. J’ai seulement canalisé cette énergie pour en faire une activité lucrative, renforcer ma Maison et donner du travail à des océanides. Cal continue à se faire des cheveux blancs et tout va pour le mieux ! plaisantai-je en me redressant.

|| Vous pourriez lui fournir quelques conseils, vous êtes une bonne nageuse. Ne criez pas victoire, je ne vais pas me laisser distancer à chaque fois ! Vous êtes prête ?

-Bien sûr. Nous avons du temps avant d’arriver, je l'amènerai nager, proposai-je spontanément. Elle ne s’est encore jamais transformée ?

Se sentait-elle seulement prête à sauter le pas ? Je n’imaginais pas un seul instant ce que pouvait ressentir un océanide privé de la mer toute sa vie. Quelle idée terrifiante !

Je souris.

-Nous remettons ça, alors ? Vous êtes bien pressé de quitter l’eau… soufflai-je résignée

Je mis moins de coeur dans la course qu’à l’aller, profitant davantage des sensations et du plaisir de la nage que j’allais devoir abandonner. Le bateau se profila bien assez vite et nous pûmes nous hisser à bord à l’aide d’une échelle de corde. J’accordai alors peu d’intérêt aux regards curieux, voire appréciateurs que je surpris dans notre direction. L’équipage était hétéroclite, majorité d’océanide, quelques humains. J’enfilai rapidement ma tunique et mis fin à ce bref moment de nudité. Rhyse avait remporté cette seconde course, il était meilleur nageur qu'il ne l'imaginait.

Je consacrai les heures suivantes à faire connaissance avec les deux camarades de Rhyse et je pris les partis de présenter les trois protagonistes au reste de l’équipage afin de les intégrer au groupe. Quelques personnalités bien trempées se présentèrent spontanément, parmi lesquelles Eirvan - le cuisinier, et Gerren - combattant et artificier, deux humains bons vivants. Plus discret et timide, Eoklys, un jeune océanide spécialisé dans la manipulation des fluides à vocation de guérison et la cicatrisation se révéla agréablement sociable une fois le dialogue engagé…

Sans surprise, quelques océanides vinrent me trouver à tour de rôle en fin d’après-midi pour négocier la possibilité de plonger. Je leur accordai pendant leur temps de pause avec des consignes claires : pas plus de deux en même temps pour éviter une désertion massive du navire, jamais sans prévenir un autre membre de l’équipage.

Les jours se succédèrent, calmes et paisibles. Pas de tempête, un vent clément et aucune rencontre malfaisante. Nous avions beaucoup de chances jusque là.

-Terres en vue !

Le signal fut donné, nous avions atteint notre destination.
Je pris le parti d’envoyer des éclaireurs océanides inspecter la plage par la mer, s’assurer que nous pouvions accoster sans danger. Ils revinrent un moment plus tard pour nous donner le feu vert. Des ordres furent donnés : un groupe pour protéger le bateau et surveiller les barques, l’autre pour partir à la chasse au trésor. Pistolet à ceinture, machette et sac à dos partiellement rempli avec de la viande séchée et de l’eau…

-Evitons de hurler, nous ne sommes peut-être pas seuls sur cette île, prévins-je la petite équipe d’explorateurs que j’avais composée.

Les lieux étaient sauvages, envahis de végétation, les dénivelés allaient nous ralentir. Boussole en main, je suivais un plan qui n’avait de corps que dans ma tête..

-Qu’est-ce qu’on cherche ? s’enquit Guerren au bout de quelques minutes.
-Un vieux temple, près d’un sommet qui a cette forme…

Je me baissai pour dessiner dans la terre un croquis avec quelques repères visuels : le sommet rocheux bossu comme un chameau, une rivière qui serpentait et formait un “S”, la position approximative du temple niché entre la rivière et la montagne et je notai le nord, avant de me tourner vers mes camarades.

-Voilà, nous cherchons cela.
-On pourrait grimper là-haut pour essayer d’y voir mieux, proposa un compagnon en indiquant un rocher de belle taille qui surplombait un chemin escarpé.
-Oui… Bonne idée.

La grimpette serait suivie d’une partie d’escalade… Un effort physique qui allait demander force, endurance et agilité.

-Je vais aller jeter un oeil. Sécurisez la zone, assurez vous que personne ne nous prenne en traître.

Je me figeai un instant, pensive, avant de tourner la tête vers Rhyse. De quoi cet homme était-il capable sur la terre ferme ?

-Vous m’accompagnez ? lui demandai-je avec l’ombre d’un sourire.

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|| Vous pensez que je ne m’amuse pas ?

-Vous vous amusez ? demandai-je sans détour, attentive.

J’étais curieuse de sa réponse. Il ne m’était pas toujours aisé de décrypter les émotions des personnes que je ne connaissais pas, verbaliser les choses m’aidaient à décoder. S’il posait la question c’était probablement qu’il passait un agréable moment, du moins je l’imaginais.

Ainsi il fuyait très souvent son escorte ? La royaliste en moi songeait que ce n’était pas raisonnable mais je comprenais fort bien. Je faisais exactement la même chose.

Les jours filèrent, l'île finit par nous apparaître et nous accostâmes sur une plage déserte. L’organisation se fit, chacun connaissait sa place et son rôle. Je demeurai très prudente, ma première visite ici avait été mouvementée et j’ignorais si le danger guettait à nouveau. Ne pas voir de bateau de ce côté de l'île ne signifiait pas qu’aucun ne mouillait ailleurs ou que des individus ne s’étaient pas établis sur la terre ferme. Prudence était de mise, la sécurité de mon équipage m’importait tout autant que le résultat de cette expédition. J’évoluai avec prudence, l’air sérieux et attentif, jusqu’à ce que je propose à Rhyse de bifurquer. Inutile d’engager tout le groupe sur cette ascension, je ne tenais pas à épuiser et à faire prendre des risques inutiles à mon équipe lorsqu’il suffisait qu’une ou deux personnes grimpent pour visualiser des repères.

|| Vous êtes une passionnée.

-Hmm ?

Je lui lançai un regard curieux.

-J’aime les défis. Je les apprécie encore plus quand il y a une récompense à la clé, répondis-je pragmatique.

Je n’avais pas bâti ma situation en baillant aux corneilles, ce que je faisais demandais un grand investissement et beaucoup d’efforts. Mais il avait raison, j’y prenais du plaisir.

-Vous aussi, je me trompe ? Vous aimez l’action mais vous savez user de votre tête. Vous ne vous seriez pas lancé dans votre entreprise si vous aviez peur de relever les défis intellectuels et physiques. Vous avez placé la barre haute en termes d’objectifs, soufflai-je avec l’ombre d’un sourire. Cette chasse aux trésors, c’est de la gnognotte en comparaison.

Ressusciter la royauté, reconstruire l’unité d’un peuple éparpillé… Il fallait une stratégie parfaitement rodée. S’il n’était pas le cerveau de l’opération, alors il était rudement bien entouré pour avoir survécu toutes ces années.

-C’est bien, dis-je approbatrice. Je respecte ça.  

J’avais dans l’idée que je ne m’ennuierai jamais en fréquentant cet homme. Ces quelques jours passés en sa compagnie m’avaient permis de mieux le connaître et, s’il me restait encore étranger par bien des aspects, j’avais l’impression de le comprendre un peu mieux.

|| Vous êtes certaines qu’il n’y a que notre navire par ici ?

-Non…

Il le savait parfaitement bien.
Je continuais à marcher, discrètement aux aguets.

|| Nous devrions faire demi-tour.

-Oui.

Je ne risquerai pas la vie de son altesse sur une imprudence, en outre je percevais aussi des signes annonciateurs… Nous avions presque atteint le rocher que j’avais prévu d’escalader lorsque je vis un mouvement derrière un arbre. J'agrippai le prince et le poussai sans ménagement pour le plaquer contre la roche, hors de portée du tireur. Une balle claqua, je serrai les dents et lâchai un juron.

Elle avait tout juste effleuré mon épaule… Nous avions frôlé la catastrophe. Combien étaient-ils en face ? Quelles étaient leurs positions ? L’abri rocheux nous protégeait certe du tireur pour le moment, mais si d’autres venaient et nous prenaient en tenaille…

Je sortis mon pistolet, l’armai, me penchai légèrement pour avoir une vision de ce qui se trouvait derrière ma cachette, avant de me remettre à l’abri.

-Trois hommes. Il va falloir tenir la position le temps que les renforts arrivent…

Notre groupe n’était pas loin, il rappliquerait à coup sûr avec le boucan. Si nous avions de la chance, le bruit n’attirerait pas plus d’adversaires…

-Ils ont l’air énervé, chanter les détendra peut-être… proposai-je avec un brin d’humour.

Ou pas. Le chant des sirènes avaient des effets ravageurs sur les humains après tout.

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L'aventure

L'aventure

-Oh, j’attendais juste un prétexte pour vous faire du rentre-dedans, rétorquai-je sans me démonter.

Trois adversaires, c’était parfaitement jouable s’il n’y avait aucun shaman en face. C’était peu probable statistiquement, la chance était de notre côté pour le moment.

-D’accord.

Peu contrariante, je le laissai mener la danse et donner les ordres. Son sourire me laissa songeuse, il avait l'air absolument ravi par la situation. Je ne pensais pas l’avoir encore jamais vu avec une telle expression. L’excitation de la chasse, le prédateur qui se préparait à frapper…

Je pris un instant pour recentrer mes pensées et apaiser les battements de mon cœur…
Ma voix s'éleva, douce et mélodieuse comme un appel à la damnation… Malgré le danger, je fis quelques pas vers mes cibles, cherchant à accaparer toute entière leur attention et je l’obtins. Leurs regards convergèrent vers moi, captivés et je ne cessai de chanter alors même que Rhyse leur tranchait la gorge un par un. Spectacle affreusement macabre et sanglant, peu plaisant à voir… Je ne détournai pas le regard pour autant.

Je me tue alors que le dernier corps s'effondrait. C’était terminé. Les camarades rappliquait, le prince était en colère… Bah ! Le danger était mineur, pas de quoi s’agacer. Non… En revanche, ce serait très pénible que des collègues à ces hommes débarquent. Y en avait-il d’autres ? Je scrutai les végétaux avec attention… La voix de Rhyse m’arracha à ma contemplation.

-Hmm ? Oui je vais bien, répondis-je calmement. Je levai les yeux vers lui. Et vous ?

Question rhétorique. Il n’était pas blessé et je l’avais vu se battre, je savais qu’il y avait pris du plaisir. Pas d’état de choc ou de stress traumatique pour cet homme. Quant à moi… Disons que j’avais peu d’empathie pour des humains qui avaient engagé les hostilités. Ils étaient d’illustres inconnus et le resteraient à jamais.

“Loyal et prêts à risquer sa vie pour ses alliés, sans aucune pitié pour ses adversaires…”

Ces quelques minutes avaient été riches en enseignement.

|| Vous voyez que l’on peut s’entendre.

-Huhum, dis-je pensive..

Je levai la main et glissai délicatement mon pouce pour essuyer brièvement une tâche de sang qui demeurait sur sa joue.

-Vous en doutiez ? demandai-je malicieuse.

Je retirai ma main et me tournai vers mes compagnons de route pour faire quelques pas vers eux.

-Fouillez les corps, récupérez ce que vous pouvez. Et les fourrés. Il y en a peut-être d’autres.

Sur un malentendu, l’un d’eux porterait peut-être une note qui indiquerait leurs intentions et, si je me trompais pas et s’il s’agissait bien de contrebandiers, peut-être le genre de fournitures qu’ils faisaient transiter par ici. Il y avait peut-être quelques biens de valeur…

|| Reprenons la marche, les trésors me passionnent peu. J’ai vu ce que je souhaitais voir ici.

Je fis volte face et fit un pas vers le prince…

-Haa… Vous les préférez peut-être déposés directement dans votre repère, soufflai-je à voix basse avec un sourire de canaille. Moins d'efforts pour lui, plus de rentabilité.

Je le charriai, j'avais compris le sous-entendu bien sûr.
Et je m’élançai pour m'agripper au rocher et entamer mon ascension.

-Je grimpe. J’aurais une meilleure vue de là-haut.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Une séance d’escalade ni trop difficile ni trop aisée. Vers le sommet, je ratai une prise et glissai, avant de me rattraper in extremis, le coeur battant, et de reprendre la montée jusqu’à la partie supérieure. J’avais raison, la vue était très intéressante d’ici. Jolie, très jolie. Je demeurrai en posture basse par sécurité pour ne pas attirer l’attention et admirai le panorama, boussole en main, sans ressentir le vertige. Un mauvais geste me précipiterait pourtant dans le vide et me tuerait à coup sûr ou presque.

Un bateau de petite taille… Et un feu de camp, près de la rivière. Et au loin, la fameuse montagne que je cherchais… La direction concordait avec mes informations, c’était très encourageant.

“Oui… Vraiment très encourageant”, pensai-je alors que mes pensées bifurquaient vers l’homme qui attendait en contrebas. A tous les niveaux. Que je rentre bredouille, avec ou sans trésor, j’avais le sentiment que j’avais gagné quelque chose… Son estime, semblait-il… Allez donc savoir sur quels critères il me jugeait ? Quant à moi, j’avais beaucoup appris sur lui en l’espace de quelques jours, et force était de constater qu’il me plaisait de plus en plus. Il avait peut-être ce qu’il fallait pour nous guider… Il commençait à me donner envie de croire en lui.

Je descendis plus lentement que la montée, prudente, et me réceptionnai sur le sol après un dernier effort. Quelques regards convergent vers moi, je constatai qu’il en manquait plusieurs… Ils avaient dû partir en éclaireur pour s'assurer que personne n’arrivait. Je leur fit alors un topo de ce que j’avais observé avec les directions et les distances approximatives. Et, alors que les discussions allaient bon train, je me tournai vers Rhyse.

-J’aimerai votre avis.

Quelle option choisirait-il ? Quel plan allait il me proposer ?

-Contourner les contrebandiers en espérant éviter l’affrontement, au risque que ces derniers ne nous attaquent par surprise à tout moment… Ou bien tenter un raid sur leur campement en sachant que nous ignorons leur nombre, et que nous pourrions nous retrouver en infériorité numérique ?

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L'aventure

L'aventure

-C’est peut-être davantage par instinct de survie ou par manque d'accompagnement que par choix, répondis-je songeuse.

Se fondre parmi les humains était une stratégie pour se protéger d’eux. Quant aux pouvoirs innés des océanides ou aux capacités musculaires et respiratoires sous forme de sirène, hélas… Ces choses n’étaient pas instinctives. C’était aux parents ou aux proches de montrer aux enfants et de les éduquer. Notre peuple avait tant perdu depuis la guerre… A commencer par la connaissance de leur propre corps.

-J’ai eu la chance d’être entourée par des océanides qui avaient connu la mer… Ils m’ont bien appris.

|| Assurément. Cette chasse au trésor sera la première et la dernière de ma carrière…

-Vraiment ? m’étonnai-je. Quel dommage, soufflai-je déçue.

Il n’avait peut-être pas l’âme d’un aventurier en fin de compte. Ou il avait mieux à faire ailleurs. Les deux, peut-être.
Mais il était coincé ici avec nous maintenant, alors il allait bien devoir aller au bout de cette histoire.  

|| Essayez de rester vivante.

Je ricannai tout en progressant vers le sommet et lançai avec humour :

-Tendez les bras ! Je compte sur vous pour me rattraper si je tombe !

Ou pas.
Par chance, je redescendis entière avec pour seule peine des mains éraflées par une roche rugueuse et un brin tranchante. De leurs côtés, les fouilleurs de cadavres avaient mis en évidence quelques armes, ainsi que des bourses bien remplies. Visiblement, la contrebande rapportait… J’écoutai attentivement l’avis de Casteel, tant parce que je m’intéressais à son expérience personnelle qui avait beaucoup à m’offrir que parce que je cherchais à découvrir sa personnalité. Je tendis l’oreille à d’autres qui partageaient leur avis et plus attentivement aux deux éclaireurs qui revinrent en expliquant ne pas avoir aperçu de personnes dans les environs proches.

-Même si le coup de feu n’a pas porté, ils finiront par se demander où sont les trois autres. Je ne les veux pas dans notre dos, réfléchis-je à voix haute alors que mon cerveau analysait les possibilités.

J’actai rapidement une décision, tranchant dans les divergences d’opinions.

-Nous allons nous battre, mais sur notre configuration de terrain.

Une embuscade, voilà ce que je planifiais. Utiliser l’environnement à notre avantage, piéger la zone, les attirer avec une diversion… Les talents de Gerren et ses explosifs allaient nous servir. J’espérais qu’Eoklys n’aurait pas trop de travail pour rafistoler les blessés à l'issue de ce combat…

La confrontation vint et elle tourna en notre faveur grâce à un plan soigneusement élaboré. La résistance se révéla farouche cependant, et la situation faillit tourner au drame lorsqu’un shaman entra en jeu. La terre trembla, des rochers s’effondrèrent… L’homme fut abattu avec difficulté.  

Pas de mort dans notre camp, mais des blessés sérieux. Trop à mon goût. L'île était débarrassée de ses parasites et si j’étais satisfaite par tous les nombreux avantages que nous offrait cette nouvelle situation, mon humeur avait pris un coup en constatant l’état de certains de mes employés. Les blessés furent rapatriés au bateau, confié au soigneur. La nuit allait tomber, je pris la tête d’une poignée d’océanides et profitai de la faveur de l’obscurité pour me rendre discrètement au campement adverse et m’assurer qu’il était bien vide… Ainsi que leur bateau…

Je constatai avec soulagement qu'il n’y avait plus personne, en revanche, la cale était pleine de marchandise que les contrebandiers n’avaient pas eu le temps de décharger. De l’alcool, beaucoup d’alcool. Quelques belles étoffes également.

-On aura toujours de quoi picoler si jamais on trouve pas le trésor, fit remarquer l’un de mes compagnons.

Je souris d’un air mi-figue mi-raisin…
Il n’avait pas tort.

-Prenez quelques bouteilles pour l’équipage, soupirai-je. Nous reviendrons récupérer le reste plus tard.

Voler des voleurs… Ce n’était pas le plan initial, mais ça me convenait. Je ne partirai pas complètement bredouille si jamais cette quête ne menait à rien.
Je glissai une bouteille de rhum entre les mains de Casteel.

-Vous acceptez les dons en boisson pour votre établissement ? lui demandai-je avec un sourire fatigué.

Nous avions tous mérité de nous reposer.

Le lendemain matin, j’eus la satisfaction d’apprendre que l’état des blessés les plus sérieux avait été stabilisé. Eoklys s’accorda quelques heures de repos bien mérité.

J’avais peu dormi, mon cerveau était trop en ébullition. Je regardai le lever du soleil sur le pont du navire en sirotant une tasse d’infusion bien chaude au goût relativement amer que le cuistot avait qualifié “d’hyper revigorante”. Tout était calme et silencieux, la majorité de l’équipage dormait encore. La plupart avait veillé très tard pour gérer les troubles et les blessés, je leur accordais bien volontiers un répit avant de reprendre la route. Les épuiser serait contre-productif…

J’avisai une ombre, un coup d’oeil me permis d’identifier le visiteur…

-Avez-vous pu vous reposer un peu ?

Le prince avait donné de sa personne. J’ignorais dans quelle mesure il approuvait ou désapprouvait mes décisions, mais je ne pouvais nier son implication personnelle ni les risques auxquels il avait accepté de se confronter. C’était un homme fiable, il respectait ses engagements.

Je saisis un verre sur un tonneau et un pichet fermé pour lui servir une tasse de tisane encore chaude. J’imaginais bien que je finirai par être rejointe par quelqu’un tôt ou tard…

-Tenez, lui dis-je en lui tendant le verre. Ce n’est pas très bon mais ça donne un coup de fouet. Comment vous sentez-vous ce matin ?

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