Quitter la brume

Quitter la brume

Alya & Avitus

Point question de repos pour le moment. Le Capitaine après avoir annoncé le départ imminent, alla s'installer à la barre, la longue-vue et autres outils à proximité, Evander à ses côtés. Il fut de dos d'abord, regardant Le Salvatore entamer sa manoeuvre tout en quittant le quai. Alors Thélème se mit doucement en branle, les amarres furent larguées à son commandement et les matelots aidèrent la vivenef à se dégager doucement. Avitus dirigeait, Evander aidait lui aussi, à sa manière. Et puis il suivit le tracé de la seconde vivenef pour effectuer son demi-tour et partir pour de bon. Cette fois le shaman gonfla les voiles, un peu seulement, car la brume rendait toujours cette partie du trajet bien trop dangereuse pour prendre de la vitesse.

La nuit tomba, Thélème, le Capitaine et le shaman continuait leur travail, Le Salvatore suivait, pourtant personne ne pouvait continuer sans dormir. Comme à l'aller, Doran vint prendre la relève, accompagné de Katelya pour que les deux hommes puissent se reposer, au moins jusqu'à l'aube.

Peu après l'aube, la situation atypique n'empêcha pas Maître Evander de donner sa leçon du jour, destinée aux shamans mais ouverte à tous. Avitus n'y participa pas cette fois, il reprit la barre, son poste, même s'il ne l'occupait pas tout le temps et qu'il avait lui aussi quelques tâches ingrates à accomplir, comme tout le monde. C'était à Doran que revenait la responsabilité d'organiser le travail de chacun. Ce matin, la mer était plus agitée que la veille et les vagues venaient se briser sur leur coque et l'écume lécher leur peau, révélant les écailles des océanides et des hybrides travaillant sur le pont. La brume commençait à être moins dense, le guetteur fit signe qu'il y voyait clair et alors le Capitaine prit plein sud et fixa la barre. C'était le plan qu'ils avaient fixé avec le Capitaine Stark, profiter des vents majeurs, puis pousser les deux navires très forts grâce aux shamans. Une seconde étape qui attendrait quelques jours encore.

En attendant, Avitus trouva Doran pour connaître son affection du jour, puis il retira sa veste pour être plus à l'aise. Il était temps d'ouvrir la grand voile afin de prendre plus de vitesse. Cinq hommes et femmes étaient réunis pour se faire, dont la jeune mercenaire. Comme il était le Capitaine, on l'attendait toujours pour prendre les décisions, pour tout prendre en main et il s'amusait régulièrement à nommer quelqu'un à sa place.

« Estrella, tu prends la direction des opérations. » Voilà le seul ordre qu'il donnerait. Lui aussi, avait le droit de se reposer. La sirène grommela mais accepta de jouer le jeu.

« Bien, deux en haut pour défaire les cordages. Qui grimpe ? » Tous se regardèrent, personne ne semblait vouloir se désigner.

« Ne vous battez pas. Très bien, je vais y aller. Alya, tu n'as pas l'air d'avoir froid aux yeux, tu m'accompagnes ? »

Un peu d'exercice après tout ça, Avitus en rêvait. Il n'attendit pas la réponse et commença à grimper sur le large mât.

accepta de jouer le jeu.

« Les autres, suivez-moi. »

(c) DΛNDELION

Quitter la brume

Je dormi d’un sommeil de plomb, de l’instant où je pus enfin m’installer dans ce hamac après avoir fait un brin de toilette jusqu’à un peu avant l’aube. Au réveil, mes yeux paniqués se fixèrent aux lattes de bois, puis cherchèrent un repère. Où étais-je ? Je ne reconnaissais pas les lieux ni les personnes qui m’entouraient…

… Ah oui, Thélème. C’est vrai, je me souvenais.

Je me laissai glisser du hamac et m’habillai silencieusement. Mon doigt se glissa dans le trou de ma chemise avec une petite moue. Il allait falloir que je raccommode ça rapidement. Quelqu’un aurait peut-être une aiguille et du fil à me prêter sur le bateau. On m’avait expressément demandé la veille de participer à un cours de magie… Je m’y plierai de bon gré. D’abord parce que j’avais rarement l’occasion d’être entourée d’autant de shamans et que j’y voyais une superbe opportunité de me lier à des semblables, ensuite parce que j’avais encore beaucoup à apprendre et Emrys n’était plus là pour m’enseigner… Pour finir, tout simplement car je ne pouvais pas me permettre le luxe de contrarier le capitaine de ce navire. Pas en pleine mer, pas alors qu’il pouvait me jeter par dessus bord quand bon lui chantait. Mon père semblait faire confiance à cet homme… J’étais davantage sur la réserve. Un fils de duc, un sang bleu… Les téméryiens ne luttaient en rien contre l’esclavage, la traite y était abondante. Des humains certes, mais des océanides et des hybrides aussi et pour beaucoup. Le territoire était vaste, mais cela ne changeait rien aux lois en vigueur et aux mesures prises… Rien, rien du tout. Pas de mesures, pas de condamnation, de moyens employés à grande échelle… Le duché de Ka’Hauni était le seul à lutter activement contre ce fléau.

En faisant quelques pas dehors pour prendre l’air, j’eus pourtant la surprise d’être interpellée par un matelot.

-Mademoiselle Swann !

La surprise me poussa à le détailler avec curiosité, je ne le reconnaissais pas.

-Vous vous souvenez de moi ? demanda-t-il guilleret, suspendu à mes lèvres.

Il me fallut de longues secondes pour remettre le visage de ce jeune homme plein de vie sur la pauvre créature pâle et amaigri de mes souvenirs.

-Le Sherpa…

Je me souvenais soudain de ce bateau que l’Arcélia avait autrefois abordé… Il n’y avait pas de mot pour décrire les conditions de détention des esclaves que nous avions secouru dans les entrailles du navire. Attachés à des poteaux comme des bêtes, sans eau, à moitié morts de faim… La vie semblait avoir quitté le regard de certains d’entre eux. Nous n’avions pas pu tous les sauver… Trop affaiblis physiquement pour remonter la pente, ou mentalement, certains s’étaient laissés mourir… Le Sherpa m’avait laissé un souvenir marquant. L’horreur humaine dans toute sa splendeur… Et cet homme qui me regardait avec beaucoup de respect était l’une de ses victimes. Je m’en rappelais clairement, à présent, les souvenirs affluaient. Son regard éteint, son état misérable… Je me souvenais l’avoir trouvé prostré dans un coin de l’Arcélia, le soir du sauvetage, les yeux dans le vague. Je m’étais assise à côté de lui sans le toucher, était restée silencieuse un moment. “Tu n’es pas obligé de parler”, avais-je soufflé. “Je vais juste… rester là un moment avec toi”. Et j’étais restée assise immobile un très long moment… Jusqu’à l’entendre sangloter. L’extériorisation de la douleur était le premier pas vers la guérison… Un bras autour de ses épaules, en silence… Il avait pleuré, longtemps.

-Andrasté… Tu es méconnaissable ! dis-je en écarquillant les yeux.

Le mot était faible, la vie avait fleuri à nouveau dans ce corps et cet esprit. Dire que cela me faisait plaisir était un euphémisme.

-Grâce à vous tous… (il se pencha vers moi et souffla d’un air conspirateur : ) Vous êtes ici en mission ?
-Non, répondis-je avec un sourire, j’accompagne mon père. Est-ce que tu travailles sur Thélème ?

Et j’eus alors droit au récit détaillé de la vie de l’océanide depuis notre dernière rencontre, apprenant par là même que l’équipage comptait toutes les formes d’espèces parmi ses membres, tous traitées équitablement. Une histoire surprenante mais très intéressante.

Lorsque je repris ma route, mon coeur s’était réchauffé et mon humeur était bien plus légère. Ce genre de rencontre me rappelait pourquoi je me battais quotidiennement et me confortait dans mes choix.

Il était encore tôt mais j’étais supposée participer à une leçon… Le problème était que j’ignorais qui était l’instructeur, l’heure à laquelle était donnée le cours et le lieu. Je finis par chercher un visage connu et tombai un moment plus tard sur un petit attroupement autour du capitaine Marduck.

Grimper pour défaire les cordages ?
Mon regard se porta sur les voiles et se leva vers le ciel. Le bateau était grand, ça faisait beaucoup de hauteur… De quoi donner le vertige à n’importe qui d’un peu censé. Mais pas à Avitus, de toute évidence. Il voulait que je monte ?

-Ma foi…

Voilà qui était tentant, des fois que mon père passe dans le coin. Il allait avoir un ulcère. Je ris intérieurement et posai le pied sur les cordages pour entreprendre mon ascension. Prudente, mais assurée.

-Vous n’avez pas le vertige ? m’enquis-je.

Je me sentais détendue, d’humeur légère, et affichai un visage bien différent de la veille.

J’enroulai mes jambes autour des cordes pour me sécuriser et entreprit de défaire un premier noeud au niveau du mât.

-Vous avez annoncé quinze jours de voyage, capitaine ? Thélème est si rapide que ça ?

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Alya & Avitus

Avitus se sécurisa d’une corde autour de la taille et commença l’ascension aux côtés de la jeune demoiselle. Il semblait à l’aise avec l’exercice.

« Un peu. Je ne faisais pas le fier la première fois, mais il faut se tenir en forme. » Ça il l’avait plus que jamais compris après l’assaut des océanides sur son navire. Se sentir aussi vulnérable ne lui avait pas plu. Bien sûr il avait renforcé la sécurité en rajoutant du personnel combattant et il s'entraînait bien plus dur qu’avant pour rester en forme, savoir se battre et garder de bon réflexes. Monter aux cordages était un excellent moyen de faire travailler tous ses muscles. « Mon garde me déteste en cet instant. Il sourit, amusé par la situation. Et toi ? Ça ne te fait pas peur ? »

Son père la trouvait trop téméraire, elle avait l’air courageuse et déterminée, pour sûr. Avitus avait un don pour sentir le caractère des personnes, pour les cerner assez rapidement.

Tous les deux grimpèrent agilement jusqu’à la première voilure, là ils purent passer une jambe par-dessus la barre et s’asseoir tout en défaisant les noeuds.

« C’est une estimation optimiste, faisable si la météo est clémente. Les vivenefs éveillées sont plus rapides encore que les autres, et puis j’ai un shaman de Saphir d’exception. Tu t’y connais en navigation Alya ? Nous allons utiliser les vents dominants, en plus des shamans. Thélème est massive et d’une grande stabilité, ce qui nous autorise à lui donner une grande vitesse sans prendre trop de risques, surtout dans la baie des baleines qui est l’océan le plus prévisible et le plus facile à naviguer. »

Le capitaine défit un nœud, puis un autre, Alya faisait de même et la grand voile commençait à retomber, tandis que les matelots présents sur le pont attachaient le bas de la voile. Avitus ne posa pas plus de question, il jetait un œil vers Alya de temps en temps, pour s’assurer qu’elle était bien installée d’une part, et pour l’observer d’autre part. Elle avait l’air curieuse, et un peu rebelle s’il en croyait son père. Si elle voulait lui parler de ses pouvoirs ou d’autres choses, il voulait que ça vienne d’elle. Ils pouvaient aussi poursuivre en silence, cela ne le dérangeait pas, surtout qu’il lui faudrait toute leur concentration pour grimper tout en haut et défaire la deuxième voile.

(c) DΛNDELION

Quitter la brume

-Mon garde à moi aussi va me détester s’il me voit là-haut, répondis-je du tac-o-tac en levant un sourcil. Vous lui direz que c’était votre idée, ça le calmera peut-être.

Mon père allait encore me passer un savon… pensai-je résignée. Avec un peu de chance il ne passerait pas dans le coin et n’assisterait pas à l'ascension. Si la déesse était avec moi, il n’entendrait même pas parler de cette anecdote… mais je n’y croyais pas une minute. Il n’aurait qu’à aller s’expliquer avec Avitus, moi je ne faisais que payer ma contribution à la traversée en obéissant aux ordres du capitaine.

-Bien sûr que si, ceux qui n’en ressentent pas n’ont aucun instinct de survie. Mais ça ne m'empêche pas d’avancer.

A une telle hauteur, il faudrait être fou pour ne pas craindre la chute. La peur était une constante dans ma vie, je flirtait continuellement avec le danger. Je n’aurais pas pu oeuvrer avec l’Etincelle si je n’étais pas capable de prendre des risques et si je n’avais su développer de solides réflexes.

-La maîtrise de ses émotions est le premier apprentissage d’un shaman, ajoutai-je pour justifier ce trait de caractère. La peur peut provoquer des catastrophes en chaîne.

Ce fils de duc n’avait pas besoin de savoir que je menais une vie de résistance dans une organisation clandestine que certains - à commencer peut-être par lui même, qui sait ?- préféreraient voir sombrer. L’Etincelle ne faisait pas de différence entre les nobles et les roturiers, entre les océanides et les humains, tout le monde était logé à la même enseigne : les criminels étaient neutralisés, les victimes protégées.

-J’ai le pied marin mais je n’ai que quelques bases en navigation, guère plus.

Ce que j’avais appris en quelques années à oeuvrer sur l’Arcélia : tout et rien. Je m’étais nourris d’un peu tout ce qui me tombait dans le bec, apprenant des uns et des autres pour tenter de gagner en autonomie et de me composer un couteau suisse de compétences. J’étais ignorante dans bien des domaines, j’en avais conscience.

Un shaman de saphir qui utilisait son pouvoir des heures durant ? C’était une performance admirable, la personne devait avoir une endurance exceptionnelle. J’avais encore du chemin à parcourir pour en arriver là.

-C’est la raison pour laquelle il y a autant de shamans à bord de ce navire ?

Leurs services devaient coûter cher vu leur niveau de maîtrise… Mais qu’était l’argent pour la Maison Carrery ? pensai-je dans un soupir intérieur en m’attaquant à un autre nœud. Enfin bon, ça m’arrangeait bien au final. J’avais besoin de mettre rapidement pied à terre. Ces shamans avaient tout gagné : un emploi pérenne en servant une personnalité puissante, la protection de cet homme contre ceux qui redoutaient notre race…

J’oeuvrai en silence un moment, concentrée sur mes gestes pour conserver mon équilibre.

-Vous avez un équipage hétéroclite. Des shamans, des océanides… Ce n’est pas courant, finis-je par souffler une fois que j’eus terminé de défaire le nœud sur lequel je m’acharnais.

S’agissait-il d’une revendication politique ? Je ne croyais pas au hasard, Avitus connaissait son équipage, les océanides ne se cachaient pas à bord et les shamans avaient été recrutés en connaissance de cause.

-Vous êtes ouvert d’esprit.

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Quitter la brume

Alya & Avitus

Il la regarda avec un air amusé. Sebastian râlerait peut-être intérieurement, mais il n’oserait rien dire alors que lui-même se tenait là-haut avec elle. Peut-être lui ferait-il la réflexion après, en privé, à lui et non à elle. Quoiqu’il en soit, Evander et Katelya veillaient d’un œil sur leur sécurité et il était effectivement celui à blâmer.

Elle avait du caractère, Sebastian n’avait pas menti, du chien aussi. Elle ne craignait pas d’affronter ses peurs, une qualité assez rare. Et pas la seule visiblement. Une demoiselle combative, mais cela ne lui disait toujours pas pourquoi elle combattait. En tous les cas, il était admiratif. Il comprenait que Sebastian soit si fier, et si inquiet aussi.

« Tu semble plus mature émotionnellement que beaucoup de jeunes gens de ton âge. La maîtrise des émotions, la maîtrise de soi, je ne dirais pas que c’est le premier apprentissage parce que c’est un apprentissage sans fin, un apprentissage d’une vie. Mes shamans travaillent là-dessus plus que sur leur magie.
Et je ne peux que te recommander de profiter de cette chance qui t’es offerte. Tu rencontreras de très bons shamans tout au long de ta vie, mais peu capable de partager leur savoir comme le fait Evander. D’ailleurs, je ne suis pas shaman mais je ne m’en prive pas.
Tout le monde peut participer. »

Evander était un maître, un homme rare en son genre, aussi bon shaman que professeur. Avitus ne cessait de mesurer la chance qu’il avait eu de le rencontrer puis de le faire entrer à son service. Lui, comme tous ses autres shamans formés d’ailleurs.

« J’aime être bien entouré. Il y a neuf shamans sur le navire, maître et apprenti de chaque ordre en plus de Katelya qui assure ma sécurité. Il y a des incidents de temps en temps, mais je tenais à ce que les shamans que j’emploie partagent leur savoir. »

Il se tut un instant pour grimper encore plus haut, s’assurant déjà qu’elle soit bien assurée, puis qu’elle arrive à le suivre et l’aidant au besoin. Là-haut, il prit le temps de s’asseoir pour respirer et admirer la vue. La brume se dégageait et cela formait un spectacle magnifique avec du bleu à perte de vue au-dessus des étranges nuages. Souriant, il lui répondit après plusieurs grandes respirations du bon air marin.
Il adorait grimper là-haut et le faisait bien trop peu.

« Il m’arrive d’avoir peur moi aussi, mais je ne veux pas qu’elle me domine, ni qu’elle m’aveugle. J’avais des préjugés, je ne peux le nier, mais je les ai fait taire. Ainsi j’ai pu voir que nous n’étions pas si différents. Aujourd’hui j’ai fait de ce navire un lieu sûr pour tous ceux qui souhaitent rejoindre mon équipage, un jour j’espère en faire autant de Temerys. Pourquoi pas de l’archipel toute entière, j’aime rêver grand.

Pour la petite histoire, la figure de proue de Thélème est une sirène. Une légende chez les marins raconte que la vivenef parle avec les océanides sous l’eau. Sur ce navire, les océanides ont toujours été bien traités et il y en a toujours eu au sein de l'équipage, il n’aurait pu en être autrement lorsque j’en ai repris le commandement. »

Il n’aurait pas eu le choix, mais il l’avait fait sans hésiter, pourtant conscient des risques. Et il n’avait jamais regretté. La bonté était un cercle vertueux, et Avitus détestait l’injustice. Savoir que d'anciens esclaves avaient retrouvé une vie décente lui plaisait.

« Et toi, Alya ? Ton père m’a dit que tu avais choisi de prendre les armes, mais que tu n’étais pas mercenaire comme lui. Pourquoi te bats-tu ? Pour qui ? »

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Quitter la brume

Je lui jetai un regard étonné. Moi, plus mature ? Peut-être, je n’avais pas vraiment suivi les sentiers battus, mon expérience me rendait probablement différente. Ou peut-être que je donnais mieux le change par pudeur devant des inconnus. Il n’y avait que mon père pour avoir vu ce que je cachais au fond de mes tripes. Ce gouffre obscur que j’essayais de dissimuler habilement pour ne pas me faire happer et sombrer en emportant les autres avec moi. C’eut été un miracle que ma magie ne déborde pas la nuit de nos retrouvailles tant la dispute avait été violente… J’avais fait du chemin en tant que shaman depuis ma première manifestation. Emrys avait été bonne professeure et je remerciais la déesse d’être tombée sur elle dès le premier jour et d’avoir su lui accorder ma confiance.

-Oui… C’est un apprentissage long et difficile.

Je ne pouvais que donner raison à Avitus. C’était étrange de discuter d’un tel sujet avec un non initié… comme s’il nous comprenait. Si seulement mon père pouvait avoir une telle curiosité et ouverture d’esprit, nous nous serions épargné de nombreuses blessures. Il m’avait fait mal, hier, profondément. Pourtant, je n’avais jamais douté qu’il réagirait ainsi, c’est pourquoi j’avais eu si peur d’aborder le sujet avec lui. L'abcès était crevé maintenant, pour le meilleur et pour le pire… Mais arriverions-nous à nous pardonner les mots qui avaient été échangés depuis nos retrouvailles ? J’avais fait des erreurs mais il avait placé la barre haute lui aussi.

-Qu’enseigne Evander ?

Un apprentissage ouvert aux non-shamans ? De la philosophie ? De la méditation, peut-être ? J’étais curieuse.

-J’en profiterai. Où et quand donne-t-il ses leçons ?

Sans aucun doute, j’irai. J’avais perdu mon maître à l’instant où je m’étais détournée de l’Arcélia et j’avais dû dissimuler mes pouvoirs depuis que je cheminais avec Sebastian. L’occasion était trop belle pour être manquée, qui sait quand j’aurais à nouveau la chance de pouvoir profiter de l’expérience d’un shaman de haut niveau ?

-Vous n’avez pas peur de transporter une usine à gaz sur un bateau en haute mer ? demandai-je avec l’ombre d’un sourire.

Qui disait entraînement disait aussi dérapages… Et avec les shamans, les dérapages pouvaient parfois être spectaculaires. Un apprenti, c’était une chose, mais quatre ? C’était courageux. Je repensais à ma propre expérience avec mon mentor. Elle en avait rattrapé, des gaffes… C’était une chance pour ces jeunes gens cependant. Les shamans étaient assez peu nombreux, ceux qui avaient un niveau de maîtrise suffisant pour enseigner et qui avaient la volonté de partager leur connaissance étaient difficiles à trouver. Il était possible de se rapprocher des Ordres, encore fallait-il être suffisamment instruit pour savoir à quelle porte frapper et fortuné pour pouvoir faire la traversée.

Je suivais Avitus dans son ascension avec des gestes prudents mais efficaces, détachant et m’encordant à mesure de ma progression vers le sommet. Une ou deux fois, je glissais, me ratrappant et me rehissant à la force de mes bras. Le coeur battant à tout rompre mais l’expression indéchiffrable, je finis par rejoindre Avitus. La vue était folle… Nous étions haut. Très haut. Dire que j’étais à l’aise aurait été absurde, la hauteur me donnait envie de m’agripper au mat et de ne plus bouger… Mais hors de question de montrer ma peur ! J’avais ma fierté et je devais faire mes preuves ici pour gagner le respect de l’équipage.

Cette brume à perte de vue… Elle était apparue un jour et avait fait beaucoup parlé, mais au final personne ne savait vraiment d’où venait ce phénomène.

-Pourquoi “un jour” ? m’étonnnai-je après avoir entendu le capitaine faire le récit de ses espoirs. Pourquoi pas maintenant ?

Cet homme semblait ouvert d’esprit et avoir la volonté d’initier un changement. J’avais toujours imaginé les ducs inabordables, bornés et méprisants. Cet héritier se trouvait bien loin de cette image que je me faisais des sangs-bleus. Il se montrait accessible, cordial et ouvert à la discussion… Une conversation intéressante. Je n’étais pas vraiment doué pour parler de la pluie et du beau temps et me faire des copains, mais je pouvais parler pendant des heures du combat que je menais et des revendications que je portais.

-Je ne comprends pas. Vous êtes un homme de pouvoir, vous êtes riche au-delà du possible, influent. Pourquoi ne pas créer des lieux de médiation à Temerys pour faciliter les contacts, abolir les préjugés et rapprocher les espèces ? Des refuges et plus de dispositifs d’insertion comme Thélème pour les océanides victimes des humains ? Pourquoi ne pas affirmer sur la scène publique votre position et engager des moyens substantiel dans la lutte contre l’esclavage ?

Je ne maîtrisais pas les rouages de la politique, en revanche je voyais l’inaction globale des ducs et duchesses et les victimes, toujours plus nombreuses dans tout l’archipel… Difficile de ne pas ressentir d’amertume vis-à-vis des plus hautes instances de commandement quand on risquait quotidiennement sa vie pour compenser la passivité des duchés.

Cette histoire avec Thélème était jolie, poétique, de quoi plaire aux romantiques et aux bardes. Était-ce vrai ? Le bateau avait-il développé une affinité avec le peuple de la mer ? Je sentait sa magie raisonner autour de moi, un chant doux et discret que je pouvais toucher du doigt…

« Et toi, Alya ? Ton père m’a dit que tu avais choisi de prendre les armes, mais que tu n’étais pas mercenaire comme lui. Pourquoi te bats-tu ? Pour qui ? »

Il était curieux, Avitus… Je me demandais s’il avait une idée derrière la tête ou s’il cherchait simplement à faire la conversation. Ses derniers mots m’avaient rassurée, j’aimais ce que j’avais entendu et ce que j’observais sur ce bateau. Une alchimie entre océanides, shamans et humains, les trois espèces qui se cotoyaient dans le respect… C’était beau.

Mais la question de l’homme était indiscrète. Elle appelait à de dangereuses confidences qui pouvaient me conduire à avoir de gros problèmes… L’ouverture d’esprit d’Avitus ne signifiait pas qu’il cautionnerait la radicalité de l’Etincelle.

-Est-ce que mon père vous a dit que j’avais été esclave ? J’ai été raflée il y a six ans, à deux pas de la maison, vendue à une mine de fer à Oshaara. J’ai guetté une occasion d’échapper à mes bourreaux, et quand elle s’est présentée un an plus tard, je me suis battue pour regagner ma liberté.

je détournai mon regard du paysage pour braquer mes yeux sur lui. Cette partie de mon histoire n’était pas un secret. Si je ne l’ébruitais pas aux quatres vents, je ne cherchais pas à la dissimuler lorsqu’on me posait directement la question.

-Je me bats pour briser des chaînes et sauver des victimes, capitaine. Personne n’a le droit de priver une personne de sa liberté, l’esclavage est une abérration… Mais rien ne changera tant que le système continuera à cautionner ce que la loi est censée interdire.

Je me redressai pour reprendre mon ouvrage et détacher un premier nœud.

-Au vu des événements, j’imagine que je vais devoir porter une attention toute particulière au duc Ozova et à son armée. Je ne peux pas cautionner une magie qui asservit l’esprit et impose à un individu d’agir contre sa volonté.

Et à nouveau, je coulai un regard vers Avitus.

-Vous avez fuis Fedja, alors j’imagine que cela sous-entend le refus de vous soumettre à ce prétendu héritier du trône ?

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Quitter la brume

Alya & Avitus

« Evander enseigne avant tout la maîtrise des émotions par la pratique d’un art ancestral qui allie maîtrise du corps et respiration. Cela a l’air simple en apparence, pourtant cela demande une précision, puissance et contrôle à la fois. Généralement, il donne son cours dans la matinée. Ensuite, il vous fait pratiquer un peu, et à ce moment-là, je me retire. »

Il lui sourit car il ne participait effectivement pas à la totalité de la leçon, mais il appréciait énormément la première partie. Même si parfois il allait simplement méditer de son côté. Sa drôle d’expression lui fit lever un sourcil.

« C’est un pari risqué. J’ai confiance en Nezetta qui sait désamorcer un conflit comme personne et apaiser un esprit en proie aux doutes, et en dernier recours, même si cela n’a jamais été nécessaire, Katelya sait mettre quelqu’un hors d’état de nuire. » Simplement en le privant d’oxygène, tout en sachant s’arrêter avant de provoquer la mort. De tous, c’était celle qui s’entraînait le plus. Le plus mystérieux était son shaman d'améthyste qui était bien le seul à ne jamais participer, il se terrait avec ses cailloux, à faire ses expériences. Il avait le droit, en tant qu’ami proche d’Avitus et shaman expérimenté. Son truc à lui, c’était de fabriquer ou d’étudier des artefacts magiques.

Ils arrivèrent en haut du mât, plus très loin de la vigie, et si Avitus ne dit rien, il était satisfait qu’Alya souhaite suivre les apprentissages des shamans. Elle était une jeune femme consciente des risques que sa nature représentait, et prête à travailler pour réduire ces risques. Avec une telle mentalité, elle irait loin dans son dos. Sebastian pouvait être rassuré de ce côté là.
Quant au Capitaine, cela le changeait d’une certaine Mademoiselle Kenway. Une affaire à laquelle il repensait avec beaucoup d'amertume. Quel gâchis.

La conversation bifurqua sur des questions politiques tout aussi passionnantes.

« Je ne suis pas encore Duc. »

Une réponse qui fut loin de la satisfaire, ce qui l’amusa. Elle avait des idées et loin d’être mauvaises. Cependant les idées pouvaient aussi n'être que de belles utopies.

« Parce que je n’ai pas toujours les bonnes idées qui vont avec. Ni les personnes pour les mener à bien. Tu as des idées Alya, si tu veux m’en faire des propositions, je serais heureux de me pencher dessus. J’ai du pouvoir, mais pas encore assez. J’ai aussi des moyens, mais je ne souhaite pas payer n’importe qui pour faire n’importe quoi et je ne peux pas être partout en même temps. Trouver des personnes de confiance n’est pas si simple.
Quant à ta dernière question, non je ne le souhaite pas. Comme je te l’ai dit, je ne suis pas encore Duc. Interdire l’esclavage sur Temerys va provoquer des changements brutaux qui seront mal vécus par certains. Un homme comme moi doit se montrer prudent et ne pas montrer ses cartes trop tôt. Annoncer aujourd’hui ce que je souhaite revendiquer ne m’avancerait à rien, si ce n’est à me faire de nombreux ennemis que je pourrais peut-être convaincre lorsque le moment sera venu. Je ne peux pas non plus me mettre à dos les autres familles ducales. Même si nos avis divergent et que je n’apprécie pas tout le monde, nous devons travailler ensemble. Essayer de les convaincre sur l’émotionnel ne marchera pas avec les Vestrit, peut-être un peu plus avec les Maeda, mais ils seront d’avantages sensibles à des arguments économiques, sécuritaires et pragmatiques.
Je dois d’abord sauter le pas à Temerys pour leur montrer ce qu’ils auront à y gagner plutôt que ce qu’ils pensent perdre. »

Avitus la regarda sans sourire après son récit. Il comprenait d’où venait son courage et cette flamme qui animait son regard. Mais ils étaient perchés là-haut et ils ne faisaient pas grand-chose, si bien qu’on leur faisait des signes en bas pour leur demander de s’activer. L’équipage adorait quand leur capitaine jouait les matelots et qu’ils pouvaient lui donner des ordres et le taquiner comme lui le faisait parfois. Alya le devança pour se remettre à défaire les nœuds.

« Je ne peux que me ranger à ton avis. Il est temps que ces horreurs cessent. Je ne souhaite pas m’afficher publiquement, mais si je peux t’aider d’une façon ou d’une autre dans ton combat, tu sais désormais où me trouver. Le plus dur est toujours de trouver les bons contacts, alors n’hésite pas si tu en as à me présenter. »

Il défit le dernier nœud et puis il répondit avec fermeté à sa dernière question, une réponse évasive, mais il n’avait pas mieux et il souhaitait clore le sujet.

« Je ne peux parler à la place de mon père, même si je ne cautionne pas ce que j’ai vu. Concentrons-nous pour redescendre. Je vais y aller en premier. »

Attrapant une corde, il descendit en rappel le long de l’énorme mat en bois, puis il s’assura que la jeune femme descendait sans risques à sa suite. S’il lui arrivait quoique ce soit, c’était en bas qu’il pouvait faire quelque chose, pas en haut.

Une fois qu’elle fut de nouveau à ses côtés, il lui glissa à voix basse.

« Je ne sais pas si ton père te l’a dit, mais il est fier de toi. Et je comprends pourquoi. »

Cette jeune femme était une force de la nature.

(c) DΛNDELION

Quitter la brume

Je méditais sur la réponse d’Avitus. Ouvert à la discussion, pas lui-même suffisamment impliqué dans cette problématique pour se livrer personnellement à chapeauter des projets de protection et de réhabilitation des océanides… Ni pour risquer de se mouiller vis à vis des autres personnes de pouvoir en affirmant sa position contre l’esclavage… Ce n’était pas suffisant pour moi, il fallait plus ! Je ne concevais pas que l’on ne fasse pas une priorité de la souffrance de tant de victimes…

Mais j’étais une femme d’action, pas une politicienne. Parler le même langage que cet homme m’était difficile, nos perceptions étaient sensiblement différentes, nous n’évoluions ni dans les mêmes cercles, ni à la même vitesse. Il voyait le monde en années, peut-être même en décennies, là où je vivais au jour le jour en me demandant constamment si je verrai le lever de soleil le lendemain.

-Il n’y a vraiment personne dans votre entourage ? m’étonnai-je.

Nous n’évoluions vraiment pas dans le même monde lui et moi. J’en connaissais tant, moi, des individus prêts à tout risquer pour la cause…

Je tentai de doucher le feu dans mon coeur pour rester concentrée et me tempérer. Avitus Carrery ne fermait pas la porte, il l’entrebaillait. Ses mots étaient une invitation inespérée, une occasion à ne pas rater. Je pouvais ouvrir cette porte, négocier, peut-être, un soutien financier pour l’Etincelle, une collaboration pour d’autres projets sociaux… Lui ne se mouillerait pas directement, mais il était prêt à appuyer d’autres personnes qui le feraient à sa place.

Putain de merde. Il fallait faire de la politique, là, maintenant ? MOI, proposer et négocier ? Mais j’étais à chier pour ça ! Ils étaient plusieurs sur l’Arcélia à gérer ce qui relevait des relations sociales. Je n’avais pas la moitié du charisme et de la force de persuasion d’Emrys… Si on devait me coller une étiquette je serai l’associable, celle qui galérait avec les interactions sociales basiques et donc les camarades se foutaient de la gueule. Ça les faisait bien rire, les enfoirés ! J’avais du mal à m’ouvrir aux autres…

Mais ce n’était pas avec Emrys que l’héritier de Temerys était en train de parler… Aucun de mes camarades n’était à bord pour parler pour moi. La porte se refermerait peut-être si je ne saisissais pas l’opportunité. Une fois à Khesa, Avitus reprendrait sa vie et je ne le reverrai peut-être plus jamais. Je devais mettre un pied dans la porte… Mais cela signifiait prendre des risques. Dévoiler mon jeu, c’était m’exposer à une riposte du noble. J’étais à sa merci sur ce bateau, je le serai encore plus une fois le pied à terre. Lui dire la vérité, c’était peut-être m’assurer un aller simple pour la prison sans passer par la case départ. Il pouvait prétendre avoir envie de changer le monde sans tolérer l'extrémisme de l’Etincelle… Nous ne faisions pas de différence entre les bourreaux, qu’ils soient nobles ou roturiers, nous les traitions tous de la même manière. Et nous en faisions autant avec les victimes…

-Non, ça ne donnera rien avec Rune Vestrit… confirmai-je.

Comment cela pourrait-il en être autrement d’un homme qui avait longtemps pratiqué la chasse et la traite des océanides avant d’être duc, et qui pactisait aujourd’hui avec Katherina Sovevna ?

-Mais vous pouvez avoir confiance en ma marraine, Nyx, c’est une sympathisante. Elle m’a aidé hier à remettre une naïade à l’eau, c’est dire… Et Ka’Hauni a adopté une position franche sur la question, les Makani pourraient faire de bons soutiens j’imagine… Sur ces problématique là du moins.

Je n’avais aucune idée de l’état des relations entre les Makani et les Carrery de manière générale. Pour ce qui était des autres maisons ducales en revanche, je n’en savais foutrement rien. S’il y avait de bonnes personnes parmi les maisons nobles, je ne les avais pas rencontrées.

-Capitaine… le retins-je juste avant qu’il n’entreprenne sa descente.

Un pied dans la porte. Je me jetais à l’eau.

-Trouvez Andrasté, dites lui que vous venez de ma part et demandez lui, s’il s’en sent capable, de vous raconter les circonstances de notre rencontre…

Un regard neutre et extérieur, le récit d’une victime qui pourrait apporter un témoignage de ce que l’Arcélia faisait.

-Si après ça vous avez toujours à coeur de collaborer avec moi, nous pourrons discuter en privé… Je connais effectivement du monde, des personnes de confiance qui mettent chaque jour leur vie en jeu pour rendre ce monde meilleur. Je compte rester un moment à Temerys, alors…

Alors je pourrai transmettre des messages et m’impliquer personnellement un peu plus avec Avitus en tant que messagère ou porteuse de projet… S’il le souhaitait, s’il décidait de porter du crédit à mes propositions, s’il ne m’enfermait pas pour piraterie aussitôt que j'aurais posé le pied à terre. Je prenais un risque, mais c’était une constante dans ma vie et l’occasion était bien trop belle pour ne pas la saisir.

-Nous pourrons faire un bout de chemin ensemble. Je suis prête à prendre des risques pour faire avancer les choses et vous avez l’air d’être quelqu’un de bien.

Il avait des moyens que je n’avais pas… Et réciproquement, peut-être. Une tête ne faisait rien sans épée et une épée pouvait difficilement impacter à grande échelle sans le soutien des puissants.

Je descendis à la suite d’Avitus, lentement et prudemment, en réfléchissant au sujet de Fedja. Il était bon de connaître la position de cet homme, mais quelle serait celle de son père ? Rien de bon ne sortirait si le duc de Temerys prenait le parti des Ozova…

Je poussai un soupir de soulagement en sentant enfin le sol sous mes pieds. Bordel de merde, j’étais bien mieux à terre que là-haut ! Ça m'apprendrait à essayer d’impressionner les gens… J’avais dû travailler sur mes faiblesses et faire mes preuves sur l’Arcélia pour être respectée et considérée comme une personne fiable sur laquelle on pouvait s’appuyer. Ce n’était pas si différent ici… Le souvenir que j’allais laisser à ces gens conditionnerait nos futures relations de demain. J’investissais sur le futur, les premières impressions étaient déterminantes.

Je me figeai sous la surprise en entendant les mots d’Avitus soufflés à voix basse. Je ne m’y attendais pas… Peu habituée à de tels compliments, je sentis mes joues rosir et balbutiai un “merci” gêné. Avait-il parlé avec mon père, savait-il quelque chose que j’ignorais ?

Ah, en parlant de Sebastian… Je le vis un peu plus loin et sentit mon coeur tambouriner dangereusement dans ma poitrine.

-Salut papa ! dis-je avec un sourire.

Ça y est, c’était sûr, j’allais me faire démolir… songeai-je résignée. J’avais le coeur léger pourtant. Ma rencontre avec Andrasté et la conversation avec Avitus m’avait fait beaucoup de bien, je me sentais détendue. Si seulement ça pouvait durer…

Je fis quelques pas vers lui.

-La vue est sympa là-haut. Tu es déjà monté ?

J’avais charrié Avitus un peu plus tôt mais je n’avais pas réellement l’intention de reporter la faute sur lui. Ça ne me ressemblerait pas de chercher à fuir mes responsabilités, j’assumais mes actes. Du reste, je doutais que mon père puisse avoir des mots plus tranchants et un comportement plus dur que celui qu’il avait eu la veille… Je préférais ne pas trop y penser. J’avais déjà touché le fond, je ne pouvais que remonter à présent.

-Bien dormi ? demandai-je en scrutant son visage pour y lire son humeur.

Je me mordillai la lèvre, soudain mal à l’aise.

-Maitre Evender va donner une leçon pour euh… Travailler sur les émotions et la respiration… Est-ce que ça te dirait de participer avec moi ?

Une main tendue.

@Avitus Carrery @Sebastian Howard

Codage par Libella sur Graphiorum

Quitter la brume

Alya & Avitus

Il l'écoutait lui parler des relations avec les autres familles avec une naïveté touchante, si touchante qu'il n'eut pas le coeur de lui faire savoir qu'il savait déjà tout ça, qu'il connaissait tout ce monde, pas parfaitement mais suffisamment. La notoriété des Makani à ce sujet était public, et sa belle mère était une Makani. Quand à Nyx Vestrit, ce n'était pas la première fois qu'il entendait parler d'elle, elle serait donc une alliée de taille le jour où il ne resterait que les Vestrit à convaincre. Il lui sourit et acquiesça sans rien dire.

Avant de se lancer de la descente, il fut retenu par la demoiselle qu'il écouta attentivement. Il nota précieusement chaque information. Il était un homme de parole, peut-être qu'elle ne comprenait pas son positionnement, néanmoins il lui prouverait qu'il pourrait être un allié de taille. Et pour sûr, elle avait su capter son attention.

" Je n'y manquerai pas. Et ce serait un honneur de collaborer avec vous, Mademoiselle Howard. " Il l'avait tutoyé jusque là ce n'était pas par manque de respect, mais simplement pour la mettre en l'aise. Il tutoyait la plupart du temps lorsqu'il se retrouvait en tête à tête avec un membre de son équipage ; certains osaient lui rendre la pareille. Maintenant il voulait lui montrer qu'il la prenait au sérieux malgré son jeune âge.

Une fois en bas, il chercha immédiatement Andrasté du regard puis s'assura qu'Alya descende en sécurité à sa suite. Bien sûr, il tomba rapidement nez à nez avec le grand mercenaire qui lui servait de père et il lui sourit.

" Bonjour Sebastian. " Il mit une main sur son épaule et se rapprocha pour lui glisser " Ne lui en voulez pas, c'était mon idée."

Un signe de tête et un sourire et il les laissa entre père et fille, lançant quelques ordres ici et là avant d'aller trouver ce fameux océanide qui avait des choses à lui raconter...

(c) DΛNDELION

Quitter la brume
ft @Alya Howard

Sebastian ne pouvait s’empêcher de ruminer dans son coin, de ressasser tous les événements de ces dernières semaines pour trouver la meilleure attitude à adopter, ce qui n’était pas son point fort. L’absence d’Alya ces 6 dernières années l’avait rendu plus solitaire qu’il ne l’était déjà auparavant et le mercenaire avait broyé du noir en long et large. Pouvait-il accepter de la perdre à cause de la révélation de sa véritable nature ? Ce n’était pas pensable, mais il lui faudrait du temps et de la patience (une qualité qui ne sautait pas aux yeux chez sa fille) pour parvenir à accepter véritablement la situation.

Ses bonnes volontés seraient mises à rudes épreuves, il le savait et lorsqu’il entendit des voix et releva la tête, il comprit que ce n’était qu’un euphémisme… Alya allait lui en faire voir de toutes les couleurs, plus qu’il ne l’imaginait. Le loup blanc se posta en bas, annalysant en détail chacun de ses gestes lors de la descente et hochant la tête, bougon à souhait, lorsqu’elle le salua le rire aux lèvres.

« Bonjour, Capitaine. »

Faisait-elle exprès de le sortir continuellement de sa zone de confort ? Un peu, sans doute.

« Hum..» Ce petit bruit caractéristique à la suite des paroles d’Avitus serait sa seule réponse. Il avait confiance en l’héritier, sans quoi il ne serait pas à bord de ce navire, mais voir sa fille haut perché eparvenait à faire bouillir son sang dans ses veines malgré le vent doux et frais.

« Je vais lui laisser le bénéfice du doute. » Car si Avitus était bel et bien à l’origine de cette requête farfelue et dangereuse, Alya n’avait sûrement pas rechigné longtemps à le suivre. Il soupira lascivement et la regarda la tête légèrement penchée, perplexe.

« Travailler ses émotions et sa respiration ? Crois moi, je m’entraine déjà sur le sujet.» Respirer et contenir ses nerfs, il ne faisait que ça ! A ce stade là, il pourrait même prendre la place et jouer le rôle de professeur ! A nouveau, un long soupir lui échappa. « Tu vois. » dit-il, en s’approchant malgré tout d’Evander.

Faire des efforts. Aider sa fille. Faire des efforts. Aider sa fille.
Il se répétait ces deux choses comme un mantra duquel il ne devait pas se détourner.

« Va pour.. les émotions et … je te suis. Si tu rigoles, je te jette par-dessus bord. » L’idée était presque séduisante, si son coeur ne battait pas si vite à ses côtés, transi d’un amour viscéral.

« Ensuite.. je t’entraine au combat.»

Elle voulait des preuves de son implication ? La certitude qu’il ne la rejetterait pas même avec tous les pouvoirs du monde dans ses veines, elle venait de l’avoir.
Depuis toujours, il avait refusé de la voir manier les armes et avait imploré son épouse de la récupérer lorsqu’elle tentait de se joindre à lui lors de ses entraînements. Cette fois-ci, leurs épées allaient s’affronter.

Quitter la brume

Je haussai les épaules. Le bénéfice du doute, oui. S’il était un homme à qui je n’avais jamais su prouver ma valeur, c’était bien Sebastian. Ce n’était pas faute d’avoir essayé de susciter son intérêt et de vouloir gagner son admiration… Je m’y prenais probablement comme un pied, ou alors les attentes de mon père ne cadraient tout simplement pas avec ma personnalité. C’était la conclusion à laquelle j’avais fini par sauter au fil du temps. Avitus avait tenu parole en se chargeant de la responsabilité. C’était mignon de sa part.

J’arquai un sourcil lorsque mon père prétendit s'entraîner déjà sur la gestion de ses émotions, croyant qu’il refusait ma proposition. Contre toute attente, il accepta, ce qui me surprit très agréablement.

« Va pour.. les émotions et … je te suis. Si tu rigoles, je te jette par-dessus bord. »

Amusée par sa déclaration, un éclat de rire m’échappa et je me tus brusquement en écarquillant les yeux, avant de jeter un rapide coup d’oeil vers le bastingage et de reculer d’un pas ou deux pour m’éloigner de mon père. Juste au cas où…

-Tu veux m’entrainer ?

Et bah mon vieux, il n’aurait fallu que vingt ans, un enlèvement et des disputes monstrueuses pour en arriver là. Trois fois rien !
J’étais bluffée. Il avait vaguement évoqué la question hier, je ne pensais pas qu’il concrétiserait ça si tôt.

-Ok, après on s'entraîne.

Je pressentais que je n'allais pas avoir le temps de m’ennuyer sur ce bateau. Cette perspective s’avérait étonnamment réjouissante…

L'entraînement de maître Evander se fit en deux parties comme l’avait expliqué Avitus. La première moitié fut consacrée à des exercices respiratoires, des séries de mouvements lents… Qui ne manquèrent pas de me faire sourire quelques fois. J’étais touchée que mon père se prête au jeu. Son intérêt et ses efforts aidaient à passer de la pommade sur la scène d’hier.

La seconde partie du cours fut consacrée à la pratique magique, le genre qui ferait fuir mon père en courant en temps normal. La pédagogie d’Evander était très différente de celle d’Emrys. Là où cette dernière m’avait davantage entraînée pour le combat et la survie, Evander cherchait à stimuler la créativité et à développer le ressenti sensoriel. Des disciplines croisées mais qui avaient chacune, de toute évidence, beaucoup à m’apporter.

Je m’accordais une pause après l’heure passée pour recharger mes batteries et m’étirer, allant chipper une bricole à grignoter pour le petit déjeuner en cuisine. Je mourrais de faim.

Je retrouvai mon père un moment après avec un peu plus d’énergie grâce à la nourriture que je venais d’ingurgiter.

-Alors patron, tu veux toujours me taper dessus ?

J’étais étonnamment impatiente de profiter enfin d’un entraînement avec papa… J’en avais longtemps rêvé. J’étais anxieuse aussi, parce que je savais que la paix était souvent de courte durée entre nous et qu’il suffirait peut-être d’un rien pour que tout explose à nouveau. Et si je faisais quelque chose de mal, qu’il vrillait encore une fois ?

Je penchai la tête, curieuse, et lui tendis un gâteau sec.

-Ça va ? m’inquiétai-je.

@Avitus Carrery @Sebastian Howard

Codage par Libella sur Graphiorum

Quitter la brume
ft @Alya Howard

Élève presque assidu, Sebastian se plia aux exercices d’Evander tout en conservant une certaine nonchalance et quelques soupirs qui ne faisaient pas partis de la leçon. Demander à un homme bâti dans la roche et aussi souple qu’un manche à balais de prendre des postures de détente était un spectacle qui ne se reproduirait pas de sitôt, mais il faisait l’effort pour elle, pour Alya qu’il fusillait du regard lorsqu’il voyait ses lèvres frémires d’hilarité en coin.

La seconde partie fut plus éprouvante encore que la première. Les shamans présents à bord de la Vivenef s’entrainaient à façonner leur magie visiblement étroitement liée à leurs émotions. Le mercenaire s’installa au sol, les deux jambes étendues et croisées l’une sur l’autre et resta silencieux. Voir sa fille se servir de ses dons était une épreuve qu’il n’avait jamais envisagée, il n’était pourtant pas le genre d’homme à se laisser surprendre, mais son destin était joueur. Plus rien ne l’étonnait à ce stade. La veille, il avait expressément demandé à Avitus de prendre la demoiselle sous son aile et devait à présent accepter les choses, cet entraînement étrange.

Enfin, il se redressa lorsque la fin du cours fut annoncée. Tous semblaient ravis, lui ne laissait rien transparaître, comme toujours. Un teint pâle, froid comme la glace et des mimiques discrètes pour tenter de ne pas ressembler à un ours en colère, guère plus.

« Tu as encore assez d’énergie ? »

Loin de lui l’envie de la blesser dès sa première leçon. Sebastian avait formé plusieurs mercenaires durant sa carrière, Hawk Svend, notamment et il ne faisait pas dans la dentelle. Sa fille voulait apprendre de lui depuis toujours ? Elle devait se préparer à souffrir en silence tout autant que lui, qui regretterait chacun de ses coups mal placés.

« Ca va.» fut son unique réponse. Aussi bien qu’il le pouvait après tant de révélations. Il n’avait pas encore obtenu le récit complet de son histoire, mais n’était pas prêt à l’entendre si rapidement. Pas après Fedja, après l’annonce de sa magie. Surplombant la demoiselle de plusieurs centimètres, il lui tendit l’une des deux épées taillées dans du bois que le Capitaine avait déniché pour lui.

« On commence avec ça, les lames plus tard. Je ne te ferai pas de cadeaux Alya..» Sa voix s’essoufla sur les derniers mots, mais il devait la préparer. La savoir prête à se jeter dans l’arène en cas d’attaque dans l’Archipel lui tordait l’estomac, elle devait être prête à se défendre avec toutes les armes à sa disposition.

« Commence déjà par me montrer comment tu t’en sors. »

Il l’avait vu à l'œuvre sur la place de shova et savait déjà que sa fille était douée et entraînée, mais il avait tout de même 20 ans de carrière et reçut un entraînement militaire plus rude que la moyenne. Il partagerait son expérience à la jolie blonde. Les pieds stables, il redressa son épée face à lui pour lancer le premier duel, un test. Les coups s’enchainèrent rapidement, elle était vive, mais manquait encore d’anticipation. Pour son âge et son gabarit, cette jeune fille était bluffante. Malgré tout, après quelques pivots d’un côté puis d’un autre, des places inversées et diverses tentatives de rapprochement, l’épée du loup blanc frappa le flanc droit d’Alya, laissé ouvert aux attaques une seconde de trop.

« Ne laisse aucune ouverture, rapproche tes coudes. Face à un homme entraîné, tu ne peux gagner qu’en étant plus rapide. Ton agilité doit passer avant la force, les lames sont tranchantes, ne gaspille pas ton énergie en mettant de la puissante dans tes défenses. » Parer, se faufiler, frapper. Un mantra qu’il lui répèterait inlassablement jusqu’à ce que son corps maigrichon dégouline de sueur.

« On reprend. » A nouveau, il se positionna face à elle sans lui laisser le temps de reprendre sa respiration.