Je t'attends sur la vague

Rhyse était parti depuis quelques jours. Où ? Il n’avait pas jugé bon de l’en informer, elle n’avait pas demandé non plus, trop abasourdie par leur dernière discussion.

Il avait dit que durant son absence, tout le monde était libre, sous-entendu de se la couler douce. La sirène n’en avait pas l’intention, bien au contraire. Elle continuait de s’entraîner à nager, apprenait à se battre avec Scylla et pratiquait diverses activités avec tous les océanides qu’elle croisait. Elle était toujours étroitement observée par tous mais l’absence de Rhyse se ressentait déjà. Heiura se détendait et s’acclimatait. Elle avait eu plus de facilités avec les plus jeunes d’abord, quelques adolescents qui voulaient utiliser leur pouvoir comme elle l’avait fait. Elle les incitait à nager, à ne faire qu’un avec cet océan qui était leur véritable demeure.

Bref, elle était en train de faire sa place et comptait bien surprendre le propriétaire des lieux, au point qu’il se demanderait peut-être s’il l’était toujours. Qui sait. Mais elle devait travailler sur elle, pour qu’il cesse de la comparer à une enfant. Pour que plus personne ne la regarde comme une victime. Et pour ça, il se trouvait qu’elle connaissait quelqu’un sur cette île qui était parfaitement indiquée pour l’aider.

Heiura avait peu d'informations sur la personne en question, néanmoins elle savait qu’elle était maline et bien renseignée. Elle imaginait qu’en la cherchant, l’intéressée finirait par le savoir et venir la trouver. Ainsi tous les jours elle allait en ville et demandait des renseignements sur une certaine Cyara, belle et élégante brune au caractère difficile. Quelqu’un dans cette ville finirait bien par lui dire que quelqu’un la cherchait, c’était Feyr, pas Oshaara, ni Temerys.

On te cherche. Son père lui avait annoncé la nouvelle. Son père. Cyara n’aimait pas cela. Déjà Casteel, maintenant ça ? Feyr était supposé être son hâvre de paix, là où elle pouvait se reposer, vendre ses bijoux avant de repartir en mission. Celle que lui avait confié Rhyse restait dans un coin de sa tête, le départ était imminent. Pourtant, Cyara avait déjà commencé son travail. Les contacts ne manquaient pas à Feyr. Elle avait l’habitude de chercher les autres, de les débusquer là où ils se cachaient - mais rarement l’inverse se produisait. Elle ne prenait pas cela comme une bonne nouvelle. Les potentiels clients savaient comment la joindre et errer dans les rues de pierre de Feyr pour cela en questionnant les habitants sur sa présence ou non ne faisait pas partie du protocole.

Bien sûr, elle se méfia. À son tour, elle se mit à la recherche de cette personne qui voulait la voir, questionna les habitants qui l’avaient croisé et chercha à savoir ce qu’elle lui voulait. Elle apprit bien vite qu’il s’agissait d’une femme et pensa d’abord à une question d’adultère, de preuves à fournir et de mystère à résoudre. Finalement, on lui indiqua qu’elle avait été aperçu près du port.

Elle attendit quelques jours avant de se faire connaître d’Heiura. Après s’être rendue compte qu’elle était la personne qui la recherchait aussi activement, Cyara avait passé plusieurs heures à l’observer en catimini. Son point fort. Que lui voulait-elle ? Parler de Sebastian ? D’Alya ? Y avait-il un problème avec l’un d’eux ? Forcément, la Shaman s’interrogeait. Préférant rester sur ses gardes, elle l’aborda en fin de journée, à la porte d’entrée de la ville. L’air frais de Feyr et son vent sauraient décourager les plus frileux et leur apporter un peu d’intimité. Et plutôt que de se faire débusquer, elle la débusqua. Elle pensa que c’était probablement ce qu’attendait Heiura d’elle et que, si piège il y avait, elle risquait de tomber dedans. Le risque faisant partie de son métier, elle y sauta même à pieds joints.

« Bonsoir, Heiura. Le bruit court à Feyr que tu me cherches ? Que me vaut cet honneur ? »

Elle ne mentionna pas Sebastian tout de suite. Si ce nom devait être prononcé, elle préférait que cela vienne de l’Océanide et non d’elle.

Le plan a-t-il complètement échoué ou bien Cyara se fait désirer volontairement ? Heiura ne sait plus. Les jours passent, elle continue de la demander un peu partout, de s’entraîner, allant et venant du moonshiner telle une véritable habituée. Et puis, enfin, alors qu’elle faisait un tour au port, Cyara la débusque.

D’un bon athlétique, elle apparaît les deux pieds au sol sur sa route. Une simple balade pour passer le temps. La brune n’a pas changé, toujours aussi belle, toujours aussi… Elle-même.

« Bonsoir, Cyara de Feyr. Je suis contente que tu sois là. »

La sirène ignore que la shaman connaît déjà l’héritier océanide, mais ce n’est pas si important, pas pour ce qu’elle veut lui demander. Et maintenant qu’elle est là face à Cyara et ses airs féroces, elle se sent bien bête. Elle va l’envoyer chier, c’est sûr. Mais elle ne le montre pas, elle garde la tête haute, le menton fier. Elle a changé Heiura depuis Oshaara, cela se voit mais pas encore assez. Et c’est bien là tout le problème.

« J’ai un service à te demander. Quelque chose qui entre dans tes compétences, je suis sûre. Je veux avoir l’air différente, je ne veux plus ressembler à une gamine ou à une victime. Est-ce que tu voudrais bien m’aider ? »

Tic. Tac. Tic. Tac.
Est-ce qu’elle va l’envoyer chier, lui rire au nez ou est-ce qu’elle va considérer la possibilité de l’aider ? Et à quel prix ?

Je veux avoir l’air d’une Reine, qu’elle se garde bien d’ajouter.


« Je me sens plus forte, maintenant je veux que cela se voit de l'extérieur. »

Contente ? L’adjectif la dérouta. Elle n’aurait jamais pensé que l’Océanide puisse être “contente” de la revoir étant donné leur dernière altercation. De nombreuses questions accompagnent cette entrevue et Cyara doit se retenir de les poser les unes après les autres sans pause. A la place, elle observa Heiura. L’éclat dans son regard était différent de la dernière qu’elle l’avait vu mais en même temps... eh bien... Elle était dans un piteux état la dernière fois. Et elle avait tué un homme. Patiente - ou du moins elle s’efforçait de l’être au mieux - la Shaman la laissa s’exprimer tout en restant sur ses gardes. Derrière Heiura se trouvait une vaste étendue d’eau qui était plus son élément que le sien... Même si elle connaissait Feyr sur le bout des doigts, elle ne se trouvait pas forcément en position de supériorité.

La demande était incongrue. Pendant un instant, Cyara pensa qu’elle se fichait d’elle. De quoi parlait-on au juste ? De beauté ? De santé ? Savait-elle qu’avec ses pouvoirs, elle ne pouvait arranger sa chair ? Elle garda le silence quelques instants, incertaine de la façon dont elle devait prendre cette demande. Une blague ? Sérieuse ?

« Je ne suis pas sûre de comprendre et crois-moi, cela n’arrive que rarement. Si rarement que je suis un peu dépitée de devoir te demander des informations supplémentaires sur ce que tu recherches. »

Cyara fit néanmoins un pas en avant vers Heiura, ne craignant pas qu’elle fusse là pour l’attaquer. Si tel était le cas, elle s’y serait sûrement prise autrement ! Néanmoins, ses intentions restaient peu claires à ses yeux. Ne s’agissait-il ici que de... vanité ?

« Me parles-tu uniquement d’apparence ? Car si je peux te conseiller sur ta personnalité, je ne peux pas la changer pour toi. Quand à la beauté physique... » Elle la détailla de haut en bas. « Je ne saurais modifier la structure de ton corps mais certains produits peuvent souligner tes avantages. Est-ce cela que tu recherches ? »

Décidemment, Heiura et Cyara n’étaient pas faites pour s’entendre, ou du moins, elles avaient de sérieuses difficultés à se comprendre. Mais la sirène ne comptait pas se laisser démonter, elle avait besoin de Cyara qui était parfaitement qualifiée pour cette tâche alors elle prendrait sur elle.

« Je dirais qu’entre nous, ce n’est pas si rare. Mais ce n’est pas grave, ce n’est rien qui ne puisse se régler avec un peu de patience et de bienveillance. »

Et Cyara n’en était pas dépourvue, de ce qu’elle avait vu. Il fallait juste arriver à gagner son intérêt, ce qui était déjà plus incertain. Elle la laissa poser ses questions, se retrouvant vite avec les deux sourcils levés et un air totalement médusé.

« Je suis une sirène, je suis la définition même de la beauté, qu’elle commença, un peu bougon, avant de relever le menton, de prendre une inspiration et de poursuivre. Je parle bien d’apparences, oui. Ce qui fait que les gens te regardent et pensent déjà des choses sur toi alors qu’ils ne te connaissent pas. Et j’en ai assez de lire dans leurs yeux “pauvre petite Heiura, elle est si jeune et a vécu tant de malheurs !” Je veux inspirer autre chose, comme de la puissance ! Je suis de lignée royale, je serais une princesse si notre peuple n’avait pas été trahi et décimé, et je veux en avoir l’air. Est-ce que c'est plus clair comme ça ? »
Pas juste d’une princesse, je veux avoir l’air d’une Reine. En ces temps difficiles, une princesse océanide devait surtout avoir l’air dangereuse et forte, et non simplement se contenter de porter des belles robes.
Bien sûr, il s’agissait surtout du regard de Rhyse qui l’intéressait, mais cela ne pourrait que lui servir de façon plus globale, et pour elle-même.

Elle fit également un pas vers la shaman, souleva un peu sa jupe sur le côté, puis ses cheveux pour lui montrer.

« Je sais que je ne peux pas tout changer, que j’ai encore du travail à faire sur moi. Mais ce n’est pas dans une petite robe comme ça et avec les cheveux en bataille que je ferais sensation, ni que j’arriverais à me convaincre moi-même. Seulement, je suis une fille de l’océan, Cyara, j’ai grandi à Ka’hauni, passé cinq ans dans une cage… Je ne connais pas bien votre monde. N’importe quel bout de tissu me suffit, quand je préfère encore ne rien porter du tout.
Je n’ai pas tes goûts, ni même ton regard acéré.

Dis-moi ton prix, et aide-moi, s’il-te-plait. »

Ce n’était pas une demande très difficile, mais est-ce que Cyara y trouverait son compte ? Heiura l’ignorait. Elle trouverait quelqu'un d'autre s'il le fallait, à regret. Car Cyara ne craindrait jamais de la blesser ou de la contrarié, elle serait toujours bien trop franche.

Patience et bienveillance, bah bien sûr... Cyara pencha légèrement la tête sur le côté, l’air de dire “tu te fous de moi là c’est ça ?” S’il y avait bien deux adjectifs qui ne la décrivaient pas, c’étaient ceux-là. Bien que la patience fusse une vertue dont elle savait faire usage lors de ses missions, elle n’en montrait que rarement dans ses relations aux autres. Encore moins avec Heiura, dont elle connaissait le potentiel danger.

Alors à son tour, elle invectiva. Elle se montra franche, même un poil trop, et fit des commentaires qui ne plurent pas. Evidemment que la sirène, de pas sa nature, était belle. Aucun homme ne saurait remettre cet état de fait en question. Pour Cyara, néanmoins, la beauté ne s’arrêtait pas là. Elle avait vu son visage hideux et ne s’arrêtait guère à cette surface plaisante.

« Si tel est le cas, on se demande ce que tu fais ici... » marmonna la Shaman en levant les yeux au ciel.

Elle-même faisait preuve de beaucoup de narcissisme durant certaines périodes, mais rien qui ne saurait égaler l’image que les sirènes possédaient d’elles-mêmes. De quoi se noyer dans un cours d’eau. Heiura parvint néanmoins à se faire un peu plus claire dans ses volontés ce qui ne tarda pas à la mettre sur la bonne voie. La beauté, ça elle avait. Mais le charisme ? C’était autre chose. Il en fallait beaucoup pour séduire un homme et peu importent les raisons conduisant la volonté de l’Océanide, elle trouvait fascinant cette envie de pouvoir. De force. Cyara avait dû l’apprendre seule, par la force des choses. Qu’est-ce que cela donnerait si elle insufflait ce magnétisme à une sirène ?

Bientôt, Heiura prononça les mots qui intéressaient le plus la Shaman. Le prix à payer pour son service. Et avant même qu’elle n’ait fini sa petite plaidoirie, la demoiselle de Feyr savait exactement ce qu’elle allait exiger de l’Océanide. Suite à son entretien avec Rhyse, Cyara était sur le point de se lancer dans une aventure quelque peu risquée. Tous les avantages étaient bons à prendre

« Très bien. J’ai saisi ce que tu voulais et je cerne un peu mieux mon champ d’action. J’accepte de t’aider. Quand à mon prix... »

À son tour, elle fit un pas en direction d’Heiura, faisait fit de sa jupe démodée et de ses cheveux en broussaille qui sentaient l’eau de mer. De là où elle était, elle pouvait aisément deviner la corrosion du sel sur la pauvre fibre de ses cheveux.

« Tu me devras un service. N’importe lequel. Je ne sais pas quand je t’en ferai la demande, mais il arrivera un jour où tu devras - sans me poser plus de questions - accepter de me faire une faveur. Acceptes-tu ces termes ? »

Elle savait l’échange risqué. À sa place, il faudrait qu’elle soit réellement désespérée pour accepter un tel contrat. Mais elle devinait dans le regard de la jeune femme que cette volonté de gagner en charisme et en beauté ne découlait pas d’une décision prise à la va-vite. Elle espérait en tirer le plus gros avantage.