Une main tendue...

Une main tendue…

25 AP BDA – Trois mois après la disparition de son équipage

Il avait quitté Kelona en désespoir de cause. La pitié et la tristesse qu’il lisait dans leurs regards avaient fini par avoir raison de lui et il avait fui, craignant d’être terrassé et de ne jamais pouvoir se relever. Un matin, après avoir embrassé Scarlett et Humphrey, Isaac, son maigre baluchon en travers des épaules était retourné au port, pour embarquer sur le premier navire venu. Au bord de la nausée, alors que le bâtiment quittait la rade, il était resté agrippé au bastingage, un temps qui lui échappa complètement. La sensation était étrange que de naviguer sur un bateau étranger, mais la chanson de l’Océan l’apaisa quelque peu. Il n’avait aucune idée de la destination qu’il rejoindrait bientôt, mais peu importait, s’éloigner de Kelona était une question de survie.

Il avait atterri dans un village assez conséquent bordant les rives de la mer du Sud et un peu désœuvré, s’était transformé en pauvre erre. Bientôt, il devint plus qu’évident de trouver une source de revenu et il offrit ses services à droite et à gauche. Malheureusement, il ne restait pas grand-chose à la nuit tombée, une fois qu’il eut cuvé son vin et on ne tarda pas à s’amuser de cet homme en perdition et à fleur de peau. Ce soir-là, une énième bagarre éclata dans la taverne. Isaac avait vu grand et se trouvait face à trois hommes, bien chauds à l’idée d’en découdre. La rage au ventre, mais l’esprit déjà bien embrumé, le pirate les toisait d’un regard mauvais. Ni une ni deux, il se rua sur le plus proche qui surprit de sa vélocité malgré son état, se mangea un poing dans le sternum puis en pleine face. Il se retrouva allongé au sol, ko. Un de moins, un large sourire goguenard se dessina sur les lèvres d’Isaac, qui se transforma en grimace quand l’un de ses assaillants le plaqua au sol. Du coin de l’œil, il vit un quatrième larron entré dans la danse, pas bon, mais il n’était plus en état d’arrêter quoi que ce soit.

Se tortillant sous la masse, il parvint à dégager ses mains et les claqua sur les oreilles de l’homme, pas assez fort, de toute évidence. Son adversaire grogna redressant le torse pour se retrouver à genoux et Isaac en profita pour lui broyer les bijoux de famille. L’homme s’effondra avec un râle de douleur, lui bloquant les jambes, temporairement. Le pirate roula de côté avant de sentir une chaussure s’enfoncer dans son dos, lui coupant le souffle. Juste le temps de se recroqueviller et les coups se mirent à pleuvoir autant que les insultes. Animal furieux et acculé, Isaac se débattait comme un beau diable avec tout ce qui lui tombait sous la main, notamment un tesson de bouteille qui vint lacérer le mollet d’un de ses assaillants.

- Ça suffit, foutez-lui la paix ! Mettez le dehors maintenant et vous restez ici !

Le tavernier avait sorti un pistolet à silex et le pointait sur les assaillants. Les mains levées, ils obtempérèrent et Isaac se sentit soulevé. Quelques mètres plus loin, il heurta le sol sableux dans un grognement. Sonné, il tenta de se relever, mais sans grand succès. Il avait le visage en sang, un œil quasiment fermé et une arcade ouverte. Son corps ne tarderait pas à se couvrir d’hématomes, mais sa musculature lui avait épargné des blessures trop graves. Une quinte de toux le prix et il cracha du sang, finissant par rouler sur le dos pour reprendre ses esprits. L’air frais le saisit et lui fit du bien, calmant un peu sa colère.

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Le cul vissé sur une chaise, Aes est morose, sa sœur obnubile toutes ses pensées et aucune n'est plus joyeuses ou satisfaisantes que l'autre. C'est pénible. Parfois, il arrive à oublier le manque, quand les embruns éclatent contre le bateau, contre le New Calypso, quand la barre est entre ses mains et qu'il laisse les vents s'engouffrer dans ses boucles, quand l'équipage bavasse de tout et de rien.

Mais là, dans cette taverne, il n'y a rien de tout ça. Le rhum est faible, aucune fenêtre pour le vent et une fatigue apathique tenace.

Quand aux conversations... Il n'y a finalement que des cris d'ivrognes et des rires gras de joueurs. Si Aes a un certain dégoût pour la deuxième catégorie, il n'a pas beaucoup plus d'affection pour la première. Mais les joueurs, non, définitivement, c'est rédhibitoire. Son joueur de père qui a abandonné sa jumelle a su le dégoutter à vie. Grande prouesse, il faut bien l'avouer.

Alors, là, présentement, le navigateur du New Calypso s'ennuie ferme. Tout les autres ont du finir dans un quelconque bordel... Quel tristesse.

Il n'y a que son rhum et sa mélancolie.

Jusqu'à ce qu'une bataille éclate.

Très bien, ça le divertira avant d'aller se coucher. Tranquillement, il se tourne et s'adosse au bar, coudes posés sur le comptoir. Il a une vu imprenable.

Un contre quatre ? Mauvais choix. Et ce n'est pas lui qui se jettera dans la bataille à la défense d'un vinassé qui a besoin de se faire valoir.

Même si, il faut bien avouer... Il se bat bien. Très bien même. Aes en est impressionné... Lui qui n'est pas facilement impressionnable. C'est un exploit.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et le nombre fini par gagner sur le talent.

D'un regard un peu morne, un peu absent, il suit des yeux le convoie chassé par le tavernier qui semble ne pas être le genre d'homme à qui il faut dire non.

Aes se replace donc tranquillement face à son vers sans saveur et l'abandonne sans état d'âme au final. L'extérieur lui fera plus de bien, un peu de vent sur son visage chassera peut-être ses nuages.

Il abandonne quelques nodos sur le comptoir et surtout son verre pas vide avant de prendre la porte.

L'air est frais, ça lui fait du bien, il s'en emplis les poumons le plus possible... Avant d'entendre une toux qui n'est pas la sienne.

Lentement, il se retourne et son regard céruléen se pose sur la silhouette au sol.

Aes l'observe avec attention. Il a prit cher, vraiment... Le nombre gagne quasiment tout le temps, on ne peut pas le nier.

-Bien que vous vous êtes bien battu, votre défaite était inévitable. Je me demande encore ce qu'il vous a prit.

Sa voix fait plus intriguée qu'hautaine... Bien que ses mots ne reflètent pas vraiment cette réalité.

Il reste encore quelques secondes à le détailler silencieusement avant de lui tendre la main.

-Vous pouvez la refuser mais je pense que je serais bien la seule aide que vous pourrez vous trouver ce soir. Mais je vous pris de ne pas me vomir dessus, l'outre à vin que vous êtes a été beaucoup secouée.

Une main tendue…

Isaac se sentait étrangement bien, pour l’instant. Encore trop imbibé d’alcool, il accusait les coups sans vraiment ressentir de douleur, mais ce n’était qu’illusion. Bientôt, il le savait, il allait dérouiller vu la raclée qu’il avait prise. Son œil, encore valide, perdu dans les étoiles, il respira d’abord difficilement, puis de plus en plus profondément. Le bougre souriait, sa béatitude fut cependant bien vite interrompue.

- Bien que vous vous êtes bien battu, votre défaite était inévitable. Je me demande encore ce qu'il vous a pris.

Une voix surgit de nulle part, le ramena dare-dare à la réalité et Isaac grommela. Il voulut tourner la tête et se ravisa lorsque la nausée manqua le submerger. Des relents acides brûlaient son œsophage, il fallait qu’il s’assoie.

- Ça ne te concerne en rien…

Tutoiement direct, ce n’était nullement un moment favorable aux courbettes. Tentant sa chance une seconde fois, il tourna la tête vers son interlocuteur et resta un moment muet, le détaillant. À vrai dire, il ne s’attendait pas à ça, mais à quoi pouvait-il bien s’attendre ? L’homme avait un visage très harmonieux, dont il aurait été incapable de dire la couleur des yeux avec cette fichue obscurité. Il le trouvait beau et étouffa un rire à ce constat.

- Vous pouvez la refuser, mais je pense que je serais bien la seule aide que vous pourrez vous trouver ce soir. Mais je vous prie de ne pas me vomir dessus, l'outre à vin que vous êtes a été beaucoup secouée.

L’œil d’Isaac se ferma alors qu’il haussait les sourcils. Ce gars-là n’avait pas tort, si dans la journée, il savait qui allait voir, quoi faire, la nuit… La nuit, c’était une tout autre histoire et il déglutit. Alors sans réfléchir, il saisit la main tendue et frissonna sous sa chaleur. Une fois assis, il eut tout juste le temps de se tourner de côté avant que son sac digestif ne s’épanchât une première fois. Soulagé, il prit sa tête entre ses mains et marmonna un merci.

- Morbleu… Ils m’ont même pris ça les rats des cales…

Il partit dans un grand éclat de rire qui manqua le faire s’étouffer. Isaac se plia en deux, sous la nouvelle quinte de toux et peina à reprendre sa respiration. Il fit signe au bon samaritain que tout était ok, enfin sauf les soins dont il allait avoir besoin.

- T’es qui toi ? On se connaît ?

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Il ne le juge pas, il a l'habitude avec l'équipage du New Calypso. Ils sont aussi vacillants que la houle en temps fort.

Tant qu'on ne lui vomis pas dessus. Oh, ils ont bien comprit les matelot, qu'il ne faut pas l'approcher quand on est arrivé à maturation. Jamais.

Pourtant, l'inconnu défiguré au sol, il ne le quitte pas des yeux. Il se demande s'il n'y a pas quelque chose de beau sous cet oeil boursouflé. Mais la pénombre et le sang qui macule son visage n'aide pas. C'est bien dommage.

Et oui, tout ça ne le regarde en rien.

Mais c'est lui qui est penché au dessus de l'outre avinée étalé sur la chaussée. Alors pourquoi est ce que ça ne le regarderait pas un petit peu ?

Il n'y a personne d'autre ici pour l'aider après tout. Donc autant que ça le regarde un minimum.

Après, il peut toujours le laisser là, il sera tranquille, avec les mouettes et autres oiseaux. Peut-être qu'avec un petit peu de chance, s'il dort là, il aura encore des vêtements propres au petit matin. Ca serait une prouesse.

Mais ça, ce n'est pas le problème d'Aes. Lui, il dormira dans un lit, sous une couette chaude, l'estomac en bon état et le corps propre. Tout l’inverse de l'inconnu alcoolisé allongé à ses pieds.

Inconnu qui, finalement, décide de prendre sa main tendue.

C'est étrange... C'est une sensation agréable...C'est chaud et sa main s’emboîte joliment dans la sienne... Comme dans les romans.

Quelle idée ! Le rhum a du lui monter aussi à la tête, il ne voit que ça.

Il le tire en position assise et s'installe à ses côtés... Avant de presque le regretter. Heureusement que l'inconnu à le bon sens de se tourner de l'autre côté. Tout discussion aurait été impossible sinon, Aes se serait levé, débarrassé de sa chemise souillée et aurait juste disparu.

-Bien visé.

Merci ? Merci pour quoi ? Pour l'avoir redressé trop franchement et secoué son estomac ? Et bien... De rien ? Ca lui fait plaisir.

Ses jambes se croisent sous lui, il s'appuie nonchalamment, les mains croisées derrière sa tête, contre le tonneau qui traîne dans son dos.

Quand l'autre reprend la parole, Aes a un petit haussement d'épaules.

-Prit quoi ? Votre dignité ? Oui, effectivement, ils ont fuit avec.

Mais le navigateur n'est pas sûr qu'il en avait beaucoup initialement. Rien qu'à le voir rire et s'étouffer.

Un instant, Aes se redresse, inquiet. Les toux interminable, il connaît que trop bien. Il a un mouvement vers l'inconnu qui finalement se redresse et lui fait signe que tout va bien.

Bon... S'il le dit. La pirate se réinstalle contre son baril, de nouveau décontracté. Ca le regarde pas au fond.

Mais il restera attentif.

Jusqu'à ce qu'on l'interroge, un peu abruptement.

-Non. On ne se connaît pas. Et mon nom ne vous dira rien.

Il lui jette un œil et un petit sourire vient jouer sur ses lèvres.

-Mais je considérerais peut-être à vous le donner si vous me glissez le vôtre.

C'est donnant-donnant. Il ne va pas offrir son identité sans contrepartie.

-Vous devriez boire de l'eau pour éviter la migraine demain.

Simple conseil.

Une main tendue…

Son rire se calmant un peu, il suivit le mouvement de l’homme du coin de l’œil. Contre toute attente, il prit place assise à ses côtés. C’était louche, forcément et Isaac se tendit imperceptiblement. Sur ses gardes, encore prêt à en découdre, il fut déconcerté par sa réflexion.

- Ma dignité ?

Et le voilà à rigoler de nouveau, sans s’étouffer cette fois-ci.

- Non, je parlais du rhum qui vient d’arroser copieusement le sable…

Il était ivre, mais chose surprenante, sa locution était intacte et lui à nouveau détendu. Le maelström qui le gouvernait n’aidait en rien les vertiges qui le faisaient dodeliner, mais c’était autre chose qui accaparait son attention. À travers ses vêtements, il pouvait sentir la chaleur du corps de l’homme à ses côtés et cela déversait en lui, une sensation de bien-être. Son œil valide se ferma, mauvaise idée, il le rouvrit aussitôt et déglutit, un rictus étirant ses lèvres. L’homme était bienveillant mais méfiant, Isaac lui, plein comme une outre, autant dire que les filtres étaient oubliés.

- Je m’appelle Isaac, Isaac Mistwhale.

Sa main droite vint se poser sur son bras gauche, à l’endroit où se trouvait son tatouage. Le Symbole de sa famille, de ce qu’il était. Son ventre se noua et Isaac grinça des dents. Mordiable, il devait se reprendre, c’était hors de question de se laisser aller devant cet homme. Même, si honnêtement, c’était déjà bien le cas… Il tourna la tête vers lui et l’observa en silence. Une expression douce passa sur son visage.

- T’es un gentil toi… C’est quoi l’entourloupe… ?

L’amabilité et la confiance d’Isaac avaient été mises à mal depuis quelques mois, plus habitué qu’il était à ce qu’on soit correct avec lui, mais la mention de l’eau lui fit se rendre compte, qu’il était effectivement assoiffé. Posant une main sur l’épaule de l’homme, sans se gêner et l’autre devant lui, il fit une première tentative pour se lever. Échec critique et nouveau rejet. En soupirant, la gorge en feu, il essuya sa bouche du revers de sa manche.

- J’ai soif...

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Ah. Un rire sans toux. Il y a du progrès, c'est pas mal ça. On pourrait presque faire quelque chose de lui.

Aes lui jette un œil en coin et à un léger sourire en l'entendant parler du rhum.

-... Effectivement, ils ont aussi prit ça.

Mais quand même... La dignité plus que le reste. Pauvre rhum.

…

Pauvre sable.

Pauvre gars aussi, tout vacillant, tout dodelinant.

-Isaac...

Il fait mine de réfléchir, juste pour le plaisir. Il fronce les sourcils, fouillent dans ses souvenirs.

-Isaac... Isaaaaac.... ?

Ses doigts se posent sur ses lèvres qui se pincent. Il prend son air le plus concentré possible... Le plus caricatural possible aussi...

-Non, ça ne me dit rien.

Évidemment, que ça ne lui dit rien. Il le savait déjà, il l'avait même dit... mais ce petit moment l'à amusé. Peut-être que le fameux Isaac se serait même endormi pendant qu'il faisait son petit jeu. Tant pis, c'est pas grave.

Mais finalement, il reprend la parole.

Ah oui ? Gentil ?

-L'entourloupe ?

Le sourire d'Aes se fait un petit peu plus marqué.

-C'est vrai que j'ai l'air gentil, pourtant...

Du bout des doigts, il caresse le pommeau de son sabre.

-Je suis pirate. Un humble pilleur des océans.

L'entourloupe ceci dit... Oui, peut-être qu'il y en aura une... Oh... Il n'est qu'un pirate après tout.

-Il y aura sûrement quelque chose contre cette précieuse et apparente gentillesse maintenant que vous me le faites remarquer. Mais je vais être intelligent, et vous en parler quand vous serez sobre... Si c'est un état que vous connaissez, évidemment.

Il plante son regard azur dans l'oeil valide de son interlocuteur.

La man qui se pose sur l'épaule d'Aes le surprend, la pression qui est placée dessus aussi. Surtout que le résultat est vraiment pas concluant.

-Effectivement, vous devez être assoiffé. Rassurez moi, ce n'est pas du rhum, que vous souhaitez ?

Doucement, le navigateur décroche une flasque de sa ceinture et la sent avant de la tendre à Isaac. S'il veut vraiment de l'alcool, il sera déçu.

Une main tendue…

Son mystérieux bienfaiteur ne perdait pas le Nord. Gentil, taquin et intelligent, voilà une rencontre pour le moins apaisante et amusante, ce qui était plutôt rassurant au vu de son état. La tête tournée vers son interlocuteur, il avait bu ses paroles tout en l’observant avec minutie, enfin, autant qu’il le pouvait. Alors qu’il répétait son prénom, Isaac eut un petit rire moqueur qui mourut brusquement devant ses lèvres pincées. Un long soupir lui échappa et il préféra reporter son attention sur les étoiles. Se lever devenait primordial, cette idée envahissant son esprit puis tout son être. Il allait vraiment falloir bouger d’ici, il n’était que trop exposé ainsi. Son visage se fronça, tant il lui était difficile d’alimenter sa lucidité. Saisissant le mouvement du coin de l’œil, il pivota sa tête de nouveau vers l’homme. Avant de tomber nez à nez avec une flasque. Isaac tenta de mettre un peu d’ordre dans ses pensées, tout se bousculait, changeait d’ordre à sa guise. Plonger la tête dans un tonneau d’eau, voilà ce qu’il lui fallait. Allait-il seulement conserver un souvenir clair de cette situation à son réveil ? Rien n’était moins sûr…

Par réflexe, plus que par politesse, Isaac prit la flasque et la renifla avant de regarder son « sauveur », un air faussement suspicieux sur son visage meurtri.

- Crois-tu vraiment que je vais boire là-dedans après ce que tu viens de dire ? Pirate !

Il lui redonna la flasque avec un large sourire et se redressant un peu, il observa les alentours.

- Tu ne sais pas ce que tu veux hein ! Tu m’as dit qu’il fallait que je boive de l’eau… Et le pire, c’est que tu as parfaitement raison !

Et le voilà de nouveau qui rigolait sans trop savoir pourquoi, enfin si peut-être, quoique. Il fit une seconde tentative pour se lever, se mettant d’abord à genoux afin de se stabiliser un minimum. Autant dire que son corps défait se rappela à lui et Isaac dut serrer les dents, échappant un léger râle de douleur. La chose faite, comme un enfant apprenant à conserver l’équilibre pour marcher, il se leva, vacillant dangereusement, mais tint bon sur ses jambes, trouvant un point d’appui sur le tonneau servant de dossier à son compagnon du soir. Il se pencha légèrement vers lui.

- Je suis persuadé que tu es un gentil toi ! Mais tu as failli à ta parole !

Isaac l’invita à se lever, ne voulant pas rester seul au final.

- Aide-moi à trouver de l’eau fraîche et peut-être que je me montrerai magnanime…

Un sourire malicieux dansait sur ses lèvres maintenant et il attendit sagement que son compagnon soit debout. Il aurait très certainement besoin de lui pour maintenir le cap, qui plus est, il accusait la douleur qui s’installait, sournoisement.

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La flasque disparaît de ses doigts et un instant, Aes se demande s'il va regretter ce prêt. Il a toujours deux flasques avec lui, accrochées à sa ceinture. De l'eau et du rhum, paré pour toutes les occasions.

-Je crois que vous êtes quelqu'un d'aventureux, Isaac.

Il lève légèrement un sourcil, grandement amusé. Sa flasque revient dans ses mains et il la porte immédiatement à ses lèvres pour s'en délecter. Elle est fraîche, c'est agréable.

Son interlocuteur se redresse pour observer... Un truc qu'Aes ne voit pas. La rue est vide, les seuls bruits sont ceux de la taverne et des embruns, un petit peu plus loin.

Un instant, le navigateur savoure le vent du sud qui lui apporte une odeur iodé et chasse les effluves d'alcool qui traînent dans les environs. Et l'autre reprend la parole.

-Je ne sais pas ce que je veux ? Je vous propose de l'eau claire, vous la refusez, je vous serais gré de ne pas rejeter la faute sur moi. Et de savourer votre gueule de bois et la migraine qui l'accompagne en pensant à moi au lever du jour.

Doucement, il minaude avec amusement.

Et avec plus d'amusement, il regarde son interlocuteur vaseux et alcooliser tenter de se remettre maladroitement debout. D'abord à genoux, lentement, puis debout... Vacillant. Est ce qu'il va réussir à tenir debout ? Est ce qu'Aes va rire ? Tout reste à voir... Mais dans tout les cas, le navigateur savoure le spectacle.

Il le juge un petit peu même, le pauvre Isaac. Dans tout les cas, il s'amuse beaucoup.

Relevant la tête, il pose les yeux sur son interlocuteur qui le surplombe en s'appuyant sur son tonneau. Enfin, un vrai sourire joue sur ses lèvres.

Peut-être que sans son visage tuméfié et l'alcool qui remplace son sang, Aes aurait pu le trouver séduisant...

C'est hautement probable même...

-A quel moment ai-je failli à ma parole, je vous prie ?

Oh non, Aes n'est certainement pas un gentil, il a été un peu trop tabassé par ceux qui devaient le protéger pour juste se laisser aller à la confiance et à l'empathie. La douceur peut être là et déjà, c'est un exploit.

Tout ça se mérite.

Il se remet pourtant debout, il a bien envie de savoir comment cette soirée va se terminer... Isaac l'intrigue et l'amuse, il ne passera pas à côté.

-Vous refusez mon eau, un accès simple, pourquoi devrais-je vous aider à chercher ailleurs ?

Il s'approche et pose la main dans le dos de son compagnon de la soirée.

-Et en quoi vous montreriez vous magnanime avec moi ? Qu'ais-je à gagner ?

Son regard joueur se plante dans l'oeil valide d'Isaac, son sourire en coin, léger, s'affiche sur son visage.

-Je suis un pirate, je ne vais pas vous rendre service juste pour vos beaux yeux... D'autant plus que vous avez déjà refusé mon aide la première fois. Je n'ai plus aucune raison de faire dans la charité.

Une main tendue…

Alors qu’Aes se levait enfin, Isaac s’appuya plus fort sur le tonneau. Le simple fait de suivre le mouvement du corps de son compère le faisait tanguer, une légère nausée au bord des lèvres. La main dans son dos fit courir un long frisson le long de son échine, l’envoyant dans le passé avec l’impact d’un coup dans le plexus. Pendant un bref instant, il se sentit moins seul, revoyant ces visages et sourires qui lui manquaient tant, ses yeux se voilant brièvement. Reprenant contact avec la réalité, il resta un moment suspendu au sourire de cet inconnu qui lui tenait compagnie et semblait y prendre un certain plaisir. Parfait et vivifiant.

- Je ne suis pas en possession de tous mes moyens certes, mais j’ai pas assez confiance en toi pour boire dans une flasque dont je ne connais pas le contenu. C’est une question de vie ou de mort ça !

Un large sourire moqueur illumina ses traits alors qu’il reprenait, son index tendu, tapotant doucement sur le torse de son acolyte. Isaac ne savait trop comme il se sentait, comme en équilibre précaire entre deux états.

- Si, si, si. Tu as failli et même si tu parles drôlement bien pour un pirate, tu as failli !

Oh bordel ce sourire, ça l’emplissait maintenant Isaac, le faisant baigner dans une quiétude toute vacillante qui luttait ardemment avec la douleur et le mal-être qui régnaient en maître dans son corps. Ses bras se croisèrent et il fit la moue, comme un enfant boudeur.

- Je ne sais toujours pas comme tu t’appelles ! Et puis j’ai plus de sous, du moins pour le moment. Mais on peut peut-être s’arranger autrement ?

Isaac se tut un instant, serrant les mâchoires, pour reprendre un minimum de contrôle. Inspirant et soufflant pendant de longues secondes, il grimaça. La nausée passée, un sourire enjôleur se dessina sur ses lèvres, mais quel tableau pouvait-il bien offrir avec son visage tuméfié et son œil, gonflé et fermé…

- De l’eau, il me faut de l’eau ! Allez viens !

Il opéra un demi-tour, très lent et sembla prendre une direction au hasard, mais leurs pas les menèrent devant un tonneau où Isaac plongea ses mains. Dans un premier temps, il se lava longuement le visage puis la nuque. La fraîcheur le saisit, lui faisant du bien, semblant l’aider à réassembler ses idées. Jetant un « œil » de côté, il fut satisfait de voir que l’homme se tenait toujours auprès de lui.

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