Runaway // Eiran Maeda

Depuis le retour de Fedja, Eiran était resté à Temerys en vue des festivités de Beltane. Inutile de perdre du temps à faire de longues traversées pour revenir sur l’île du soleil quelques semaines plus tard. La veille, le reste de sa famille avait accosté à leur tour et  toute la délégation Maeda s’était vu offrir l’hospitalité par le Duc Shahana Carrery au sein de sa merveilleuse demeure et cela, pour toute la durée des derniers préparatifs et de cette belle soirée en approche.

Jihane Maeda : -  « Eiran, quel plaisir de te voir.»
«Plaisir partagé, Mère. » dit-il en saluant son frère et sa sœur par la même occasion.
Jihane M. - « Nous sommes attendus pour le diner, te joint tu a nous ? »
« Pas ce soir, demain. Votre navire ne va pas se nettoyer seul et de nous tous, je suis l’unique véritable Capitaine. »
Malya Maeda (soeur) - « Il se défile pour ne pas parler mariage plutôt ! »dit-elle en riant aux éclats pendant que leur mère ne le quittait plus du regard pour savoir si cela était vrai.
Jihane Maeda - « Eiran, tu n’as tout de même pas changé d’avis !? Ne me fais pas honte face au Duc Shahana, nous avons besoin de cette alliance ! »
« Tout va bien, reposez-vous. Je serai là demain, c'est promis. » Le sourire conciliant qu’il afficha au même instant parvint à détacher l’attention de sa petite personne. Il venait de gagner un peu de sursis pour une soirée de paix.. au prix d’un gros mensonge auquel sa sœur aînée ne croyait pas du tout.

Avant son départ d’Oshaara, le jeune homme avait longuement discuté avec ses parents et avait fini par accepter cette offre de mariage, il avait déjà refusé déjà bien trop de prétendantes. Après tout, pleins d’hommes l’avaient fait avant lui et Safa était, d’après les propos de tout le monde, une belle et gentille femme. La fête de Beltane avait aussi pour but de réunir les familles afin de sceller cet accord, mais ça, c’était avant qu’Eliza Kenway ne revienne dans sa vie…

Il soupira lascivement, conscient que le navire qu’il s’apprêtait à contrôler venait de transporter jusqu’à lui une pleine cargaison de problèmes..

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Échapper à un dîner était un exploit qu’il ne pourrait pas reproduire deux fois. Le cadet de la fratrie Maeda avait donc rejoint le Palais lui aussi, se faisant plutôt discret par respect pour Avitus suite à leur différend, mais néanmoins très curieux de visiter les lieux. Parfaitement apprêté, ses cheveux étaient tirés et noués vers l’arrière, une longue cape noire qui portait l’emblème des Maeda était attachée à son cou et ses bottes venaient d’être cirées. Il était donc prêt à souffrir durant de longues heures à table (qui lui sembleraient durer des journées entières), mais avant de se plier à ce douloureux exercice, il comptait bien prendre l’air sur le temps libre qu’il lui restait encore !

Ces derniers mois en solitaire avaient biaiser son jugement. L’homme avait passé le plus clair de son temps avec la jolie éleveuse malgré des disputes plus que régulières entre eux. Il s’était laissé porté par ses envies avec légèreté, espérant sans doute que ce projet de mariage finirait par tomber à l’eau comme celui de son aîné grincheux. Loupé ! Son prénom et celui de Safa étaient sur toutes les lèvres depuis la veille, des Ducs jusqu’aux dames de compagnie, en passant par les cuisines. En bref, tout un palais attendait avec impatience la rencontre à venir, galvanisés sans doute par l’euphorie encore palpable du récent mariage d’Avitus Carrery. Génial. GE-NIAL.

Eiran quitta ses quartiers pour rejoindre l'extérieur et se mit à marcher sans but précis pour faire le vide dans sa tête quand son regard se figea sur une fine silhouette en train.. d’escalader le mur ? Il tourna la tête des deux côtés pour chercher un garde, en vain et décida donc de s’approcher. Une femme, rien que cela !? Et pas n’importe laquelle d’après la qualité de sa tenue… Eiran se pinça les lèvres terriblement amusé et croisa les bras pour profiter de la scène quelques mètres en arrière. Dos à lui, elle sembla tout de même sentir sa présence et arrêta son geste en cours.. Se sentait-elle épiée ? Elle l’était.

Il se racla la gorge pour se manifester officiellement.

« Voulez-vous de l’aide ? » dit-il d’une voix neutre presque autoritaire pour l’inquiéter un peu. Draven aurait fait pire !
« Je peux vous faire la courte échelle si c’est le cas.» Là, c’était bien lui. Eiran Maeda, jamais prêt pour les grands dîners, mais toujours pour les bêtises et l’humour.

« Où comptez-vous aller en escaladant ce mur ? » Son visage était serein, mais sa voix et son regard rigolaient pour lui. Pourquoi le destin s’acharnait-il sans cesse à le mettre dans des situations improbables, pourquoi !?

Pas besoin d’aide ? En effet. Eiran trouva la scène particulièrement drôle et la jeune femme continua d’escalader le mur sous ses yeux. Qu’était-il censé faire dans ce genre de situation ? Aucune des interminables leçons auxquelles il avait participé ne faisait mention de l’attitude à adopter face à une noble en cavale au couché du soleil. Conclusion ? Pas de leçons, pas de règles à appliquer, ni d’alerte à donner.

« En effet, je vois. » dit-il en hochant la tête avec un sourire sournois agrippé aux lèvres. La demoiselle s’installa comme si tout était normal, comme si cette situation n’avait rien de loufoque et ne manqua pas de le provoquer. « Hum, ma cape est donc trop grande et trop lourde ? Je la trouvais plutôt sympa, personnellement.» Sa voix était joueuse et provocatrice. Était-ce une simple remarque ou un appel aux défis ? Eiran fit un choix purement égoïste sur la réponse à donner à cette question et ses mains vinrent agripper la paroie rocheuse pour l’aider à se hisser jusqu’en haut sans trop de difficulté. Cape ou pas cape, il était agile et ses dix doigts n’étaient plus suffisants pour comptabiliser le nombre de fugues qu’il avait déjà mené à bien dans l’ombre du Palais Maeda. Un petit goût de déjà vu et surtout, l’occasion rêvée de ne pas penser à ce foutu dîner en approche.

« La cape va bien, vous voyez. » A peine eut-il le temps de rire que la belle inconnue sauta à terre pour se retrouver près des chevaux. Il soupira, conscient que Jihane Maeda le tuerait pour moins que ça, plus encore s’il arrivait en retard à cause d’enfantillage, mais la colère de sa mère était aussi quelque chose qu’il maîtrisait bien. Le visage de cette femme ne lui était pas inconnu, sans doute l’avait-il déjà croisé brièvement dans les couloirs où lors de reception, mais il n’était pas suffisamment assidu pour connaitre le nom de tous les nobles de Temerys, surtout en ces périodes de fêtes où de nombreuses familles se précipitaient pour rejoindre Khesa.

A son tour, il fit un bon jusqu’au sol pour la rejoindre sans y avoir été invité. Devant eux, les chevaux étaient alignés, retenus par leurs brides pour rester à disposition des invités aux requêtes souvent inattendues et soudaines. Les Carrery avaient le sens du service et ne laissaient aucun détail au hasard. Des yeux ronds les épiaient, surpris de voir plonger dans leur foin deux idiots en quête de réprimandes. Eiran s’approcha d’un cheval qu’il connaissait bien, celui qu’Avitus lui avait offert avant que tout ne se complique entre eux.

« J’ai comme le sentiment que vous comptez vous enfuir d’ici. Vous conviendrez qu’il n’est pas pensable que je vous laisse faire cela sans intervenir. » Une dame en cavale solitaire en fin de journée alors que l’île grouille d’étrangers venus de tout l’archipel pour célébrer Beltane ? S’il pouvait accepter de la laisser grimper des murets, il ne pouvait pas la laisser seule et prendre le risque d’apprendre un drame ou une agression. Temerys était bien plus sécuritaire que l’était Oshaara dont certains quartiers étaient gangrénés par la vermine, mais cela ne changeait rien, il était joueur, mais pas dépourvu d’éducation. Ses mains détachèrent son cheval sans mentionner qu’il s’agissait à présent du sien.

« Ou peut-être pourriez-vous être plus raisonnable et faire demi-tour pour rejoindre les jardins ? » A son tour de la provoquer, de lancer le défi de se tirer pour de bon. Il devrait revenir à temps pour le dîner, il l’avait promis. « Je doute que vous soyez en capacité de monter, votre cape pourrait vous gêner, Ma Dame. »

Un point partout.

La malice brillait dans le regard du Capitaine de l’Obra Dinn, un homme amoureux de l’aventure depuis toujours et bien incapable de rester en place sur une chaise sans se dandiner pour montrer son inconfort. Draven lui ressemblait sur ce point, mais savait se faire violence. Sa sœur aînée était bien plus raisonnable que lui et Eiran était depuis tout jeune, l’élément perturbateur de la famille Maeda. Derrière le mur, les pas des gardes se rapprochaient.

« Que décidez-vous ? Si vous voulez mon avis, dans quelques secondes, les problèmes seront à nos pieds. Surtout au miens.» Un homme ne devait certainement pas cautionner ce genre d’escapade sans rien connaitre de la femme à ses côtés… Hum.. un détail. D’après lui, les règles étaient faites pour être enfreint.

Eiran Maeda faisait de gros efforts pour se tenir à carreau et ne plus attirer inutilement l’attention sur sa petite personne, mais Calypso était joueuse avec son destin. Jihane Maeda était une femme stricte et autoritaire qui lui avait toujours accordé de nombreux passe-droits durant sa jeunesse. Le privilège d’être le dernier né, un fils chouchou et trop couvé.. jusqu’à quand ? La barre des trente ans passée, la Duc d’Oshaara commençait à perdre patience et se montrait de plus en plus ferme dans ses choix le concernant, sans doute lassée de le voir sans cesse replonger dans des bêtises d’adolescent. Mais cette fois encore, il allait plonger dans le bain des enfantillages, incappable de faire demi-tour sans un peu d’adrénaline et de surprise. Après tout, ce n’était pas de sa faute cette fois et il n’était pas à l’origine de cette balade inappropriée. Juste un gardien ? Un homme altruiste qui ne laisse pas une dame prendre des risques seule ? Pouvait-il être réprimandé pour ça ? Il s’en moquait bien, en vérité.

L’agacement de la jeune inconnue était palpable et rendait cette rencontre plus intéressante encore. Sans crier gare, elle se hissa avec fluidité, élégance et rapidité sur sa monture et ne manqua pas de le provoquer une fois encore. Elle ne voulait pas de lui dans les mots, mais jouait pourtant avec ses nerfs comme une invitation refoulée à se joindre à elle. Du moins, il l’interpretait ainsi. « Et vous êtes hautaine. Nous sommes quittes. » rétorqua t-il en se hissant à son tour sur sa monture.

Un rire sonore, néanmoins délicat résonna entre eux et la jeune femme se lança à vive allure pour le distancer. Plus haut perché, Eiran aperçut les gardes se mettre à courir dans leurs directions et espérait qu’ils n’aient point le temps de voir leurs visages… « Hum, je me joint à vous. » dit-il par obligation, refusant de se faire attraper comme un novice. Elle était déjà trop loin pour l’entendre. A son tour, il pressa les mollets, lançant l’étalon dans un rapide galop. Euphorique, sa monture redressait la queue, accéléra ses foulées pour rattraper le duo en cavale quelques mètres plus loin. Inutile de dire qu’Eiran ne pouvait pas la perdre de vue car il ne connaissait que trop mal l’île et ses sentiers, s’il se perdait, son absence au repas serait perçu comme un abominable affront. Les deux bêtes furent rapidement proches, mais l’envie de gagner cette course se dissipa, remplacée par cette délicate sensation qui enveloppait tout son corps. L’évasion, la liberté, l’adrénaline d’une nouvelle escapade interdite… Le sol était recouvert d’une fine couche de sable, idéale pour les articulations des chevaux qui donnaient tant pour se rejoindre. « Allez! » cria-t-il pour donner un nouvel élan d’énergie à l’étalon fougueux sous sa selle. Lorsqu’il se retrouva à côté de l’audacieuse, il cadença l’allure pour conserver cette place. « Très jolie cape, en effet.. » lança-t-il, aussi à l’aise qu’elle à cheval.

Le chemin emprunté devint plus meuble obligeant naturellement les chevaux à ralentir pour ne pas suffoquer de leurs efforts. Un vainqueur ? Il pouvait lui laisser cet honneur, même si son égo d’homme serait profondément meurtris par l’avoeux. Eiran reprit le contact sur ses rênes avant de se faire embrocher par le palmier en approche. « Vous ne me laisserez jamais passer, n’est-ce pas !? » demanda t-il en connaissant la réponse. L’arbre était de son côté et jamais ô grand jamais, elle ne s’écarterait. Après une brève cession de trot, il retrouva le calme d’un pas actif pour rejoindre la cavalière toujours devant. « Je suis mauvais perdant, mais je vous accorde la victoire… même si vous êtes partie plus tôt. » Des yeux malicieux et un sourire provocateur animaient son visage. Leurs capes respectives glissaient sur les croupes de leurs montures essoufflées, mieux valait qu’ils ne croisent personne en route. Trop repérables, identifiables.« Présentations ou anonymat ? Que préférez-vous ? » Quitte à s’enfuir avec une inconnue, autant discuter, non ?

Eiran releva la tête pour s’accorder le droit de détailler enfin cette mystérieuse cavalière. Sa posture était élégante, la qualité de sa robe l’était tout autant. Que dire de sa beauté ? Une femme magnifique, assurément. La fille d’un noble marchand de la Guilde venu au Palais pour les fêtes, ou une cousine de la famille Carrery, peut-être ? Car le teint de sa peau rappelait celui de ses hôtes. Des yeux remplis de malice et une élocution parfaite malgré des propos un peu douteux pour une dame issue de la noblesse Temerienne. Que pouvait-il dire à ce sujet, lui qui traînait sans cesse avec les basses classe d’Oshaara par pure affection. Il hocha la tête.

« pabègęs » Les souvenirs d’une soirée atypique à bord de l’Obra Dinn lui revenaient en tête, lorsqu’un voyageur étranger en compagnie de sa fille en cavale avaient passé des heures à leur raconter des histoire passionnantes.
« ça veut dire L’échappée, ça vous sied comme un gant, en effet » Elle voulait un surnom ? Il lui en trouvait un.

Eiran profitait de cet instant au calme dont il appréciait tous les aspects. Ce cheval était incroyable, tout comme le paysage qu’offrait l’île du soleil, bien différente de sa terre natale. L’homme avait mis plusieurs semaines à s’habituer au climat sec, mais commençait à le préférer à l’humidité permanente d’Oshaara.

«  Alors, pabègęs, avez-vous voyagé hors de ces terres ou n’êtes vous pas une véritable fugitive ? » S’enfuir d’un Palais offrait un petit pic d’adrénaline qu’il appréciait au moins au temps qu’elle, mais la mer et les voyages donnaient plus. De l’aventures, du défis et des paysages merveilleux.

« Que cherchiez-vous à fuir en escaladant ce mur ? Le Palais Carrery est une demeure magnifique, rares sont ceux qui tentent de le quitter. »

Il tourna à nouveau la tête dans sa direction, se demandant si oui ou non il devait se présenter et de quelle façon le faire. Ses yeux glissèrent sur ses mains qui tenaient les rênes de l’étalon et plus précisément sur sa chevalière où le symbole du lotus noir était gravé.

« Eiran Maeda, ma dame.» Un nom qu’il avait appris à aimer avec le temps, mais qui lui causait encore bien de tracas.

« L’île du lotus noir… Vous avez déjà gouté, j’espère ? » Un regard malicieux se posa sur la jeune femme, à son gout trop distinguée pour s’autoriser ce genre de frivolités que de fumer du lotus.. mais il n’aurait pas misé sur une pièce sur elle non plus pour une escapade interdite.

« C’est un beau paysage, je vous l’accorde. » Dit-il tout à fait sérieux. Pas aussi beau qu’Oshaara à ses yeux, mais il n’était pas très objectif concernant son île natale qu’il aimait tant.  « Les paysages d’Oshaara sont bien différents, mais ils n’en sont pas moins agréables. Tout est plus vert, plus humide. Exception faite de Borhae sans doute, le fléau de tout un peuple. » La ville basse.. trafics en tout genre, revente de lotus illégal, la pauvreté et la corruption grouillaient dans les rues de cette partie de l’île et si Draven Maeda parvenait à rétablir l’ordre un temps aux côtés de son armée, cela ne durait jamais. La mauvaise herbe repousse toujours.

L’échappée du Palais se mit à rire une fois le voile de son identité révélé. L’homme resta perplexe, plia les yeux pour tenter de comprendre la raison de cet emportement puis se contenta de sourire bêtement, faute de mieux. Avait-elle quelque chose contre les Maeda ? Les familles ducales, peut-être ?

« Et bien, Pabèges., voilà des manières surprenantes. Je commence à croire que rien ne devrait plus m’étonner venant de vous. » A son tour, il sourit. La mélodie délicieuse de son rire s’accordait à merveille avec cette balade improvisée.

« Allez y, riez de moi, c’est suffisamment rare pour ne pas être désagréable. » renchérit-il lorsqu’elle redevint tout à coup plus sérieuse. « Messire.. c’est abominable. Je préfère , Capitaine ! Beaucoup plus aventurier.  » Le cadet Maeda se laissait aller à quelques légèretés, une façon comme une autre d’oublier ce maudit repas et toutes les responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Draven aurait dû se marier il y a quelques années, mais l’affront d’un refus de l’une des dames Vestrit avait entaché son orgueil démesuré et l’attention s’était naturellement reportée sur le fils suivant.

« Hum peut-être bien, en effet. Cela dit, j’ai toujours aimé monter à cheval. » confirma t-il à la dernière question. Il y avait bien des choses qu’il tentait de fuir dans le Palais Carrery autant que dans le sien. Il fuyait la réalité de son monde aussi souvent que nécessaire pour parvenir à le supporter à nouveau. Un jeu d’équilibre, en quelque sorte.

« Jihane Maeda est en tête de liste, mais ne lui répétez pas, elle n’en reste pas moins une femme formidable. » Un respect profond pour celle qui l’avait élevé, mais qui était aussi dur que la roche et dont la langue était plus affutée que son épée neuve. « Draven Maeda sera le second de cette liste, un homme charmant, je vous souhaite de le rencontrer. » Ses yeux pétillaient de malice, un brin provocateur et plutôt détendu. Lui ne se doutait de rien, à quoi bon s’agacer alors que la météo était douce et le paysage splendide.

« Je n’apprécie que trop peu les repas au Palais. N’importe quel Palais. Je ne sais jamais quel couvert utiliser et si la nourriture et le vin sont souvent délicieux, les conversations sont insipides, les règles trop nombreuses et les regards convergent régulièrement sur ma petite personne. Pour mon charme, évidemment. » Rien à voir avec la façon qu’il avait de s’agiter sur sa chaise après une heure seulement, ou les raclements de gorge réguliers pour marquer son désaccord sur des sujets sérieux. Avitus Carrery avait du poids dans les décisions, quand il devait se contenter de sourire, respirer en silence et obéir. Ce qu’il n’avait jamais fait, évidemment.

« Vous devriez essayer. » dit-il sans la regarder, le sourire du défi pendu à sa bouche. « Le lotus ! Pabèges aurait-elle peur de perdre sa belle maîtrise ?  Vous escalader des murs, mais vous êtes frileuse, Pabèges.

Avait-il le droit d’inciter une noble femme à sortir des rangs ? Absolument pas, mais pour une fois, il n’était pas le premier à avoir enfreint les règles.

Cette demoiselle était pour le moins surprenante. Tantôt téméraire, tantôt très raisonnable. Ne pas connaître son identité était du gâchis, car la conversation n’était pas désagréable, bien moins morose que celle qu’il devrait subir lors du dîner.

« Est-ce les livres qui vous ont aiguillés sur la manière adéquate d’escalader les murs du Palais ? » demanda-t-il sans attendre de réponse, juste pour raviver la provocation avant de se montrer plus sérieux. « C’est une activité dans laquelle je n'excelle pas, mais que j’estime.» Cultiver l’esprit, former l’intelligence et la réflexion. La lecture lui demandait trop de calme, lui qui ne cessait jamais de bouger.

« Et vous êtes une fine observatrice, Pabagès. Serait-ce un défi ? Je n’aime pas perdre, sachez-le. » Bien sûr, il ne comptait pas la traquer pour obtenir gain de cause. Il ne reverrait probablement jamais cette femme ou se contenterait d’hocher la tête poliement pour la saluer si tel était le cas.

Le soleil commençait à descendre, ordonnant aux deux fuyards de rapidement rebrousser chemins avant de s’attirer des ennuis. Avec un peu de chance, personne n’aurait eu le temps de constater son absence et le sort de la jeune femme lui importait peu, elle se serait enfuie avec ou sans lui. Sans crier gare, une nouvelle course débuta avec un départ encore totalement hors des règles d’équités.

« Vous êtes agaçante, vous savez!? » siffla-t-il en faisant pivoter sa monture qu’il talonna juste après pour rattraper son retard. Deux défaites ? Voilà de quoi le mettre de très mauvaise humeur si cela devait arriver. Avitus lui avait promit un cheval rapide et endurant, il espérait pouvoir en témoigner. L’étalon sous ses fesses était un animal fougueux et capricieux qui demandait plus de finesse qu’il n’en avait dans sa manière de monter, il tâcherait déjà de rester en selle, question de fierté masculine.

Les sabots martelaient le sol à vive allure et ni la mystérieuse inconnue ni le Capitaine n’enviaient la seconde place. Eiran claqua la langue pour demander plus de vitesse, légèrement relevé au-dessus de sa selle, il ne quittait pas des yeux la cape qui dansait devant lui, unique point de repère à devancer. Son esprit de compétiteur était focalisé sur son adversaire du moment, mais ce qu’il craignait arriva. Le jeune cheval sous sa selle lança une ribambelle de sauts de moutons, visiblement ravi de cette balade improvisée, mais également trop lent pour remonter la file en se dandinant ainsi.

Lorsque l’accès à l’arrière du palais s’afficha dans leurs champs de visions, Eiran affichait une moue frustrée, symbole d’une défaite évidente et d’une balade sur le point de se terminer. Préférant rire plus que bougonner (même s’il finirait bien par marmonner seul dans sa barbe plus tard), il fit un geste révérencieux du poignet, inclinant légèrement le buste pour offrir la victoire.
« Pabagès, je prendrai ma revanche un jour, mais le mérite vous revient pour ce soir. » Ses yeux fixèrent l’imposante demeure qui se dessinait nettement devant eux, les chevaux de nouveau au pas pour les derniers mètres.

« Il semblerait que nos chemins se séparent là, je vais patienter un peu pour vous laisser le temps d’entrer. Je ne voudrais pas être accusé de vous avoir incité à la fuite. » Sa mère serait pourtant ravie de l’apprendre, même s’il ne s’en doutait pas.

« J’espère ne pas vous avoir dérangé, cette balade était .. appréciable. » Toutes les activités qui lui permettait de s’évader trouvaient grâce à ses yeux, mais bien que cette jeune femme ait un caractère très affirmé, sa compagnie n’était pas désagréable.