Le pouvoir des femmes - Ft Alya

Le mariage d’Avitus Carrery et de Levanah Stark avait créé beaucoup d’agitation à Temerys et les fêtes de Beltane promettaient d’être pus folles que jamais car l’enthousiasme du peuple était encore palpable. La réussite d’une fille de la rue portant désormais le même nom que le futur Duc de l’île, cela faisait rêver les plus modestes et donnait envie aux jeunes filles des basses classes d’apprendre à lire et à écrire par tous les moyens. Les nobles n’étaient pas convaincus, certains étaient jaloux et d’autres jugeaient la Capitaine Stark trop peu civilisée pour briller en société et pour cette unique raison, la belle brune n’avait pas ménagé ses efforts depuis son arrivée au Palais.

Contre toutes attentes, elle était venue trouver Avitus pour qu’il mandate les meilleurs professeurs et ne s’échappait du Palais Carrery qu’une fois le soleil sur le point de se coucher, pour rejoindre le Salvatore et ses amis qu’elle avait bien du mal à mettre entre parenthèse. Personne ne semblait s’offusquer de ces sorties tant elle mettait du cœur dans le reste des préparatifs. Maintient, cours de danse, lecture, écriture, elle mettait du coeur à l'ouvrage pour acquérir les bases de ce nouveau monde. Avitus et son épouse prévoyaient d’ouvrir le bal ensemble et elle comptait briller plus que jamais pour faire taire les dernières langues de vipères.

Ce jour-là, une vaste pièce avait été réservée et agencée à sa demande et des chariots complets de vêtements défilaient dans les couloirs. L’héritier était habitué à ses excès et le personnel se pliait à cette requête sans broncher, tous conscient qu’il valait mieux éviter de contrarier son époux pour des choses aussi futiles. Des dizaines de tenues jamais portées, toutes issues de son imagination et peaufinées par ses petites mains agiles s'alignaient sur les portiques à vêtements dans un salon lumineux, sélectionné pour ses miroirs et sa clarté.

« Madame,
Nous avons terminé, tout est prêt. » vint annoncer dans le jardin du Palais, l'une des dames qui la surveillait comme son ombre comme si elle ne pouvait pas se servir de l'eau toute seule.

Levanah ne put réprimer son immense sourire et traversa les jardins au pas de course quand une jolie tête blonde familière attira son attention au détour d'un couloir extérieur. Tiens donc..
Une chevelure singulière, des couteaux aux cuisses.. la fille du mercenaire .. évidemment. Enthousiaste et toujours très souriante, Levanah s’approcha de la demoiselle avec une idée derrière la tête qui rendait cette journée d’essayage plus belle encore.

« Bonjour Alya,
Tu vas bien ? Tu te souviens de moi ? » Alya était exténuée après la bataille à Fedja, elle ne se sentirait pas offenser si ce n’était pas le cas. « Ne me dis pas que tu travailles avec ces hordes de mercenaires grincheux !? »

Son cœur se souleva dès les premiers mots échangés. Levanah avait encore du mal à réaliser que tout ceci n’était pas qu’un mirage. Elle faisait désormais partie des dames de ce palais et portait le nom de la famille ducale de son île natale. La femme d’Avitus Carrery, ça sonnait si bien à ses oreilles. Un peu trop protocolaire tout de même, pour une Capitaine de la Guilde encore en fonction malgré un navire qui voguait sans ses ordres.

« Tu peux m’appeler Levanah. »

Ses yeux se posèrent sur la demoiselle, analysant à la lumière sa beauté. Cette jeune fille était tout simplement radieuse et la teinte de ses cheveux était formidable, elle aussi, de quoi nourrir de grandes idées sournoises dans la tête de la créatrice.

« Fais toi plaisir, ces hommes méritent d’être remis à leur place par une jeune femme de caractère, je signe tout de suite pour voir ça ! » Le Duc serait fou de l’entendre dire cela, mais Levanah restait .. Levanah. Une demoiselle capable de fragilité autant que d’autorité. Elle avait d’ailleurs fait la connaissance de son fils en essayant d'embrocher l’un de ses matelots trop goujat. Comme quoi, l’audace paye.

La brunette écarquilla les yeux en grand et se racla la gorge. Dieux du ciel, cela se voyait-il déjà à ce point ? Elle devait songer à adapter ses tenues et troquer ses robes longilignes pour des tissus plus vaporeux. A ce stade, elle n’avait pas d’autres choix que de remettre sa confiance entre les mains de la demoiselle avec l’espoir qu’elle tienne sa langue !

« Alya, j’aime beaucoup les biscuits, tu te souviens ?
Les biscuits. Trop de biscuits. » dit-elle en posant son index sur ses lèvres pour quémander son silence. Quelques personnes au Palais connaissaient son état pour lui venir en aide si nécessaire, mais il était trop tôt pour annoncer la nouvelle seulement 1 mois après leur mariage.

Elle se pinça les lèvres et sourit amusée en remarquant l’attitude fuyarde de la jolie blonde. Cette conversation semblait presque douloureuse pour elle, rien d’étonnant maintenant qu’elle connaissait mieux son père qui faisait des rondes dans les ruelles autant que devant sa porte. Un homme qu’elle ne risquait pas d’agacer avec ses bavardages tant il était froid et muet.

« Que dirais-tu de.. te joindre à moi ? Avitus a mandaté tes services pour la surveillance du Bal à venir, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas.. venir habillée ainsi. » Même si pour l’aspect guerrière rebelle, c’était parfait. Les invités seraient tous très élégants et pour se fondre dans la foule, elle devait l’être tout autant.

« J’ai également besoin d’un peu de franchise sur ma tenue. A cause des biscuits.. » Et ici, toutes les dames de compagnie à son service ne savaient faire que des éloges ou choisir des robes hideuses, parfois même les deux à la fois.

«Je paierais tes heures, évidemment. » Dans ces conditions, pouvait-elle refuser ? Contrarier la femme d’Avitus Carrery en proie aux hormones de grossesse ? Très mauvaise idée ! Il lui en fallait bien moins que ça pour être contrariée ces derniers temps.

« Allons-y, suis moi. » Avant même d’entendre sa réponse (et dans le but de lui couper l’herbe sous le pied si elle comptait se défiler), Levanah pivota sourire aux lèvres et se mis à marcher à bon rythme pour rejoindre la salle d’essayage. Des portiques de robe, du fils, des aiguilles, des perles, des broches, aucun doute : Alya allait détester d’avoir traversé les jardins en même temps qu’elle !

« Installe toi ! Il y a à manger, à boire et pas l’ombre d’un “abrutis finis” dans les parages..» Juste une jeune femme surexcité à l’idée de la relooker pour le bal, trois fois rien.

« Ne t’en fais pas, moi je m’y connais..» avoua-t-elle dans un murmure, un large sourire aux lèvres comme la preuve formelle qu’elle avait des idées derrière la tête, bien plus qu’un simple essayage.

Lorsque les deux femmes furent seules dans la pièce regorgeant de tenues et de maquillage, Levanah scruta attentivement les gestes d’Alya. Cette fille était l’incarnation même de la beauté, même si elle semblait plus intéressée par les tenues fonctionnelles que l’élégance pure. Levanah s’installa dans le sofa et s’empara d’une tasse de thé qu’elle portait à ses lèvres de temps en temps.

« Laquelle est ta préférée ? » demanda-t-elle avec une innocence tout à fait crédible. Après tout, Avitus commençait à comprendre la sournoiserie de son épouse, mais Alya ne la connaissait pas et n’avait aucune idée de toutes les envies qui lui passaient par la tête. Ses cheveux devaient être dénoués, soignés et sa silhouette lui servirait assurément de cobaye d’ici quelques minutes… Doucement papillon, elle devait d’abord tenter d’en apprendre plus à son sujet.

« En effet, c’est une partie de ma garde robe.. » Par chance, une vie dans l’un des plus somptueux Palais de l’archipel lui offrait plus d’espace qu’elle n’en n’avait jamais eu auparavant. « J’ai dessiné la plupart de ces tenues.. j’en ai cousu certaines, aussi. Les voyages en mer sont parfois longs et moroses, voilà comment j’occupe mes journées. » Et comment elle avait sauvé ses finances, aussi. Depuis quelques années, la noblesse s’était emparée de ses créations, lui offrant ainsi le luxe de monnayer son travail à prix d’or pour payer son équipage et ses petits caprices de femme toujours pimpante.

« Tu sais que tu ne pourras pas te rendre au bal ainsi, n’est-ce pas ? » Elle fronce les sourcils, dubitative. D’après elle, Alya aurait été tout à fait capable de se pointer dans une tenue de mini mercenaire, la réplique modèle réduit du loup blanc qui rodait dans les couloirs pour faire des rondes.

« As-tu un cavalier pour t’accompagner à la fête ? » Son visage était sérieux, calme, mais tout son être rigolait déjà à l’intérieur. Cela ne faisait aucun doute, Alya regretterait sa présence dans très peu de temps… Levanah n’avait aucune pudeur, pas la moindre gêne et un franc parlé assez déroutant parfois.

« Que dirais-tu de faire bougonner ton père ? » La malice se manifesta enfin au centre de ses yeux vairons. « Je pense que tu devrais te faire belle pour Beltane, particulièrement belle. Plus encore, si tu assures ma protection personnelle durant la fête, il va de soi que je dois faire mes preuves ce soir-là. »

Les Vestrit, tiens donc. Levanah ne craignait pas autant cette famille que son époux qui était excessivement prudent à leur égard, elle n’avait donc aucun a priori sur le sujet même si leur Palais était froid et impersonnel, d’après elle.

« Je travaille également pour les Vestrit.. enfin, je travaillais pour eux. » Elle ne s’était même pas posé la question, mais il semblait à présent évident qu’elle ne pourrait plus être la modiste de la famille ducale tout en étant l’épouse d’un Carrery. Un petit pincement au coeur fut rapidement chassé par une mignardise absolument délicieuse. Avec un tel appétit, il ne lui restait qu’à espérer avoir une bonne génétique pour ne pas exploser durant la grossesse.

Le choix de la demoiselle l’interpella. Si elle avait dû sélectionner une robe pour Alya, elle aurait choisi celle-ci, sans hésitation. Avec sa chevelure si atypique, le résultat serait saisissant.

« Hum.. les danses au bal ne sont pas compliquées. Il suffit de trouver un bon danseur et de se laisser guider. Je n’ai aucune autre compétence que celle de m’accrocher fermement à mon époux pour qu’il s’occupe du reste. J’espère que l’illusion sera bonne.» dit-elle en riant et en se redressant du sofa.

« Enfile là. Essaye cette robe. » Une requête ? Pas vraiment. Alya avait accepté de l’accompagner contre le maintien de sa rémunération, elle était en quelque sorte à son service, non ? Une idée ingénieuse, selon elle.

« A présent, vous l’êtes. Mais j’espère bien ne pas voir l’ombre d’une épée durant Beltane, j’ai envie d’une soirée splendide et calme. Nous avons eu assez de tourments ces derniers mois.» Les Ozova étaient sur toutes les lèvres, mais Levanah préférait ne pas céder à la panique ni envisager le pire. Si une attaque se déclanchait, elle irait inévitablement se battre avec les autres et dans son état, ça risquerait de ne pas plaire à grand monde.

« Oui, à la poupée, c’est à peu près ça. » Un rire communicatif résonna dans la pièce.

« Ton père est un homme inquiet, ses yeux le trahissent. Il veille sur toi, et je crains d’être encore pire lorsque je deviendrai mère. Je n’ai jamais connu mes parents, ils sont morts peu de temps après ma naissance, veille sur lui Alya, c’est précieux d’avoir une famille et je le comprends assez tard. » Les Carrery lui avaient ouvert les portes du Palais, mais plus encore. Ils la traitaient comme un membre à part entière de leur famille, une sensation nouvelle et déroutante..

« Allez allez, change toi donc. » Elle pivota pour lui tourner le dos et lui offrir un tout petit peu d’intimité.
« Tu n’as donc pas d’homme à tes côtés… ? Une femme peut-être ? Tu es ravissante, je refuse de croire que personne n’essaye de t’approcher. »