We didn't start the fire

Ce n’était pas une fuite. Pas vraiment. Quand on fuyait c’est parce qu’on avait peur non ? Ou quelque chose à se reprocher. En l’occurrence, ce n’était ni l’un ni l’autre. Cyan n’avait peur de rien. Enfin si, de mourir. Il aimait bien ses propres fesses, il avait tendance à tout faire pour les sauver. Hormis ça, il se fichait bien de ce qu’on pouvait penser ou dire de lui. Et quant à se reprocher quelque-chose, qu’aurait-il pu se reprocher ? Il n’avait pas blessé une personne qu’il connaissait. Il ne connaissait pas cette fille. Il en était certain. Et puis, même les gens qu’il connaissait, il était capable de les blesser sans se faire de reproche. Ceux pour qui Cyan se couperait une main se comptaient justement sur les doigts de celle-ci. Non, cette fille, cette magnifique blonde, cette Smoky, était juste dérangée. Elle s’était inventée tout un monde. Elle ne faisait pas partie de son passé. Tout simplement parce que Cyan avait décidé depuis bien longtemps qu’il n’avait pas de passé. La seule vie qu’il avait eu s’était déroulée sur le Calypso. C’est tout.

Voilà les pensées qui le traversaient alors que, comme à son habitude, Cyan était en train de chercher une taverne. Il était arrivé à Khesa au petit matin. Il avait fait le voyage depuis Oshaara sur le premier bateau qu’il avait pu trouver, des pirates sans foi ni loi qu’il avait déjà croisé une fois et qu’il avait évité jusque là. Mais nécessité faisant loi, il n’avait pas eu d’autre choix que de sauter sur ce rafiot et de mettre la main à la pâte. Il avait voulu quitter vite l’île, c’était chose faites. Cyan n’était pas très « fêtes », il ne serait donc probablement pas venu sur Temerys de son propre chef, mais on ne fait pas la fine bouche quand on veut fuir.

Bon ok, il avait peut-être un peu fui alors. Il n’avait pas eu le courage de faire face à cette femme, et il n’était pas prêt de remettre les pieds sur Oshaara de peur qu’elle ne déboule de nouveau dans sa vie. Toujours est-il qu’il avait été bien content de quitter l’île au départ mais que son coeur s’était ensuite déchiré petit à petit en s’en éloignant. Et ça, il ne l’acceptait pas. Mais alors pas du tout. Il détestait ce sentiment qui le rappelait à terre et, pire, à Oshaara. Alors voilà, il devait saisir les opportunités qui se présentaient. Il n’aimait pas particulièrement Temerys, mais il allait faire contre mauvaise fortune bon coeur. Il y avait du monde et qui disait du monde disait beaucoup de poches à fouiller. En plus, avec les festivités qui approchaient dans toute l’île, les gens étaient moins méfiants, plus excités. C’était une aubaine pour lui.

Cyan se souvenait avoir dû tout réapprendre au sujet de la géographie, des traditions et des cultures régissant son monde à quinze ans. Peut-être avait-il su tout ça un jour, mais c’est à bord du Calypso qu’il s’était remis à jour après son amnésie. Temerys était une île chaude. Beaucoup trop chaude pour lui. Le manteau ouvert, le haut de sa chemise également, Cyan marchait le long des bâtiment, à la recherche d’un peu d’ombre. Son éternel sac sur l’épaule, il finit par trouver une taverne. Bon, ce n’était pas uniquement pour picoler. Il fallait bien qu’il se trouve une piaule après tout. Il n’allait pas repartir demain, et il n’allait pas dormir dans la rue. C’était ça, d’être un pirate sans équipage. Devoir payer une chambre. Quelle poisse… Heureusement, le temps de ses petites divagations internes, il avait réussi à chopper un bracelet sur une donzelle étourdie dans la rue, trop occupée à tenter de convaincre son mari d’acheter la nouvelle robe à la mode. En passant la porte de la taverne, il reluquait le bracelet. Vue les pierres, il se paierait facilement trois nuits dans un gourbi pareil s’il réussissait à les revendre convenablement.

Fourrant le bracelet dans sa poche, il balaya du regard l’assistance. La taverne était bondée. Et ça allait être de pire en pire dans les jours à venir. Il se dirigea droit vers le comptoir en grognant contre les traditions humaines, demanda au tenancier si une chambre était libre, la réserva, puis se commanda à boire. Une fois son verre en main, il se calma un peu. Jamais il ne nierait devant qui que ce soit qu’il était alcoolique. Il était incapable de passer une journée sans un verre de rhum. Mais personne ne s’en plaignait, alors pourquoi se priverait-il de la meilleure boisson que l’homme ait un jour créée ? Du coin de l’oeil, il se rendit compte qu’une table n’était pas remplie. Une jeune femme y était assise, seule. Voilà une situation parfaite.

Traînant ses grosses bottes et son lourd manteau sur sa carcasse, Cyan s’y dirigea, le verre à la main, le sac sur l’épaule. En arrivant devant la table, il afficha son plus beau, et arrogant, sourire :

- Salut.

Sans attendre de réponse, il laissa son sac tomber au sol, posa son verre sur la table et ses fesses sur le banc où était assise la donzelle :

- Qu’est-ce que tu fais seule ici beauté ?

Voilà qu’il se détendait enfin. Il avait une chambre pour la nuit, un verre à la main, et avec un peu de chance, il aurait de la compagnie. Compagnie plutôt jolie, pensa-t-il avec un sourire en coin. De quoi oublier les événements des dernières semaines et reprendre son train-train quotidien, tout à fait sain et normal.