No body, no crime

Si le mercenaire appréciait ses séjours à Kahauni, la seule île capable de faire preuve de générosité pour soigner les plaies d’un mercenaire blessé sans poser trop de question, Sebastian n’appréciait pas l’atmosphère étouffante d’Osharaa et s’y rendait le moin souvent possible. Pourtant, lorsqu’il manquait de travail, Borhae lui en offrait, servit sur un plateau d’argent. Il n’était pas le seul mercenaire du coin, bien évidemment, mais l’on vantait l’efficacité de l’homme aux cheveux blancs comme s’il s’agissait d’une vieille légende.

Les poches vides après plusieurs semaines de repos forcé, Sebastian posa le pied sur la terre ferme après de longues journées en mer. Il grogna, ressentant immédiatement l’humidité ambiante qui rendait ses vêtements poisseux et ses cheveux gras. Né dans les terres fraîches, presque glaciales, il dénotait avec les traits physiques des locaux du secteur, la plupart balafrés, dans la ville basse, au Sud de la belle Anhae. Vétu de noir de la tête aux pieds, ses deux glaives affutés croisés dans son dos, poignard à la ceinture, les regards se tournèrent les uns après les autres sur son passage au milieu des ruelles. Comme un habitué du quartier, il pénétra dans une Taverne et s’installa, seul et silencieux à une table, une chope de bière pour se remettre de ce foutu mal de mer.

Attendre.
Il n’avait plus que ça à faire désormais. Attendre que l’on vienne s'asseoir à sa table avec l’espoir qu’il accepte l’offre faite.
Le mercenaire se rendit à cette même table, dans cette même Taverne, pendant plusieurs jours. Il refusa de tuer, refusa de jouer les bricoleurs car il avait la délicatesse et la minutie d’un éléphant, refusa de jouer les dératiseurs, quoi d’autre ?
Enfin, après plusieurs repas engloutis, un bain qui ne fut pas du luxe et un nombre incalculable de litres de bière avalés sans vaciller, le mercenaire daigna lever ses yeux dorés sur un homme posté devant lui, tortillant ses doigts entre eux.

pnj- C’est toi le mercenaire dont on parle souvent ? T’es doué il paraît

« Je me débrouille », dit Sebastian en le regardant droit dans les yeux. « Je me débrouille à peu près » Parce qu’il le fallait. Parce qu’il n’avait pas le choix.

pnj- J’ai besoin de tes services. Tu seras bien payé.

« Hhm.
Je t’écoute. »

D’abord avec méfiance, se refusant à tuer pour le tintement de quelques pièces dans une bourse. Il n’était pas de ce genre là, pas un sanguinaire dépourvu de morale. Lorsqu’enfin, son visage changea, signe d’un intérêt pour la conversation en cours.

pnj - Je.. je pense que je suis suivi, le Mercenaire. J’ai quelques ennemis ici et là, comme tout le monde, n’est-ce pas ? Demanda t-il, comme pour se rassurer lui-même sur la normalité d’avoir plus de sales types à ses bottes que d’amis autour d’une table.

Sebastian ne répondit pas, le silence se suffisait à lui même. Moins il savait de choses sur les agissements de ses clients, mieux il se portait. L’homme reprit, légèrement contrarié.

pnj - J’ai besoin de ta protection. Au moins quelques temps, pour être certain que je ne crains rien.

D’abord, il eut envie de refuser. Trop long, trop ennuyant, trop peu payé sur la durée, mais lorsqu’il tourna la tête à travers la fenêtre qui donnait sur la ruelle animée, il aperçut une frêle silhouette immobile, planquée dans l’ombre et dont il ne pouvait voir aucun détail concret. Il plissa les yeux, songeur, grommela ensuite avant de regarder cet homme rongé par l’angoisse.

« C’est d’accord. »

Une poignée de main plus tard, les deux hommes sortirent de la Taverne ensemble. Une fois dehors, Sebastian tourna la tête, plus rien.

pnj - Pourquoi as tu accepté mon offre, mercenaire ? On m’a dit que tu campais là depuis plusieurs jours.

Imperturbable, la voix calme et dépourvue d’émotion, il répondit sans même se tourner.

« Parce que t’es pas fou. T’es suivi. »

L’homme déglutit, son teint doré par le soleil prenant presque aussitôt la couleur de la maladie. Sebastian le suivit jusqu’à chez lui, en retrait de la ville, au milieu des champs,  détaillant chaque détail de son environnement, ses sens aux aguets. Là- bas, il commença ses rondes, arpentant les jardins tout comme la jolie bâtisse, méticuleux, calme..

« Où es-tu..
Montre toi…  » dit Sebastian en serrant les dents.

Attendre.
Il n'avait plus qu'à attendre, encore.

Dans ce genre de mission, la patience était une qualité indispensable. Sebastian arpentait de long en large chaque recoin de l’imposante bâtisse depuis de longues heures. Dans ce bar miteux, il avait d’abord commencé par hésité, n’ayant aucune envie de jouer les baby sitter pour camoufler les crises de paranoïa d’un type riche capable d’avoir abusé du lotus noir avant de lui rendre visite, mais cette silhouette, dissimulée dans l’obscurité n’avait rien d’anodin. L’homme n’était donc pas fou, il était suivi ! Par qui, pour quelles raisons ? Une équation à double inconnue dont il n’avait que faire des réponses. Son à lui était simple, assurer sa protection le temps de découvrir quel genre d’ennemis il s’était fait, le vilain.

Le mercenaire était parvenu à se forger une réputation au fil des années. Certes, il ne réussissait pas à tous les coups et avait de nombreuses défaites à son actif, ce n’était pas un surhomme, mais globalement, il faisait partie des meilleurs. Le monde avait changé, était devenu plus dangereux et les Shaman qui se contentaient il y a quelques décennies de soigner des plaies, réparer le bois et drainer les cultures avaient développé des talents nouveaux contre lesquels il ne pouvait pas lutter. Alors oui, pour un simple humain dépourvu de tout soupçon de magie, Sebastian Howard était doué, entraîné et taillé pour le combat.

Las de ce petit jeu et après avoir réalisé un nombre de tours incalculables du domicile en quête de quelque chose ; un bruit, une odeur, une intuition, le destin se montra clément et lui évita une nuit abominable à dormir les yeux mi-clos sur une chaise inconfortable. Lorsqu'elle se posta devant lui, avançant de sa démarche féline et dominatrice, il eut un goût de déjà vu. Oui, c’était bien elle, la fameuse ombre tapie dans l’angle de cette ruelle lorsqu’il avait fait la connaissance de son client. Même taille, même gabarit et une tenue intégralement noir pour se fondre dans le décor. A peine eut-il le temps d’une brève analyse sur son apparence qu’elle lui lança un coup de pied puissant qui le propulsa son contre la façade. Sonné par le choc, l’épaisse cuirasse cloutée qui protégeait son buste avait amortie une partie, lui permettant de se relever rapidement. Il grogna, immobile, ses lippes légèrement étirées en un sourire amusé. C’était donc elle, l’adversaire du jour. Son parfait opposé. Une chevelure sombre, une silhouette menue lui conférant agilité et souplesse. En face, un homme aux cheveux blancs depuis toujours, anomalie génétique sans doute, à la taille d’un gros rocher et à la discrétion d’un éléphanteau. Attention, le mercenaire n'était pas du genre à se méprendre sur l’apparence de cette guerrière, sans doute une tueuse à gage. Elle était plus chétive que lui, mais la force de son coup lui indiquait bien des choses… Une shaman, encore. grommela-t'il. Encore une méchante à pouvoir, le combo idéal pour renforcer sa profonde aversion pour cette espèce d'humains magiques.

Hhm, il faut croire. T’en a mis du temps, je commençais à m’ennuyer.

Il avait appris à garder son sang froid, à ne pas s’agiter, ne pas paniquer et chaque geste avait une place précise dans l'enchaînement du combat, tantôt pour se protéger, tantôt pour rappliquer. Cette parfaite maîtrise de soi ne l’empêchait pas de ressentir l'adrénaline tendre ses muscles et affiner ses sens.

T’es bien audacieuse, sorcière.

Encore une dont le monde pouvait se passer. Une âme brisée de plus, qui devait s’imaginer pouvoir soigner ses plaies par d’autres plaies. Son visage était voilé, l’empêchant de profiter d’un regard qui serait peut-être le dernier. Dans ce genre de duel, il n’y avait qu'un gagnant et d’après les règles, le perdant ne parvenait rarement à s’enfuir.

Je n’ai qu’une parole, lorsque j’accepte une tâche, je ne recule plus.

Lui laisser le champ libre n’était pas une option envisageable, le mercenaire n’était à son coup d’essai en matière de combat, mais il partait avec un désavantage qui nécessitait de ruser. L’agacer ne le mènerait nulle part, il devait réveiller son âme de combattante pour avoir une chance de s’en sortir.

Quel plaisir pourrais-tu retenir d’un duel déséquilibré ? Pour ma part, j’aime que le travail soit bien fait.

D’un geste lent, il sortit le premier glaive de son dos pour le poster devant lui, les muscles saillants et prêts à s’échauffer.

Un combat à la loyal.
Pas de magie, juste des lames et du courage.

S’il devait crever sur ce splendide sol en marbre, il préférait le faire avec classe et dignité et l’idée de devenir un dommage collatéral d’une magie trop puissante le rendait fou. Un comble, pour un homme se tenant aussi loin que possible de ces barjots.

Qui es-tu, la tueuse? Je ne t’ai jamais vu dans le coin.

Quitte à mourir, autant faire ça classe, non ? C’était valable pour lui, comme pour elle. Il inspira profondément, regarda le biseau parfait de son épée taillée sur mesure et comprit que l’enjeux du jour n’était plus seulement de sauver la vie de ce bonhomme bedonnant, mais également la sienne. Enfin, un jeu à la hauteur de ses ambitions, pour divertir ces journées monotones. Sans crier gare, il avança à grandes enjambées dans sa direction, lui assignant un coup à l’arrière du genoux pour faire flancher ses jambes. Simple retour de bateau, pour l’avoir jeté sur la façade sans ménagement.

Alors, on commence les choses sérieuses ou on se fait du thé ?

Dans ce monde, il existait deux catégories de tueurs. La première, dont il faisait partie, la plus rare, était formée de mercenaires puissants, guerriers dotés d’un sens moral encore présents et qui étaient encore capables d’éprouver du remord à tuer lorsque cela s’avérait nécessaire. La seconde catégorie était la plus meurtrière des deux. Des mercenaires sans foi ni loi et des tueurs à gage payés uniquement pour ôter des vies, sans cligner des yeux ni ressentir une pointe de culpabilité. A n’en point douter, l’inconnue sans prénom qui se tenait devant lui faisait partie de cette seconde case.

Les hommes et femmes qui se proclamaient comme des mercenaires ne manquaient pas, ils étaient sans cesse plus nombreux sur le marché et Sebastian s’étonnait du niveau de combat médiocre de la plupart d'entre eux. Des gestes lents, un manque d’anticipation évident et un drôle d’amour pour ces nouvelles armes à feu débiles qui gâchait tout le plaisir. A quoi bon se mettre en danger s’ils ne pouvaient pas retirer la moindre satisfaction d’un travail bien fait ?

Je ne suis pas de cet avis. Il doit vivre.

Ce n’était pas toujours le cas. Les violeurs n’avaient pas sa protection et il leur tranchait la gorge sans baisser les yeux. Cet homme n’en était pas un et le duel qui se jouait sur le marbre de cette imposante bâtisse était une banale histoire d’argent volée. Il ne devait pas mourir, non. La brunette accepta son offre, piquée par la curiosité ou par un goût du défis semblable au sien. D’un geste presque gracieux tant ses gestes étaient fluides, elle sortit son épée affutée et la plaça devant elle, les deux pieds ancrés au sol. Le mercenaire était immobile et ses lèvres s’étirèrent. S’ils ne partageaient pas la même notion du bien ou du mal, ils avaient au moins des convictions similaires en matière de combat. L’épée plus que le feu. Combat des corps et des esprits, un duel loyal, devenu si rare…

Le coup porté n’eut pas l’effet escompté et la tueuse se replia sur elle-même pour mieux rebondir. Sebastian grogna, son regard devint enfin sérieux. Ce qui se jouait sous cette lune, c'était ni plus ni moins que la vie de l’un d’eux. Rapidement, les épées vinrent se heurter l’une à l’autre. Les styles étaient différents, mais tous deux étaient entraînés. Elle était légère, rapide, efficace et la pointe de son armée vint chatouiller ses cheveux d'argent à plusieurs reprises. Quant à lui, malgré son imposante carrure qui le rendait moins délicat, ses gestes étaient précis, vifs et son anticipation redoutable. Le balais d’épée aurait pu durer des heures, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la faute, mais la tueuse semblait aimer les surprises. Dans un demi-tour éclair, elle heurta ses flancs plus frontalement. Sebastian grogna à nouveau, sa main libre en appuis sur la zone d’impact. La garce.

Un point pour toi, sorcière.

Lui debout, le combat devait continuer. Les choses devenaient intéressantes et Sebastian s’étonna lui-même de trouver une certaine satisfaction dans cette danse des corps. Pour la première fois depuis de longs mois déjà, il avait en face de lui une adversaire à son niveau, capable de lui flanquer une bonne raclée, ou pas. Ses membres forts lui offraient une solidité d’appuis, capable de le maintenir debout malgré les coups portés, capables aussi de frapper. Il pivota à son doute, sans la moindre élégance, élevant son talon droit dans les airs pour cogner le foie de son adversaire de plein fouet. Il recula, son glaive fermement posté devant sa garde, prêt à la réplique.

C’est que de la bile, chouine pas.
Un partout.

L’adrénaline coulait sans ses veines, ses sens étaient aux aguets et son regard ambré ne la quittait pas des yeux. Étonnante créature. Comment en était-elle arrivée là ? Personne ne naissait avec l’ambition de tuer de cette façon. Cette nature maléfique et sanguinaire s’élevait avec le temps, dans la souffrance des âmes. Plus pures étaient-elles à la base, plus sombres finissaient-elles ensuite. Il avait failli sombrer lui aussi. Basculer du côté obscur pour panser ses maux et faire cesser la douleur qui attaquait son âme à chaque réveil. Mais se sentait-elle vraiment mieux à présent ? Les mains rouges de sang.

Le combat reprit, plus intensément encore. Elle l’attaqua de toute part, bondissant d’un côté et de l’autre pour semer le trouble dans son esprit. Elle incarnait le chaos. La rage de ses coups, la détermination de ses gestes n’étaient que le reflet de cette tempête intérieure qu’elle tentait de masquer. Ils se ressemblaient plus qu’ils ne voudraient jamais l’admettre. La tueuse sans pitié, le mercenaire protecteur. Pris par surprise, le tranchant de sa lame glissa sur sa cuisse par mégarde et déchira le tissu noir de son pantalon, suivi de sa chair bordée d’émoglobine. Le goutte à goutte commençait, son sang rouge carmin tâchant le marbre sous ses pieds. Le ménage n’était pas compris dans la prestation.

Dans sa tête, la voix de son mentor résonnait.

Un homme blessé n’est pas un homme mort. Ressaisis toi Sebastian.

Le visage impassible, ne laissant passer aucune trace d’une quelconque douleur malgré l’entaille, il la regarda plus déterminé que jamais pour une revanche immédiate.

Un coup porté pour un coup rendu. Le duel était presque parfaitement équitable et Sebastian fut surpris de ressentir une certaine satisfaction, du plaisir presque, de se faire malmener par une inconnue à l'agilité troublante. Les questions à son sujet étaient nombreuses et sa rapidité d’action ne lui laissait guère le temps de s’endormir sur l’une d’entre elles. Son attaque ciblée dans le foie fut une réussite et la demoiselle eut besoin de quelques secondes pour se redresser. Il grimaça, fin connaisseur de cette horrible sensation et du goût de la bile qui remontait dans l'œsophage. Ses pupilles étaient noires, puissantes, mais désormais, une lumière brillait au premier plan. La hargne, la soif de se venger de ce vilain coup, la soif de victoire, aussi. Sebastian s’ancra à nouveau dans le sol pour se préparer à la réplique, mais la brunette surgit à nouveau de nul part. La lame de son épée déchira sa chair et fit couler son sang sur le si beau carrelage. Il baissa la tête, lassé de devoir sans cesse recoudre ses cuisses. Il était trop lent sur ses appuis face à elle, face à d’autres aussi ! A bientôt quarante ans, il allait devoir sérieusement songé à reprendre l'entraînement pour rester dans le coup face à la jeunesse.

« Hum.. Pourquoi, tu aimerais que ce soit déjà fini ? » une question étrange. Qui ne le voudrait pas ? Lui.

Le mercenaire s’amusait beaucoup, oubliant presque que ce qui se jouait dans ce duel, c’était sa vie. Il n’était pas invincible et son inattention aurait pu lui coûter plus cher qu’une entaille à la cuisse. Il s’en remettrait. Toutefois, elle ne semblait pas avoir l’intention de dégager de son chemin, ce qui commençait à l’agacer et à nuire à la réussite de son opération.

« Je n’ai jamais compris comment les gens pouvaient tuer sans raison. En as-tu une, pour vouloir la mort de cet homme ? Qu’a t'il fait pour que tu acceptes de l’éliminer ? » Une façon comme une autre de connaître ses motivations. Au fond, il espérait qu’elle ait une bonne raison de vouloir sa mort pour ne pas avoir à jouer sa vie maintenant, pas avant d’avoir retrouvé sa fille. Un pervers, un pédophile, un assassin, voilà un tas de raisons qui pourraient le pousser à lui ouvrir la voie, mais la noirceur qu’il décelait en elle le laissait penser qu’elle n’avait plus besoin d’un motif valable pour ôter la vie.. une étape révolue, elle tuait pour tuer.. sans état d'âme ni remords.

« Où as -tu appris à te battre ainsi ? » Ses questions étaient saccadées. Il tournait, esquivait son épée et levait la sienne tantôt pour parer, tantôt pour attaquer à son tour. Cela faisait déjà de longues minutes que la tueuse et le mercenaire se livraient bataille. Sebastian commençait à devenir plus lent, moins alerte malgré une détermination sans faille. Ses adversaires étaient rarement à son niveau et l’homme pouvait en éliminer plusieurs en restant seul, mais ce duel là était d’un niveau bien différent.

« Cet homme serait prêt à payer le double de ton employeur pour que tu le laisses en paix. Regarde autour de toi, même le sol sur lequel nous nous battons est fait d’un matériau noble et hors de prix. »

Il sourit en coin, échangeant son glaive pour le second qui trônait derrière son dos, plus léger et malléable pour soulager ses bras. « mais tu ne fais pas ça pour l’argent n’est-ce pas ? .. » Triste vie. Comment pouvait-on en arriver à ce stade de résilience. Sa curiosité était piquée à vif.

Le combat prit une tournure délicate pour le mercenaire qui n’avait pas la fluidité et l’agilité de son adversaire. Face à des hommes, il était un être redoutable, des combats de force plus que des danses élégantes, lames en main. Rapidement, la fatigue vint cueillir ses muscles et dans ce jeu là, aucune faille n’était permise. La tueuse aux manières souples et au sourire carnassier le désarma et imposa sa présence sur son corps à terre, à peine sonné par le choc. Vulnérable ? Assurément. Mais la peur de mourir ne trouva pas sa place dans son esprit submergé de questions. Elle était si jeune et si sanguinaire, comment avait-elle pu en arriver là ? Lui-même n’avait sombré malgré un destin diaboliquement sombre et funeste. Cette femme avait dû vivre pire encore, car l’aura ténébreuse qui l’entourait n’était qu’un masque aux yeux du mercenaire. Certaines personnes étaient nées avec le vice dans le sang, pas elle. Il le sentait et pouvait aussi aisément se tromper.

« Cette position te plait-elle ? » lança-t-il avec un sourire narquois, omettant de sa tête la lame aiguisée à sa gorge, prête à lui ouvrir la porte d’un autre monde. Mourir ne l’effrayait pas, il ne comprenait d’ailleurs pas cette crainte presque viscérale qui habitait le corps de mortel. Toutes les histoires devaient avoir une fin, mais pas là, pas maintenant, pas sans elle.

« J’aimerais te dire que tu peux me tuer et de délecter de ta victoire. » Aucun frémissement, pas le moindre geste guerrier pour retourner la situation à son avantage, Sebastian était un homme plein de bon sens et il savait au fond de lui que ce combat-là était perdu d’avance. Jamais il n’avait failli à sa tâche ou reculer devant l’ennemi, mais il ne pouvait pas se permettre de mourir ce jour-là.

« Tue moi une prochaine fois. » Un aveu de faiblesse ? Elle pouvait l'interpréter comme elle le souhaitait, mais le visage de sa fille s’affichait avec une clarté déconcertante, ses souvenirs enveloppaient sa chair pour le pousser à capituler et à trouver une issue pour survivre sans arme. Avait-elle encore un coeur, derrière ses cheveux sombres comme une nuit sans étoile, derrière ce masque de glace et cette soif de sang et de combat ?

« Ma fille a été enlevée. Laisse moi la retrouver, laisse moi d’abord tuer lentement chacun de ses bourreaux de mes propres mains et alors, je te laisserai assouvir pleinement ta victoire. » En faisant couler son sang. « Dans une nouvelle bataille ou par simple consentement, tes règles seront les miennes. »

Ses connaissances étaient nombreuses après 30 ans de service, de rencontre et de voyages, il trouverait quelqu’un pour prendre soin de son enfant qui devait être devenue une jeune femme à présent. Le Loup blanc ne tremblait pas, il la dévisageait avec sérieux, ne cherchant pas à implorer sa pitié, juste une part de son âme encore capable de laisser un père sauver l’être qu’il aimait le plus sur ce monde avant d’accepter d’entendre les derniers battements de son coeur.