Neera | Wanderlust.

Boussole

I wanna swim away but don't know how. La fuite. La pluie. Les cris. Les grands pas dans le sol boueux, où ils glissaient plus qu’ils ne marchaient. Impossible de courir, il fallait être discret.
Depuis des années, ils se préparaient. Depuis des années, ils le sentaient.
Que tout se terminerait. Que tout s’écroulerait.
Et pourtant, ils n’auraient pas pu être moins prêts.

Ainsi, alors que la guerre les menaçait, océanides fuyaient. Père, mère et leurs deux enfants quittaient le havre de paix qui les avait vu vivre, qui les avait vu naître.
Générations de guérisseurs, ils avaient, lentement mais sûrement, au fil des années, réussi à gravir les échelons. Réussi à se faire une place de choix dans la hiérarchie, à devenir des médecins essentiels pour leur peuple et à en tirer une certaine glorification.

Mais leur peuple était haï, discriminé.
Et la guerre était en train d’arriver.
Tout cela n’avait plus aucune importance.
Leurs efforts. Leurs progrès. Leur rang.
Plus rien n’existait.

À la surface, ils fuyaient. Les amulettes, à jamais, ils porteraient.
Les bras de Ka’Hauni les accueillaient.
Là bas, ils repartiraient de zéro, se proposeraient comme soignants auprès de la famille Makani, tisseraient des liens avec eux sans pour autant retrouver leur noblesse oubliée.
Ils créeraient une nouvelle lignée, leur nom de Terre, Deh’Lussan, adopté.

Let my arms be the bay. Véritable oasis de douceur, Ka’Hauni fût une terre d’accueil bienveillante pour la gamine qu’était Neera. Insulaire, elle vivait au rythme des jours, oubliant naïvement le monde, oubliant les implications découlant de la malchance d’être née sirène.

Dans les bras de son île, elle apprit de nombreux arts, berçant son âme de poésie et de mélodies. Elle les apprécia tous. Écouta sereinement les saltimbanques. Admira silencieusement les tatoueurs. Mais quelques arts atteignirent plus particulièrement son cœur. La jeune fille apprit la danse, appréciant bouger telles les vagues tant adorées et elle apprit, à défaut de savoir dessiner, à créer des bijoux, faits de perles ou de pierres, dont elle couvrit ses proches. Tous se retrouvèrent à porter ces gages de son affection, fabriqués avec intention.

Dans les bras de son île, elle apprit à connaître les nombreux autres enfants, qui bercèrent sa vie de rires et d’aventures. Elle s’attacha à tous. Créa des souvenirs inoubliables avec leur aide. Chaque jour, ils se retrouvaient, pour jouer ou pour s’entraîner. S’inventaient des histoires incongrues et s’entraidaient dans l’apprentissage des nombreux artisanats de leur culture. Ils formèrent assez rapidement un petit groupe très soudé, qui était convaincu alors de rester amis pour la vie.

Dans les bras de son île, elle apprit à faire confiance aux adultes. À s’instruire de leurs conseils. Curieuse, elle évolua parfois parmi eux, cherchant à en savoir plus que ce qu’on lui enseignait à son jeune âge, réussissant souvent à glaner quelques connaissances. Évidemment, ses parents commencèrent dès son plus jeune âge à lui enseigner leur métier ancestral, à lui apprendre la guérison. Quand elle fût assez grande, elle aida à soigner ses amis, pour des broutilles puis pour des blessures plus sérieuses. Ses parents lui enseignèrent aussi, cependant, à cacher sa nature de sirène. À ne jamais ébruiter l’information.

The sun & the moon. Au fil des années, Deh’Lussan et Makani avaient fondé une relation toute en harmonie. Éternellement reconnaissants, les premiers veillaient à venir en aide aux seconds, se montrant bienveillants, des amis sincères en toute occasion.
Le terreau fertile de leurs liens donna l’occasion à l’amitié entre leur fille et les jeunes Makani de fleurir joliment. Des affections se développèrent et Neera passa beaucoup de temps avec eux ; en particulier avec Naïa.
Naïa était solaire. Naïa était une énergie indomptable, pétillante. Et pour Neera, parfois pessimiste, toujours calme et paisible, elle était complémentaire.
Elles avaient pourtant en commun la curiosité, le besoin d’apprendre et de découvrir, ainsi que la soif d’aventures. Et jeunes, enfants, quand elles ne partageaient pas ensemble leurs dernières découvertes, elles dessinaient ensemble des rêves de voyage.
Partir sur les mers était encore une chimère et fascinait sa camarade. Neera était parfois déçue d’avoir quitté si tôt son monde de sirènes, de ne pas pouvoir lui conter les paysages qu’elle y aurait vu, les péripéties qu’elle y aurait vécu. Et c’était une des nombreuses raisons d’en vouloir au monde, de s’indigner de ce qu’il était ; non pas parce qu’elle ne pouvait partager un vécu qu’elle n’avait pas eu, mais simplement parce qu’il n’avait jamais existé. Que les injustices envers son peuple lui avaient volé une enfance différente, lui avaient volé une part de ses origines.

Mais l’optimisme de sa camarade était contagieux. Elle était un rayon de soleil, vivifiant, après une journée pluvieuse.
Neera ne pouvait revenir en arrière, mais elle pouvait toujours rattraper le temps perdu.
Alors elle rêvait avec elle, prête à un jour, découvrir le monde. Effleurer, peut-être, l’univers qui aurait dû être le sien.

Leurs échanges réguliers façonnèrent la jeune femme, malgré leurs différences et Neera était prête à tout pour elle, pour être une aussi bonne amie que Naïa savait le faire.

The fool & the moon. Dans la famille, Neera n’était pas seule. Neera avait un frère ; cet inconnu qui allait et venait dans sa vie.
Jeune, elle l’admirait, cherchait son approbation et sa présence, mais plus elle vieillissait, plus elle abandonnait. Avait l’impression qu’elle ne le connaîtrait jamais.
Leurs différences avaient toujours été flagrantes et elle se souvenait que l’entente du frangin avec leurs parents était houleuse. Les raisons lui étaient encore vagues aujourd’hui, les problèmes lui ayant été épargnés quand elle était jeune.

Parfois, Neera avait des regrets, Neera aurait aimé faire quelque chose pour que sa famille demeure plus soudée.
Mais elle avait vu sa colère, elle voyait encore sa colère, même si jamais ils n’avaient parlé à cœur ouvert.
Elle essayait de le comprendre, mais il lui échappait. Il était une énigme
indéchiffrable, pour sa sœur qui paraissait comprendre tout le monde sauf lui.

Les liens s’étaient coupés de manière plus drastique lorsqu’il avait quitté l’île, il y avait quelques années, bien avant que la jeune femme ne le fasse aussi. Lorsqu’il était devenu pirate. Les échanges avec leurs parents étaient à l’époque encore plus difficiles, même s’il continuait de revenir vers eux, de persévérer de manière inconsciente et d’en profiter pour retrouver sa frangine. Neera avait toujours été heureuse de l’accueillir, d’écouter ses aventures, quelque peu envieuse.
Cela avait, à de nombreuses reprises, inquiété leurs parents, qui espéraient alors qu’elle ne suiverait pas ses traces.

Aujourd’hui, dans leurs voyages, tous deux se donnaient quelquefois rendez-vous pour se retrouver, pour discuter un peu. Ils semblaient venir de deux mondes différents, même si leur relation avait toujours été harmonieuse. Ils s’écoutaient sans se comprendre mais en se respectant et c’était le plus important.

Come sail away. Le premier voyage du Gwend’Anavir faisait partie de ses plus beaux souvenirs. Se joindre à l’équipage de Naïa allait de soit, était presque naturel ; une évidence. Le Monde l’attendait et le découvrir l’emballait. Sa famille l’avait même encouragée, chaleureusement encouragée. C’était rassurant. C’était avec une Makani qu’elle irait sur les mers; elle ne suivrait pas les traces de son frère.