An ominous meeting

[ En italique, Velizar parle par la pensée ]

Couronne retirée, sur son socle déposée, le Roi devait, ce soir, passer pour un homme parmi les hommes. Face à son reflet, il s’observait, et quiconque serait passé près de lui en cet instant n’aurait vu sur son visage que cette détermination qui était sienne à chaque seconde. Et pourtant, dans le regard d’ébène, brillaient, depuis peu, des incertitudes. Elles concernaient sa famille, ses buts, son entourage. Des années de préparation pour une guerre qui était maintenant sous ses yeux et qui ne le menait nulle part. Agir par la force et dans la peur n’avait fait que lui mettre un tas de bâtons dans les roues et maintenant que son visage était connu de tous, il ne pouvait qu’agir de sa Citadelle. Velizar changeait doucement de façon de faire, avait décidé d’user de nouveaux stratagèmes pour continuer sa conquête, mais il n’était sûr de rien. C’était une voie totalement inconnue qu’il empruntait car, si on lui avait appris comment corrompre et convaincre, on ne lui avait jamais enseigné la diplomatie. Et plus il avançait dans ses choix et ses questionnements, plus il se détachait de Nikolaï.

Le shaman attacha ses boutons de manchettes. La veste était noire, comme l’était le pantalon. Simples, tous les deux. Ni brodés, ni teints d’une quelconque armoirie. Homme parmi les hommes. Seul le tissu, de qualité, laissait envisager que le poteur était loin d’être pauvre. Velizar avait même défait ses chevalières. Il enfila une cape et s’en couvrit la tête. Un frisson le parcourut. La dernière fois qu’il s’était ainsi préparé à quitter la Citadelle sans mot dire, il s’était retrouvé dans les cachots des rebelles de Brynnterre. La torture, les blessures, tout lui revint en mémoire, lui qui travaillait pourtant si bien son déni depuis des semaines. Dans un grognement, le Roi attrapa la bougie qui trônait sur la commode, l’alluma et disparut.

Mettre les pieds sur Oshaara, même en temps de guerre, était un jeu d’enfant. Il suffisait d’y être allé une fois pour connaître les allées sombres et les ruelles d’Anhae. Ici, le commerce de lotus dominait les villes, la drogue embrumait les esprits. Velizar arriva dans le plus grand des calmes, dans la cour d’un bâtiment qu’il savait abandonné. C’était son lieu sûr quand il avait besoin de venir voir ses troupes dans le coin. Il rangea la bougie dans sa poche et étira ses pouvoirs délicatement, tâtant le terrain autour de lui. A sa connaissances, les Meada n’avait pas d’opale noire sous la main pour capter sa présence. Mais il valait mieux être prudent. Le Roi était incapable de ne pas se servir de sa magie. Aussi étira-t-il les lianes de son opale de façon subtile, prêt à effacer la mémoire de quiconque croiserait son regard. Au poignet, sa minuscule arme, ce bijou de sophistication fabriqué pour lui et pour lui seul, qu’il utiliserait en dernier recours s’il avait affaire à quelqu’un s’étant protégé de sa magie. Empoisonné, le carreau d’arbalète, évidemment.

Il trouva rapidement l’esprit de son oncle, connu depuis prés de trente ans, il le retrouverait toujours parmi mille autres. Velizar, marchant dans la pénombre, se rendit au lieu de rendez-vous, d’un pas assuré. A l’intérieur, il n’eut de regard pour personne d’autre que pour les deux shamans qui l’attendaient. Ni bonjour, ni attention envers le tenancier et les autres clients, il se connecta à chacun d’entre eux, prêt à intervenir si la moindre question traversait leurs pensées. Ses bottes traversèrent avec souplesse le plancher, on l’entendit à peine, prédateur parmi le troupeau. Il se stoppa près d’eux.

- Malka. Mislav, dit-il avec un léger geste de la tête pour chacun et un sourire arrogant au visage.

L’ébène se posa sur le repas de la brune. Velizar, trop absorbé dans la tâche qui était la sienne de surveiller les esprits de tous ceux qui les entouraient ne prit pas la peine d’effleurer ceux de ses interlocuteurs.

- Je suis ravi de vous retrouver tous les deux ici. J’avais justement une décision prise récemment dont je voulais vous faire part, cette invitation tombe à point nommé.

Il ne s’était pas assis. Le regard appuyé posé sur son oncle en disait long sur le fond de sa pensée. Le souverain avait tranché. Il avait décidé de lui accorder sa confiance. Dans les prochaines minutes, il saurait s’il avait bien fait ou non.

- Qui as-tu donc entre tes griffes, chère Malka, pour nous avoir fait venir tous les deux ?

Mislav était parfaitement capable de s’occuper des espions de la famille sans avoir besoin de Velizar. Cependant, Malka avait peut-être compris que c’était en agissant ainsi qu’elle lui prouvait sa loyauté.

- Y aurait-il un endroit où nous pourrions parler plus librement ? Demanda-t-il, toujours plongé dans la pénombre pour qu’on ne le reconnaisse pas.