Reached the border, now I'm climbing up the walls

Boussole

En résumé pour faire gagner du temps:

Spoiler:

On disait de la famille Nymeros que c’était du vin qui coulait dans leurs veines, et qu’ils avaient un gouvernail à la place du coeur. Ils prospéraient, depuis des générations, grâce à leur grand domaine viticole, réputé et apprécié, mais aussi, grâce à leur vivenef. Quatre générations plus tôt, le chef de famille avait eu l’idée d’épouser la fille d’un marchand de la guilde. En gagnant sa confiance et en prouvant sa valeur, il avait ainsi pu la rallier à son tour, et surtout, acheter un de ces bateaux miraculeux qui permettaient à leurs propriétaires de fendre les flots comme une lame trancherait du beurre. A partir de ce moment, le commerce du vin fut assuré uniquement et en direct par la famille Nymeros. Sans intervenant externes, les bénéfices furent énormes, la productivité augmenta et le domaine s’agrandit. Le domaine viticole, la récolte, le pressoir, la mise en bouteille et la vente étaient directement assurés par les membres de la famille et leurs employés. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Six ans avant la Bataille d’Anevine, le petit Célestin naquit. Une descendance, c’était tout ce qu’il fallait s’assurer, et cet enfant était en parfaite santé. Il était l’avenir du domaine, sans aucun doute. Lorenzo et Nyah étaient fous de leur fils, ils l’emmenaient partout avec lui et étaient bien décidé à tout lui apprendre du métier de vigneron et de navigateur. Célestin fut capable de cueillir du raisin, d’en vérifier la maturité et de différencier les différentes espèces en même temps qu’il sut marcher. Il adorait être dehors, au soleil, à courir entre les allées de végétaux, sa mère à ses trousses. Son père l’emmena sur le bateau familial pour son premier anniversaire. Les tâches étaient souvent divisées dans la famille, et Lorenzo, aimant la mère autant que sa famille, était celui qui s’occupait du commerce. Parfois, sa femme l’accompagnait, d’autres fois, elle restait aux commandes du domaine. Comme s’il avait ça dans le sang aussi, l’enfant n’eut aucun mal à s’habituer aux mouvements de la vivenef et en tomba littéralement amoureux. Il ne voulut plus quitter le bateau et accompagna son père partout. Il touchait à tout, bien que trop petit pour apprendre quoi que ce soit, et aimait particulièrement s’accrocher au mât de beaupré, inconscient du danger, non loin de la figure de proue, et regarder au loin, pour ne sentir rien d’autre que le vent dans ses cheveux et l’iode de l’eau.  

Ce court épisode de sa vie fut bref mais intense. Célestin était voué à une vie remplie d’amour et à un avenir parfait. Seulement, la vie en décida autrement. Il avait entre deux et trois ans, difficile à dire, quand le bateau de son père fut attaqué par des pirates. Leur vin avait une valeur de plus en plus grande et attirait les convoitises. La famille était parée à toute éventualité. Malheureusement, les pirates l’étaient également. Deux bateaux les attaquèrent en même temps que l’orage faisait rage. Il serait difficile de décrire avec précision les événements, mais il est très peu probable qu’un des membres de l’équipage est survécu. Ce jour-là, Nyah n’avait pas accompagné son mari en mer. Mais Célestin y était. Il ne comprit pas tout à fait ce qu’il se passait, il se rappela juste que son père le sortit de la cabine avec précipitation alors qu’il dormait. Il le posa dans un canot et ordonna à d’autres membres de l’y rejoindre, mais la vivenef se retourna à ce moment-là. Célestin disparut sous les flots enragés, emportant avec lui la chevalière de son père qu’il lui avait arraché du doigt en tentant de lui attraper la main.


Il s’éveilla le lendemain dans les bras d’un parfait inconnu. Il pleuvait des cordes et il était sur une plage qu’il n’avait encore jamais vue. L’homme l’amena chez lui, le sécha et lui donna à manger. Le petit, méfiant, refusa de lui adresser le moindre mot. Il apprit par contre que son hôte s’appelait Fagin Brekker. Il vivait dans une vieille cabane retapée, sur une plage, pas trop loin de la ville mais juste assez pour se faire oublier. Fagin pêchait et vendait son poisson. Enfin, officiellement. Parce que le jour du marché, il passait plus son temps à voler des bourses qu’à réellement vendre les trois poissons qu’il pêchait dans la semaine. Il faut dire que le rhum qui venait de Ka’Hauni avait un sacré coût. Il garda le petit sous son aile, demandant d’abord à la ville voisine si quelqu’un le connaissait. Mais il se rendit aussi vite compte à quel point les gens lui faisaient beaucoup plus confiance avec un petit sous le bras. Et comme ce petit s’obstinait de toute façon à ne pas parler, et que rien sur lui ne pouvait l’aider à savoir d’où il venait, Fagin décida de le nommer Cyan à cause de la couleur envoûtante de ses yeux.

Les jours passèrent et, puisque Cyan ne faisait rien d’autre que tourner son seul objet personnel entre ses doigts, sa chevalière, Fagin lui apprit à distraire les gens qui passaient près de son étal pour que lui puisse les voler. Ce fut le début de sa nouvelle existence. Cyan passa les années suivantes à apprendre à voler à la tire. Évidemment, entre temps, il se mit à parler et il apprit qu’il était sur l’île d’Oshaara. Mais plus il grandissait, moins il se souvenait de sa vie d’avant. Il en avait quelques flashs, des champs de vignes, le soleil réchauffant sa peau, le vent dans ses cheveux face à la mer, le sourire d’une mère aimante, mais rien d’assez clair. Il garda, à jamais, la chevalière à son doigt.

Fagin finit par l’adopter, pour pouvoir répondre aux questions des gens trop curieux. Après tout, il avait fait une bonne action non ? Alors, Célestin Nymeros, qui n’avait plus aucun souvenir de son nom et de sa famille, devint Cyan Brekker. Et Fagin décida de ne pas s’arrêter là. L’aide d’un enfant étant particulièrement lucrative, il se mit à récupérer tous les gamins abandonnés du coin. Ceux déposés devant les bordels, perdus dans les rues, retrouvés sur les plages. Sept ans plus tard, ils était huit et Cyan était le petit chef de cette troupe. Fagin ne les suivait même plus, Cyan savait très bien ce qu’il avait à faire et ce qu’il devait ramener à son père adoptif. Il ne se posait aucune question à vrai dire. Il apportait de l’argent, et il était nourri et logé, c’était devenu son quotidien. Et il était aussi devenu expert dans le fait d’éviter les coups de ceinture quand ils pleuvaient. Fagin ayant des tendances violentes après une demie bouteille de rhum, Cyan fuyait facilement sa proximité en rentrant à la maison. Maison qui, d’ailleurs, fut changée à plusieurs reprises. Quand les habitants d’une ville commençaient à repérer leur manège, ils la quittaient pour une autre. Finie la petite cabane en bord de mer, Fagin et ses voleurs vivaient dans les bas quartiers des villes et passaient aussi inaperçus que les rats.

Cyan n’apprit ni à lire ni à écrire, il ne comprenait rien à la géographie ou à la politique. Il n’avait que faire des guerres ou des espèces différentes. Il voulait juste survivre. Et puis, Smcky arriva, Smoky Brekker. Elle portait probablement un autre nom, mais c’est sous celui-ci que Cyan la rencontra quand Fagin l’amena à la maison. Elle avait sept ans, c’était la première fois qu’un enfant arrivait aussi vieux à la maison. C’était aussi la première fille. Et Cyan n’eut d’yeux que pour elle dès qu’elle passa la porte. C’était inexplicable, mais en quelques minutes, elle était devenue sa meilleure amie. Il fut chargé de lui faire visiter ce qui leur servait de maison, ce dépotoir où chacun avait négocié un petit bout de territoire. Puis il lui expliqua comment ils vivaient, leur rôle à jouer. A partir de cet instant, ils furent inséparables. Cyan lui apprit les ficelles du métier, et à deux, ils devinrent atrocement bons dans le vol. Ils inventèrent tout un tas de scenarii pour amadouer les gens et rentrèrent toujours les poches pleines. Cyan était toujours la fierté de Fagin, son meilleur élément. Il ne bossait que pour son père adoptif, sans se rendre compte à quel point sa vie allait de travers. Pour ses dix ans, Fagin lui offrit une gourmette en argent, portant son nom et son prénom. Avec lui, Cyan avait appris à se méfier. Pourtant, il n'aurait su dire s'il l'aimait ou non. Il était presque certain qu'en cas de réel danger, il l'abandonnerait sans état d'âme, sans compter les coups de pieds et de ceintures récurrents. Et pourtant, il s'inquiétait vraiment pour lui quand il ne rentrait pas à l'heure.

Deux ans plus tard, ils connaissaient la ville sur le bout des doigts, ils lisaient presque dans la tête l’un de l’autre, réussissaient toujours leur coup, et surtout, ne se laissaient jamais tomber. C’est probablement ça qui déplut le plus à Fagin. Il avait l’habitude d’être le seul être pour qui Cyan vivait. Mais avec Smoky dans les parages, il n’existait plus. Fagin l’avait pourtant expliquer, c’était l’argent avant tout. D’abord on sauvait l’argent, ensuite le membre de la bande en danger. Si ça compromettait la bande entière, ou lui-même, on le laissait tomber. Mais pour Smoky, Cyan était prêt à tout. Plus ils grandissaient, moins ils rentraient à la maison. Ils avaient pris l’habitude de s’installer sur les toit de la ville pendant des heures, juste à deux. Leur quotidien était simple, voler les bourses, les donner à Fagin, avoir un toit où s’abriter en échange, quelques morceaux de nourritures. S’ils se faisaient remarquer, ils fonçaient tout droit dans les champs de lotus pour y perdre leurs poursuivants grâce au smog. Les habitants des alentours devenaient méfiants envers les enfants à cause de cette petite troupe. Mais Cyan se moquait bien de ce qu’on pensait de lui, tant qu’il avait Smoky. Ils faisaient aussi les quatre cent coups ensemble, montant des plans d’arnaque de plus en plus élaborés. Ils parlaient du jour où ils fuiraient tout ça. Ils s’achèteraient un bateau  et feraient le tour du monde. Un jour, elle lui demanda d’où il venait. Il répondit « d’un endroit où il y a du soleil », parce qu’il fut incapable d’en dire plus. Il avait tout oublié.

Quelques années plus tard, et après leur millième coup de ceinture, Cyan et Smoky décidèrent de fuir et de laisser Fagin derrière eux. Cyan avait quinze ans environ, lui qui n’avait jamais vraiment connu son âge. Tout était prêt. Durant des mois, ils avaient mis de l’argent de côté, ils avaient trouvé quelqu’un capable de leur faire de faux papiers, et ils avaient même prévu une place sur un bateau du port le plus proche. Ils voulaient quitter le continent et ne plus jamais y mettre les pieds. Main dans la main, sac sur l’épaule, sûr d’eux, ils avaient quitté la maison sans se retourner. Malheureusement, Fagin avait dû s’attendre à ce coup en traître, parce qu’il envoya deux mercenaires à leurs trousses. Il faut dire que ces gamins étaient les meilleurs de sa bande, sans eux, il courrait à sa perte. Et c’était sans parler du fait qu’ils connaissaient tout de ses combines et qu’ils pourraient le balancer quand ils le voudraient. Il voulait leur donner une bonne leçon, leur foutre la trouille et les obliger à rentrer à la maison. Cyan et Smoky étaient presque arrivés au port quand les mercenaires les rattrapèrent. Ils se défendirent comme ils purent, mais ils étaient jeunes et peu armés, hormis un poignard que possédait Cyan. Après s’être fait voler leurs sacs et tout ce qu’ils avaient dedans, ils réussirent à prendre la fuite, mais les deux hommes payés par Fagin continuèrent à les suivre. C’est en passant sur un pont, au-dessus d’une rivière déchaînée, qui faisait monter en Cyan des souvenirs enfouis, qu’il eut une idée. Il attrapa le poignet de Smoky, traversa en courant, la poussa sur l’autre rive, puis coupa les cordes du pont suspendu alors que les deux autres montaient dessus. Cyan eut tout juste le temps d’un dernier regard pour Smoky. Le pont céda, l’emportant lui, ainsi que ceux qui pouvaient réduire à néant les espoirs de son amie.


Quand il ouvrit les yeux, la première chose que Cyan vit fut une tête blonde au sourire sarcastique. L’homme l’attrapa par le col et le releva sans effort apparent. Cyan avait dérivé du cours d’eau jusqu’à la plage, peut-être même sur une autre île. Il était blessé à plusieurs endroits mais surtout, il ne se souvenait pas de ce qu’il faisait ici. A vrai dire, il ne se souvenait de rien du tout. C’était le choc. Il avait du prendre un sacré coup sur le crâne, lui expliquèrent les membres de l’équipage du bateau dans lequel on l’entraîna. Gavril, le capitaine, était tombé dessus par hasard. S’était-il levé du bon pied ce jour-là ? Ou avait-il vu en ce gamin abandonné et blessé le reflet de sa propre histoire ? Impossible de savoir pourquoi. Toujours est-il qu’il avait décidé de le faire monter à bord et de le faire soigner. Cyan n’avait que trois objets sur lui : une gourmette en argent sur laquelle était écrit « Cyan Brekker », une chevalière en or surmontée d’un joyau noir gravé d’un N, et un poignard. Ils furent tous persuadé qu’il allait retrouver la mémoire rapidement. Mais les jours passèrent, et rien ne revenait à Cyan. Rien d’autre qu’un sentiment d’urgence, comme s’il devait fuir à tout prix. Sa chemise crasseuse et son pantalon trop grand laissaient imaginer qu’il n’avaient pas de hautes origines, mais les deux bijoux semblaient prouver le contraire. Il était difficile pour lui de comprendre d’où il venait, et peut-être qu’une part de lui n’avait pas envie de le savoir. Sur le bateau, il ne pouvait être nourri que s’il se montrait utile. Alors Cyan apprit tout ce qu’il pouvait auprès des marins. Enfin…. Des pirates. Parce que c’est ce qu’étaient Gavril et son équipage. On lui lança d’abord une serpillière et il passa des semaines, peut-être des mois, à récurer le pont. Sa situation aurait pu paraître déprimante, mais elle était loin de l’être. Parce que Cyan apprit surtout à ne pas se laisser faire. Face aux autres marins, il releva la tête et grogna contre cette place inutile qu’il avait. Et plus il grognait, plus on lui faisait nettoyer le pont et autre crasses du bateau. Mais plus il nettoyait, plus Gavril lui montrait un tas d’autres choses en parallèle. Il lui apprit à gérer les voiles, à comprendre la navigation, à se repérer, à faire partie intégrante de ce tout qu’était l’équipage. Cyan n’avait rien d’autre que ce bateau dans sa vie. Et il y était à l’aise comme s’il avait vécu toute sa vie sur l’eau.

Il apprenait vite parce qu’il voulait qu’on le considère comme autre chose que le larbin de service. Cyan n’eut pas une seule seconde l’envie de se renseigner à propos de son passé. Auprès de l’équipage du Calypso, il apprit la géographie de son monde, les oppositions entre les peuples, et surtout, surtout, à ne respecter que les règles de son capitaine, et rien d’autre. Gavril était souvent sévère et attendait beaucoup de sa troupe, et si au départ ça effraya un peu Cyan, il comprit rapidement que ce comportement ne faisait que cacher le côté protecteur qu’il avait envers son équipage, envers son bateau et aussi envers lui, le jeune repêché presque mort. Cyan travailla dur pour être à la hauteur, pour que son capitaine soit sûr de lui. Et de mousse, il devint matelots, puis voilier. Têtu, il tenait tête à tout le monde, cherchant encore à trouver sa place, lui qui ne savait même pas qui il était. Mais il suffisait d’une tape de Gavril derrière sa tête pour qu’il se calme. Cyan devint un équipier très pratique car il se trouva un réel dont dans le vol à la tire. Il savait passer inaperçu, sur un bateau comme sur terre, et était aussi capable de crocheter toutes les serrures qui se trouvaient sur son chemin. La seule loi qu’il connaissait était celle qui régnait sur le bateau. Le monde extérieur n’était qu’un vaste terrain de chasse.

Les années passèrent, Cyan faisait désormais partie intégrante de l’équipage. Il y avait sa place et il savait qui il était. Un pirate qui ne respectait rien d’autre que les ordres de son capitaine. Cyan avait appris à vivre pour lui, pour son propre compte, se moquant bien des retombées de ses actes. Il manquait cruellement d’empathie et se montrait de plus en plus moqueur. Il faut dire que pour survivre à cette vie de pirate dans laquelle il avait été jeté, il avait dû se forger une carapace d’arrogance et de condescendance. Il n’avait pitié de personne et ne réfléchissait jamais aux conséquences. Les seules choses qu’ils s’interdisaient de faire étaient celles qui auraient un impact direct sur le bateau et son équipage. De port en port, il fit des promesses, regarda pleurer des filles, il vola des hommes. Aucune conscience ne l’empêchait de respecter les ordres de son capitaine.

Et puis un jour, Garvil les mena à leur perte. Pour la troisième fois de sa vie, sans en avoir conscience, Cyan se retrouva à l’eau. Cette fois, il réussit à s’en sortir à la nage. Depuis ce jour, il vogue d’île en île, montant dans les bateaux qui recherchent un membre d’équipage, effectuant des missions pour eux, et rentrant au port pour dépenser son argent jusqu’à plus soif. Il y eut même une période où il ne se déplaça qu’en barque, à défaut de trouver une place vacante dans un vrai navire, mais ça, il refusera de l’avouer. Jusqu’à ce jour où, par le plus grand des hasard alors qu’il était en train de vider une bouteille de rhum à Kelona, il entendit qu’un navire du nom de New Calypso venait d’amarrer.