Sanborn – Rien n’est plus beau que la vie, si ce n’est d’être libre de la vivre

Boussole La légende du Dragon des Mers
« Je m’élèverai au niveau des plus beaux dieux des sept archipels et naviguerai à leurs côtés. »

« Dis maman… si nos ancêtres sont responsables de la disparition des dragons, pourquoi on a autant de respect pour eux aujourd’hui ? », Sanborn, huit ans, sait déjà poser les questions qui fâchent lorsque cela concerne un sujet qui l’intéresse. Et les créatures des temps anciens font indéniablement partie de ces derniers. « Eh bien, tu vois, les hommes évoluent. Certains progressent et se rendent compte que les actes passés étaient mauvais. Tes proches aïeux ont compris que ces créatures étaient aussi magnifiques qu’importantes. Les vénérer, c’est un moyen de faire amende honorable. », elle a toujours procédé ainsi, sa mère. Lui parler normalement, sans le considérer comme un enfant – bien que ce soit pourtant ce qu’il est. Quand ils discutent tous les deux de contes, de légendes, d’anciens géants ayant régné jadis, il n’y a que la passion qui compte. « Quand je serai grand, je prendrai le large sur la plus incroyable des vivenefs. Je parcourrai les océans et m’élèverai à la hauteur des dragons des mers ! Peut-être que comme ça, ils se montreront. T’as dit qu’ils étaient tous morts mais c’est pas possible, hein ? On peut pas faire disparaître autant de dragons comme ça. », elle ricane, amusée par l’aplomb dont son fils fait déjà preuve à son âge. « C’est tout ce que je te souhaite, champion. Mais en attendant, il faut que tu dormes. Ton père a besoin de toi en forme demain, Dragon des Mers. », elle se lève, remonte la couverture et finit de border Sanborn, finissant le rituel en éteignant la bougie d’un souffle.

L’enfance de Sanborn n’est pas à plaindre. Né sur l’île de Feyr, il a toujours profité de l’amour de ses deux parents. Kieran Wayland, son père, suit la tradition familiale en étant charpentier, créateur de vivenefs pour les marchands accrédités. Un travail qui a toujours fasciné le jeune Sanborn qui, dès qu’il a su marcher et comprendre les choses, s’est mis à suivre son père sur les chantiers – emmagasinant tous les savoirs théoriques tombant dans ses petites oreilles jusqu’à atteindre l’âge où il a enfin pu commencer à mettre ses connaissances en pratique. Il se souvient encore des nombreux conseils de Kieran, des phrases qui modèlent encore sa vie aujourd’hui, étant la base de son travail. « Il n’y a aucun son plus beau, plus mélodieux et agréable à mes oreilles que celui d’une vivenef qui s’éveille, qui prend vie au fur et à mesure de l’agencement du bois sous nos mains. » ; « Tends toujours l’oreille en leur présence, Sanborn. Une vivenef saura te guider mieux que personne sur les réparations à effectuer mais sois respectueux. Si tu captes des discussions privées, fais mine de rien. »… Jenny Wayland, sa mère, est originaire de Thraëll. Elle a quitté son île des quatre vents en tombant amoureuse de Kieran et de l’histoire de sa contrée. Pour elle, c’est un allé sans retour qu’elle n’a jamais regretté.

Il avance péniblement, sa charge dans les bras tandis qu’il fait son possible pour circuler à travers le chantier. La vue devant lui masquée par le fait d’avoir emporté plus de planches de bois qu’il ne peut raisonnablement en ramener, Sanborn fait de son mieux pour ne pas faire de dégâts en percutant un autre ouvrier, des outils ou des piles. Si cela se passe bien sur quelques mètres, son pied vient buter sur une surface dure, faisant vaciller l’équilibre déjà bien précaire du garçon. Il se retrouve à basculer dangereusement vers l’avant tandis que sa précieuse cargaison lui échappe, tombant en direction d’un ouvrier qui a la malchance de passer précisément à cet instant dans la trajectoire des planches. « Attention ! », bras tendus dans un espoir vain de rattraper sa maladresse, Sanborn n’a que le temps d’un clignement des paupières avant de se retrouver étalé sur le sol poussiéreux. Levant les yeux en direction de la catastrophe qu’il s’attend à voir, ses yeux s’écarquillent en voyant l’homme en voyant l’homme toujours debout, sans égratignure, le regard stupéfait devant le bois amassé autour de lui. Rapidement, d’autres personnes alertées par les hurlements arrivent sur place – Kieran en tête. Lorsque Sanborn se relève et que toute la scène est expliquée, son père le regarde avec un sourire – une lueur de fierté dans les pupilles que le gamin ne parvient pas à comprendre. Il vient juste de manquer de tuer quelqu’un. Qu’est-ce qui peut à ce point ravir son père ? « Kenelm m’a tout expliqué. Les planches ne l’ont pas touché – à peine effleuré au tout dernier moment. Ils ne comprennent pas mais pour moi, c’est évident. Tu es un shaman, un héritage de ma part. Et du même ordre que moi, il semblerait. Tout va bien se passer, San. Je vais t’apprendre à contrôler tes pouvoirs. », sur le coup, bien des mots restent incompris du gamin de onze ans. Mais plus tard, il ne cessera d’être redevable envers son père pour l’avoir formé à la maître de ses dons.

Il existe un nouveau monde
« Le temps du départ est venu. Je prends le large, sans jamais oublier d’où je viens. »

« Alors c’est décidé, tu t’en vas ?
— J’adore mon travail et ma vie ici mais… c’est mon rêve depuis que je suis gamin. Aujourd’hui, j’ai l’opportunité de le concrétiser.
— Et qu’est-ce que tu fais de moi ? De nous ?
— Viens avec nous. Embarque sur le navire. Je peux plaider pour toi auprès du capitaine. Je t’aiderai à trouver ta place parmi l’équipage. Qu’est-ce que t’en dis ?, les yeux emplis d’espoir, il attend sa réponse. C’est la meilleure idée qu’il ait, la seule capable de concilier son amour pour elle avec celui qu’il porte à l’océan.
— C’est impossible et tu le sais très bien, Sanny. Même si je le voulais, je… pourrais pas., elle secoue la tête, l’air sincèrement désolé et peiné quand elle comprend ce que ce refus implique désormais. » Un voile de tristesse sur son propre visage, Sanborn secoue la tête avant de venir enlacer cette femme avec laquelle il a partagé quelques années de sa vie – qui comptent déjà parmi les plus belles, il en est certain mais il ne peut rester sur cette île. Pas quand l’opportunité de découvrir le monde se présente. « Je suis désolé. Sincèrement désolé. », il vient poser ses lèvres contre les siennes une dernière fois, une ultime déclaration avant de se retourner et de prendre le large.

Sanborn a dix-huit lorsqu’il embarque sur le Cassidy – un navire bien connu de sa famille. C’est sans doute pour cela que c’est vers les Wayland que Nigel Atherton se tourne lorsqu’il doit recruter un charpentier pour son équipage. Étant jeune, doué et prêt à partir sur les flots depuis toujours, Sanborn ne se pose aucune question particulière lorsque le capitaine l’invite à le rejoindre. Il ne s’en pose pas plus quand son père accepte de le laisser partir – lui faisant toutefois promettre de poursuivre l’apprentissage de la magie. Le Cassidy et son équipage restent quelques jours à quai avant qu’enfin le moment n’arrive et que, pour la première fois de sa vie, Sanborn quitte terre.

L’ère du Cassidy
« Le jour où j’ai compris le véritable sens du mot liberté. »

Sur le bâtiment, le garçon apprécie chaque seconde passée en mer, savourant constamment sa chance d’être sur une vivenef aussi splendide – quoique grognon sur certains sujets. Il développe un lien privilégié avec le navire, bien plus qu’avec la plupart des autres membres de l’équipage. À vingt-cinq ans, il devient officiellement le charpentier du Cassidy mais les années passant, les secrets refaisant surface, il en vient à apprendre certaines choses qui viennent balayer des certitudes ancrées depuis des années…

Quasiment neuf années qu’il n’est pas revenu sur sa terre natale. Presque une décennie à braver les flots, à gorger sa mémoire de souvenirs et d’expériences inoubliables. D’aventures qu’il est impatient de relater aux siens. Ce retour à Feyr est une véritable joie pour Sanborn qui peine à se contenir. Il est l’un des premiers matelots à débarquer, souhaitant profiter le plus possible de son quartier libre pendant que d’autres de ses camarades ont la charge de débarquer la marchandise et de prendre la nouvelle. Sans attendre, il se rend à son ancienne maison familiale – ce n’était pas grand-chose, une vieille bicoque dans laquelle il était pourtant heureux de vivre, entouré de ses parents. Arrivé devant, pourtant, Sanborn capte immédiatement que quelque chose n’est pas normal. La chaleur de retrouvailles qu’il s’attendait à ressentir se transforme soudainement en douche glacée à la vue de ce qu’il appelait autrefois « sa maison ». Dans ses souvenirs, c’était différent. Dans ses souvenirs, ce n’était pas aussi délabré, pas aussi peu entretenu. Les fissures ne lézardaient pas autant les murs – et avec une profondeur moindre –, les fenêtres n’étaient pas brisées, le toit ne donnait pas l’impression de pouvoir s’effondrer à tout instant… tant de détails qui n’échappent pas au Wayland dont la gorge se noue devant cet affligeant spectacle. Refusant de se laisser totalement abattre – et décidant d’écouter une légère étincelle d’espoir –, il pénètre à l’intérieur, s’époumone en appelant ses parents sans jamais obtenir de réponse. Rien d’étonnant à ce silence : l’intérieur n’est guère mieux lôti. Des restes d’un repas abandonné et moisi sur la table, des meubles sans dessus-dessous, au moins cinq couches de poussière à tous les niveaux… personne ne vit plus là depuis des années. Une constatation qui serre un peu plus le cœur de Sanborn tandis que les larmes commencent à perler au coin de ses yeux, coulant le long de ses joues au fur et à mesure du scénario cauchemardesque qui se dessine dans son esprit. Retenant un grondement sourd, incapable d’accepter ce qu’il pense avoir compris, il prend la direction du chantier naval. Là-bas, il cherche frénétiquement des réponses aux questions qui l’assaillent tout en essayant de contrôler le flux violent de toutes ces émotions qui manquent de l’engloutir. « Mais c’est… mais si, bien sûr ! Je n’rêve pas, c’est le p’tit Sanborn ! Tu as grandi, j’ai failli pas te reconnaître. », il se retourne, pris par surprise ; la main saisissant automatiquement le manche de sa dague, prêt à dégainer en cas de danger. Il scrute le visage de l’homme, l’analyse et soudain, il arrive à mettre un nom sur ce dernier. A l’époque, les cheveux étaient un peu moins gris, le dos moins courbé et les rides moins marquées mais il n’a désormais plus aucun doute sur l’identité de cet homme. « Kenelm ! Vous avez… presque pas changé. Je… je suis en permission jusqu’à demain. Je cherche mes parents, vous les avez vus ? Ils… hm, ils ne sont pas à la maison. Si vous savez quelque chose, dites-le moi, je vous en prie… », le regard suppliant inspirerait la pitié à n’importe qui. Sanborn est à deux doigts de craquer, de hurler à la face du monde combien il le déteste soudainement. « Je suis désolé, mon garçon… vraiment désolé. », la mine précédemment rayonnante de Kenelm se ferme soudainement à l’entente de la requête du jeune homme. A cet instant, Sanborn n’attend plus la moindre bonne nouvelle mais il doit savoir. « On ignore ce qui s’est passé. Du jour au lendemain, ils ont disparu et personne n’a plus jamais eu de nouvelles. C’était il y a des années et… je suis désolé, c’était des gens biens qui méritaient pas ça. », et soudain, le monde de Sanborn s’écroule.
Ce soir-là, il a passé des heures dans une taverne – à noyer son chagrin et sa frustration dans de l’alcool bon marché, se fichant bien du mauvais rhum qui lui brûle la gorge, espérant même peut-être que ce dernier ait raison de lui. Il boit sans compter, au point de ne plus savoir où il est, ni qui il est. Il ne se souvient même pas avoir séduit cette jeune femme, être reparti avec elle à son bras pour finir par passer les dernières heures nocturnes en sa compagnie. Il n’a toujours aucun souvenir de ce qui s’est passé à l’abri des regards. Ce qu’il sait, en revanche, c’est qu’il se réveille dans un lit le lendemain, qui plus est dans un endroit qu’il ne connaît pas. Ne cherchant pas plus à comprendre, il attrape ses vêtements qu’il enfile sans attendre, saisit ses affaires et passe la porte pour retrouver son équipage. Se faisant intérieurement la promesse de ne plus revenir ici, de ne plus débarquer lors d’escales sur cette île mais de toutefois faire la lumière sur toute cette histoire.

Cette fois-ci, ça aurait pu très mal se terminer. Quand il y repense, il en vient parfois à se dire qu’il aurait sans doute mieux valu que le capitaine meurt ce jour-là – cela aurait épargné bien des années de souffrance. Seulement, il s’est retrouvé à intervenir. Pas à cause de cris, ni de hurlement d’aucune sorte, ni même du silence. Sanborn débarque simplement soudainement dans le bureau de Nigel afin de le prévenir qu’une terre est en vue et qu’il est bientôt question d’accoster. C’est là qu’il le voit ; Nigel Atherton, en train d’étouffer sans raison apparente, ses mains sur le cou, sa tentative infructueuse de fournir de l’air à ses poumons. Un rapide regard en direction de son fils, au sol et en pleine panique, que l’évidence le frappe. Ni une, ni deux, il se précipite vers le garçon, s’agenouillant et posant doucement ses mains sur ses épaules dans un contact qu’il souhaite rassurant. « Calme-toi, petit. Respire… écoute ma voix. Il faut que tu reprennes le contrôle de tes émotions, d’accord ? Inspire, expire, inspire, expire… », il continue de lui parler, de l’inviter à se maîtriser afin de relâcher son emprise. Ce qu’il parvient à faire au bout d’efforts que Sanborn connaît bien. La pression relâchée, Nigel s’écroule à son tour sur le sol. Si le capitaine Atherton n’a plus reparlé à son fils pendant des mois après cet incident, Sanborn s’est montré particulièrement présent. Connaissant Roan depuis sa naissance et sachant désormais qu’il est un shaman, il était inconcevable de le laisser avancer seul dans cette démarche. Dès lors, le Wayland prend le garçon sous son aile – n’ayant pas eu à beaucoup forcer auprès de son père pour le convaincre – et lui apprend les savoirs théoriques sur les shamans ainsi que les savoirs pratiques. Certes, leur magie est différente mais le principe fondamental reste le même : la maîtrise de ses émotions. C’est la clé pour maîtriser ses capacités, qu’importe l’ordre auquel on appartient.

Cela fait plusieurs années qu’il les voit et qu’il baisse les yeux – comme toutes les autres personnes à bord. Les actes de maltraitance du capitaine – leur si grand et fort capitaine – envers son propre fils pour un oui ou pour un non. Bien sûr, le charpentier comprend que Nigel attende le meilleur de la part de Roanoke – son propre père attendait toujours le plus haut de la part de Sanborn mais jamais, au grand jamais, il n’a levé un doigt sur lui. Alors il n’arrive pas, il ne comprend pas comment on peut à ce point être aussi violent envers la chair de sa chair. Ce n’est pas ainsi qu’il a été élevé, pas ainsi qu’on lui a appris à voir les choses. Et cela fait trop longtemps qu’il fait semblant de ne rien voir. C’est donc seul et de sa propre initiative qu’il se rend dans la cabine du capitaine Atherton, frappant trois coups secs sur la porte en bois jusqu’à entendre l’autorisation d’entrer. « Sanborn ! Que puis-je faire pour toi ?
— J’aimerais te parler franchement, si tu me le permets.
— Je t’écoute. » Sanborn prend quelques secondes, choisissant minutieusement ses mots avant de se lancer. « Tu es trop dur avec Roan. Il fait ce qu’il peut et les erreurs font partie de l’apprentissage. Et tu peux le réprimander pour ses fautes mais pas en le maltraitant. Enfin, c’est ton fils !, il s’emporte malgré lui sur la fin, conscient qu’il risque de le regretter.
— C’est ta façon de remettre en doute mon autorité ?
— Nigel…
— La manière formelle de t’adresser à moi est capitaine., Sanborn sent ses muscles se tendre, parfaitement conscient de l’avoir énervé mais il se doutait bien que cette conversation n’aurait rien d’agréable. Évidemment, tu pouvais pas te contenter de faire comme tout le monde et de ne rien dire. Garde bien une chose à l’esprit : sur ce navire, tu m’appartiens parce que c’est ainsi que ça s’est passé avec ton père.
— Qu’est-ce qu…, il a peur de comprendre. Peur de saisir le sens de cette annonce. Il aimerait que ce ne soit pas ça mais le sourire mesquin d’Atherton tend malheureusement à aller vers cette idée.
— C’était un accord passé avec Kieran. Peu de temps après ton dix-huitième anniversaire, je revenais te chercher pour faire de toi un mousse. » L’annonce est dure à encaisser, Sanborn sent sa poitrine se soulever frénétiquement sous le choc malgré tous ses efforts pour ne pas faillir. Son propre père… il n’est pas le saint homme qu’il avait à l’esprit. C’est dur à croire mais soudainement, il n’a pas la force d’aller à l’encontre de ses paroles. « Alors si tu tiens à rester parmi nous, je te conseille de m’obéir et de ne plus remettre mes décisions en cause, c’est compris ?
— A tes ordres, capitaine. » Plus le temps passe, plus cet homme le dégoûte profondément. Il le pensait son ami avant de réaliser que ça n’a jamais été le cas. Un réveil brutal, prémisse d’une chute qui le sera autant si ce n’est plus. Mais pas nécessairement pour la personne à laquelle on pense.

L’Orgueil entame sa chevauchée
« Un seul survivant par bateau coulé. C’est ce qu’il faut pour faire naître une légende et lui permettre de se propager au plus d’oreilles possibles. C’est ainsi que débute notre histoire. Celle du Sin Slayer. »

Ce n’était qu’une question de temps… avant que n’éclate la tempête de la révolte. Il ne suffisait que d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Lorsque la mutinerie arrive fatalement, c’est sans la moindre hésitation et sans aucune ambiguïté possible que Sanborn se range aux côtés de Roanoke. Ce gamin a infiniment plus de valeurs morales que n’en aura jamais eu son père au cours de sa vie. Il se bat, n’hésitant pas à planter sa lame dans les entrailles de ceux qu’il a un jour nommés ses « compagnons » – ceux qui approuvent l’attitude de Nigel Atherton ne méritent pas sa clémence. Il peut comprendre que chacun ait eu peur pendant des années mais pas que cela continue quand l’occasion de renverser la tyrannie s’offre enfin. La révolte est sanglante, violente et elle se termine par la perte de bon nombre de matelots. Nigel Atherton n’est plus, son corps sans bien basculé par-dessus bord. Ceux qui lui sont restés fidèles n’héritent guère d’un meilleur traitement : certains font également le grand plongeon quand d’autres simplement abandonnés sur des îles désertes. Roan à la tête du navire, c’est une nouvelle ère qui commence. Il entame celle-ci en changeant le prénom de la vivenef. Le Cassidy est officiellement déclaré détruit, remplacé par un pavillon pirate et un nouveau nom qui résonne dans bien des têtes aujourd’hui : le Sin Slayer. « Elle préfère de loin cette appellation. », laisse Sanborn, après avoir senti un léger craquement du bois lors de l’annonce officielle. Il a toujours senti qu’il avait tissé un lien particulier avec cette vivenef. Normalement, cela se fait surtout avec les capitaines mais le fait que la famille Wayland soit celle qui ait donné vie à celle-ci l’a poussé à conserver un certain lien de fidélité ; quoi qu’il ne doute pas non plus de la loyauté de ce bateau envers son nouveau capitaine, Roanoke.

C’était il y a dix ans. Le Sin Slayer a roulé sa bosse depuis. Navire pirate qui s’en prend aux autres bâteaux transportant des cargaisons inacceptables, ceux qui se livrent au trafic, notamment d’esclaves. Ils se placent en protecteur des océanides, des maltraités et des laissés pour compte. Mais pour en arriver là, il y a eu les premiers. Les premiers bateaux coulés, les premiers avertissements donnés… Chaque fois, Sanborn s’est évertué à laisser un survivant qu’il soit bien terrorisé – assez pour avoir réellement peur, pas trop pour être en mesure de colporter le message. A quelques exceptions près, le schéma s’avère toujours le même.
« Pitié…
— Oh mais ne t’inquiète pas, c’est ton jour de chance. J’ai besoin de toi., il ricane, penché sur lui, le maintenant au sol, prêt à frapper s’il tente quoi que ce soit.
— Je ferai ce que vous voulez, pitié, ne me tuez pas…
— Bien, bien. C’est très simple en fait. Partout où tu vas te rendre, tu vas parler de nous. Tu vas dire à qui veut l’entendre que le Sin Slayer est sur les flots. Tu vas dire qu’il chasse chaque trafiquant qui a le malheur de naviguer sur les mers. Tu vas dire que pour s’assurer de cette mission, il a à son bord un équipage fidèle et à sa tête un groupe de sept personnes. Tu vas laisser entendre qu’ils sont des démons, les personnifications terrestres des péchés capitaux. Tu vas parler d’Orgueil, le Dragon des Mers…, et chaque fois, il déroule la liste de chacun de ses camarades, forgeant leur réputation petit à petit. » au fil des années écoulées, il existe certaines variantes concernant Sanborn. Certains l’appellent Orgueil, d’autres le Dragon des Mers… aucun n’a tort mais beaucoup semble avoir oublié que tout ceci ne forme qu’un seul et même surnom. Qu’importe au final, tant qu’on parle de lui et des siens. De son groupe qu’il considère comme une famille. Quand les autres lui demandent l’intérêt de cette manoeuvre, c’est avec un sourire mesquin sur les lèvres qu’il répond : « Parce que les morts ne racontent pas d’histoire. Si nous voulons que notre voix soit entendue, si on veut marquer les esprits et faire avancer notre cause, c’est important que les autres sachent qui nous sommes. Et pour ça, quoi de mieux qu’un survivant terrifié, témoin de notre existence et de ce dont nous sommes capables ? », personne ne l’a contredit à ce sujet. Avec tout cela, avec toute sa volonté de rappeler au monde qu’aucun acte n’est dénué de conséquences, Sanborn n’oublie pas non plus ses combats personnels. Ceux qu’ils gardent tapis dans un coin de son esprit en attendant la meilleure occasion pour les concrétiser. Parce que même s’il n’en dit rien, il compte bien faire la lumière sur ce qui est arrivé à ses parents, comprendre comment ils ont pu disparaître. Retrouver le coupable et le cas échéant, le tuer de ses propres mains.