You're going to suffer, but be very happy

Milady. Le mot est presque drôle à entendre et une part de moi à envie de le pousser pour qu’il le répète. Quoi! Ce serait drôle de prétendre en être une, alors qu’il n’y a pas eu un seul moment dans ma vie où je fus près d’en être une. Certes, si je prends le temps de m’arranger un tout petit peu, je sais que je peux bien paraître aux yeux des inconnus. Mais c’est long essayer de bien paraître. Je le sais, rien que pour entendre toutes les femmes se vanter du temps que ça leur prend de se rendre présentable pour des banquets ou d’autres événements tout aussi soporifiques. Mais elles ont besoin de ça pour vivre, alors que moi j’ai besoin d’air, d’eau et d’argent. Chacun ses priorités.

Quoique… non, c’est un mensonge. Je me suis déjà prise pour une noble, mais j’étais enfant. Lors de nombreux cambriolages dans les grandes maisons d’Oshaara, je me suis amusée à revêtir les fourrures de ses dames pour ensuite me lancer dans de belles mascarades devant mes frères. Bon, ils tentaient tous de se foutre de ma gueule, mais ça restait que les vêtements se revendaient bien en général. J’empruntais alors un ton guindé et hautain pour ensuite me lancer dans les meilleures imitations du monde. Je rabattais un pan du manteau contre mon abdomen et je me plaignais des jeunes chenapans qui volaient les autres, de la pluie qui détruisait mon brushing ou encore du froid qui allait entrer sous mes jupons. J’adoptais des manières pincées et c’est définitif qu’on m’aurait giflé pour avoir mené de telles scènes. Mais elles faisaient rire et moi j’étais assez intelligente pour choisir mon public.

Mes prunelles étudient cet homme qui me nargue presque de ses réponses devant moi. C’est rare de trouver des gens à la hauteur de mon sarcasme et surtout de mon attitude. En général, les gens tendent à s’écraser ou même encore, ils s’enfuient parce qu’ils n’aiment pas être défiés ou encore n’aime pas faire face à mon arrogance. Pourtant, lui, il semble s’accrocher. Tant mieux pour moi.

Je récupère mon paquet de cartes qu’il me rend enfin. Ce ne serait pas la fin du monde si je le perdais, mais c’est quand même le fun d’arnaquer les gens en pouvant les regarder droit dans les yeux. Ça m’obligerait à voler un peu plus longtemps, le temps que je demande à Weasel de m’en faire un à mon image ou encore d’en acheter un qui soit digne de moi. Un sourire ravi s’étire sur le coin droit de mes lèvres et j’ouvre machinalement l’étui pour vérifier qu’elles y sont bien. On n’est jamais trop prudent après tout.

J’esquisse une grimace alors qu’il se montre heureux du mauvais coup qu’il m’a tendu. Je me retiens de marmonner une nouvelle fois le surnom que je lui ai donné tout à l’heure pour soulever mon verre avec lui et boire une gorgée de whisky. « Vous avez rarement dû croiser des gens talentueux dans ce cas. » Moi j’ai grandi parmi les meilleurs voleurs de mon île. Depuis trente années que nous sévissons et jamais nous n’avons été envoyés en prison ou encore arrêté. Bon, moi ça s’est joué d’un cheveu, ayant eu une grâce inespérée d’un Maeda, mais bon, je reste encore persuadée aujourd’hui que j’aurais réussi à m’en tirer tout de même. Je souffle un rire par le nez, gardant mon verre en l’air tout en faisant tourner le liquide contre les parois transparentes. « C’est vrai qu’ils ne sont pas si mal comme milice, mais ils ne sont tout de même pas à la hauteur. Faut dire que c’est quand même particulièrement facile de disparaître dans une foule comme celle qu’attire les Feux de Beltane. Ça leur complique d’autant plus la tâche de trouver quelqu’un, mais en plus que ce quelqu’un c’est moi… Ils n’avaient aucune chance! » Mon œil pétille de malice. Je fais preuve de vantardise, mais en même temps, je sais de quoi je suis capable.

J’hausse mes épaules en déposant finalement mon verre contre la table. « C’est pas une question de comparer nos vies. On ne fera pas vraiment semblant que ça nous intéresse, pas vrai? » Je me suis servie de lui pour sauver ma peau et il a voulu me faire payer. Les choses auraient d’autant pu s’arrêter là, mais j’ai encore bon espoir d’arriver à lui tirer les cartes. Juste parce que ça peut être amusant et que ça fait passer un peu de temps. « Mais j’étais juste curieuse de savoir à qui j’ai affaire. Après tout, des voleurs doués, j’en croise peu. Voyez ça comme une question pratique. » Puis un large sourire étire mes lèvres.

C’est une satisfaction pure et simple d’avoir réussi à piquer sa curiosité suffisamment pour qu’il pose la question. « C’est très simple. Vous pensez à une question qui taraude votre esprit et vous mélangez les cartes en même temps. Il est important que vous vous concentriez sur votre question tout au long. Quand vous sentez qu’elles sont suffisamment mélangées pour vous, vous me les rendez et je fais votre tirage. Je fais l’interprétation de vos cartes et vous avez un possible avenir devant vous. » Bah un avenir inventé, gracieuseté de Smoky Brekker, la liseuse de cartes de tarot la plus nulle du monde, mais ça, il n’a pas besoin de le savoir. « Ça t'intéresse? C’est qu’une avenue parmi tant d’autres et ça ne remplace pas le libre-arbitre. Qu’en dis-tu mon mignon? T’as un nom à me donner aussi que je ne t’appelle pas Salaud tout au long du tirage? » Un sourire narquois prend place sur mes lèvres alors que je soulève le paquet par l’anse et que je laisse se balancer entre nous deux. « Pour rire! Tu peux bien faire ça non? »