Lotan - Trust no one

Boussole

Le couple formé par les parents de Lotàn, tous deux océanides, était solide et uni. Madame, originaire de la mer des dragons, avait un lien tout particulier avec les créatures marines, parvenant à entrer en symbiose avec elles avec une aisance surprenante. Monsieur, originaire de la baie des baleines, avait lui choisi une voie plus guerrière qui lui permettait de veiller sur son peuple et leur territoire.

L’annonce de la grossesse de la sirène avait été accueillie avec une grande joie pourtant, elle ne verrait pas grandir sa progéniture. Quelques jours avant la date prévue de sa délivrance, la bataille d’Anevine avait éclaté, causant un nombre très important de victimes et la chute quasi-totale de la civilisation océanide.

Le père de famille avait cru avoir perdu tout ce qui lui était cher lorsqu’il avait retrouvé son épouse agonisante, le ventre déchiré par une pointe cruelle mais dans son dernier souffle, cette dernière lui avait intimé d’extraire leur enfant de son corps, le sentant s’agiter en elle malgré sa blessure fatale.

Le minuscule triton avait survécu par miracle, ayant évité le fer qui avait pris la vie de sa mère. Son bras gauche avait été éraflé toutefois, lui laissant une cicatrice qui ne guérirait jamais, tout comme le vide que venaient de créer les Hommes à l’intérieur de son cœur…
Abandonner son passé derrière lui avait été difficile pour son géniteur, qui avait soif de vengeance et trouvait la fuite déshonorante mais les braconniers et autres ennemis du peuple de la mer s’étant rapidement multiplié, il avait fini par s’y résoudre.

Accompagné par la grand-mère maternelle de son fils, qui avait elle aussi survécu au massacre, il était parti se réfugier sur l’île de Ka’Hauni, comme beaucoup de leurs semblables.

Accepter de revêtir l’apparence de ceux qui étaient sources de tant de traumatismes avait été très difficile pour le triton. Pour soulager sa conscience et s’occuper l’esprit, il avait embarqué avec un équipage de pirates dans l’espoir de parvenir à libérer certains prisonniers, laissant son héritier sur terre avec son aïeule comme gardienne.

Lotàn avait grandi parmi les bipèdes, se fondant dans leur population avec l’aisance d’un jeune triton n’ayant jamais évolué dans les profondeurs marines, ressentant toutefois l’appel du large avec force, malgré le danger qu’il représentait désormais pour lui.

Sa mère de substitution avait à cœur de lui transmettre leurs coutumes et de lui conter leur quotidien d’avant-guerre, insistant particulièrement sur le lien très ancien qui unissait leur peuple aux dragons plusieurs siècles auparavant, que leur famille n’avait jamais oublié et souhaitait ardemment voir renaître un jour.

Sa mère lui avait laissé un pendentif, minuscule ocarina censé avoir permis d’appeler ces alliés fantastiques par le passé et, pendant des années, le petit y avait soufflé, chaque matin sur la plage dans l’espoir d’en voir un le rejoindre, donnant ainsi à leur peuple une chance de retrouver sa paix d’antan. En vain, à son grand dam…

En grandissant, il était devenu un triton de constitution solide aussi, à la mort de sa grand-mère l’année de ses dix-sept ans, son père l’avait sommé de l’accompagner en mer pour servir les intérêts de leur peuple moribond plutôt que de demeurer sur terre, non sans lui avoir transmis une partie de ses connaissances martiales, nécessaires à sa survie.

Ce nouveau mode de vie était à la fois effrayant et grisant et lui avait permis de renouer en partie avec ses racines en côtoyant bien plus souvent les flots que durant son enfance.
Pendant dix ans, il avait vogué avec les pirates et partagé leur mode de vie, tout en mettant autant que possible des bâtons dans les roues aux esclavagistes qui ciblaient les océanides.

Son équipage avait toutefois été décimé au cours de leur onzième année de collaboration, son père y compris et, suite à une erreur de jugement, il s’était retrouvé à la place des opprimés qu’il s’efforçait de protéger en étant capturé et vendu à son tour.

Son premier maître avait voulu en faire son domestique mais son indocilité avait eu raison de sa patience au bout d’à peine six mois, après lesquels il était arrivé entre les mains d’un dénommé Jenror Vestrit.

Non content de le garder enchaîné dans une cellule glaciale, ce dernier l’avait fait soumettre à des mauvais traitements nombreux et répétés : privation de sommeil, de nourriture, d’eau, port régulier d’une muselière, encapuchonnement, violences verbales…

Epuisé, amaigri, poussé dans ses derniers retranchements, il venait de prendre la décision de se laisser mourir quand, après six mois de sévices, un shaman de l’opale noire avait pénétré dans sa prison pour le soumettre à un traitement encore inédit.

Il avait tout d’abord ressenti une douleur sourde au niveau de ses tempes, puis… le noir. Blackout.

Lorsqu’il avait retrouvé ses esprits, il se trouvait sur l’archipel de Fedja, désorienté, une arme au poing. A la vue du sang qui maculait partiellement son corps, il avait compris qu’il venait de participer à une bataille contre son gré, mais pas immédiatement comment une telle atrocité avait été rendue possible.

Craignant par-dessus tout de perdre le peu qu’il lui restait de libre arbitre, il avait accepté de participer « volontairement » aux combats organisés par Vestrit, espérant que cela le maintiendrait éloigné des sbires de l’opale noire et de leur influence psychique.

Sa carrure et son ensauvagement provoqué par sa détention en faisaient un élément intéressant qui, bien vite, avait plu à la foule.

Lui n’avait pourtant qu’une seule chose en tête : s’enfuir. Reconquérir sa liberté trop longtemps foulée du pied. Et s’il pouvait arracher la tête de ses bourreaux en chemin, il ne se priverait pas…

Il se murmure dans les cachots que des dragons seraient réapparus après un long sommeil et cela est une source de motivation non négligeable pour lui. S’il parvient à ses fins, il se mettra immédiatement en quête d’une manière de reconquérir leur confiance afin de contribuer à redonner à son peuple une chance de reprendre le contrôle de son avenir…